Problème : un jeune « sans problème » réclame toujours de jouer au même jeu avec l’éducateur…
C’est une maison d’enfants. L’accueil est court (2 mois renouvelables une fois), les places peu nombreuses. Pas de cuistot, pas de femme de ménage, nous faisons tout avec les enfants, dont des fratries : la plus jeune est un petit bout de chou de 2 ans, alors que la plus âgée est une jeune femme de 17 ans et demie. Le tout donne une ambiance assez familiale dans un pavillon coloré avec jardin au milieu de la ville. Nous sommes six éducateurs à nous relayer 24/24 pour faire tourner cette petite maison. Je dis six éducateurs, mais suite à une vague de démission, il ne restait que trois éducatrices (au moins trentenaires) et deux autres ont été embauchées. Pour le dernier poste, on s’est dit qu’un stagiaire ferait l’affaire…
Réunion d’équipe. Un enfant est parti, une place se libère aujourd’hui, et nous lisons la demande d’admission : « Nous vous informons du placement administratif de Nikit… né en mars 19… (17 ans), en Russie… de nationalité russe… vit avec sa mère depuis 2 ans dans un CADA (Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile)… La mère ne parle pas français et Nikit lui sert d’interprète… Père inconnu, Nikit a été élevé chez ses grands-parents… Sa mère a été déboutée de sa demande d’asile pour « propos imprécis et incohérents »… Nikit n’a pas fait de demande pour lui-même, alors que son âge l’y autorise… Il est en lycée professionnel section CAP Travaux Publics… Sa mère est incohérente… une obsession maladive de propreté… Elle a refusé pendant des années de voir un docteur… Madame a récemment contracté une tumeur… Elle sera hospitalisée durant une période indéterminée… Nikit sera confié à la protection de l’enfance le temps de l’hospitalisation… » On apprendra plus tard que Nikit a vu une fois un psychiatre qui lui a prescrit des médicaments pour dormir.
Nous acceptons d’accueillir Nikit.
Lorsque j’ai rencontré Nikit, j’ai rencontré un garçon sérieux, très sérieux. Grand et taciturne, Nikit en imposait par son regard aussi froid que vif, avec ses cheveux noirs comme la nuit et la naissance d’un corps robuste de travailleur manuel. Serviable en cuisine et auprès des plus jeunes, fiable quand il s’aventurait hors des murs, Nikit en imposait donc par son physique et la maturité de son comportement. Etudiant sérieux sur le chemin de la vie…
Telles étaient les premières impressions que nous partagions au sein de l’équipe. D’ailleurs, nous avions tous lu son dossier, nous savions à quel point il avait dû soutenir sa mère dans son intégration en France. Nikit parle le français avec un fort accent de l’Est mais il se débrouille bien dans cette langue, utilisant de subtiles tournures verbales qui montrent qu’il a assimilé les leçons de grammaire… A la maison, avec les amis, on parle Russe. Au foyer, Nikit n’exprime jamais de sentiment en français. Langue qui semble pour lui un pur outil de socialisation et d’information. Retenu dans son parler, dans une relation extrêmement cordiale avec ses éducateurs : un jeune « correct » dans un foyer explosif…
Oui, car la situation était explosive au foyer. Trois autres adolescents bouillaient de colère entre les murs. Une grande fille de dix sept ans qui avait passé trois années d’errance dans les rues de la capitale côtoyait un jeune binoclard arrivé en urgence un soir après avoir violé sa petite sœur. S’y était ajouté un jeune qui avait protégé ses deux minuscules frangins d’un beau-père un peu violent. Tout n’est pas rose en banlieue…
Et donc tout n’est pas rose au foyer. Lorsqu’un conflit éclate entre deux jeunes, Nikit se met à l’écart et se moque des travers des autres. Lorsqu’un conflit éclate entre un jeune et un adulte, Nikit conspue violemment le jeune fautif. Il ne veut surtout pas faire partie de ces adolescents en révolte contre la société et les adultes. Nikit a des responsabilités, une mère dont il doit s’occuper. Les quelques fois où les autres ont provoqué Nikit, celui-ci a répondu très fermement pour se faire respecter. Bref, à tout point de vue, Nikit est un jeune sans problème, droit comme l’horizon et fort comme une montagne ; notre tâche sera de l’héberger quelques temps avant qu’il reparte sur le chemin tout tracé de sa vie…
Au foyer tout le monde court tout le temps, sauf le stagiaire. Nikit a un emploi du temps de ministre, moi j’ai la disponibilité pour l’aider. Dès le deuxième jour après son arrivée, je me retrouve au volant de la Clio du centre à conduire Nikit à son CADA pour y récupérer quelques mystérieux documents, puis je l’emmène voir sa mère à l’hôpital et enfin nous allons déposer des affaires chez leurs amis russes. Durant tout le trajet, Nikit restera silencieux, ne relevant aucune de mes vannes destinées à détendre l’atmosphère et ne répondant que par oui ou non aux questions que je lui pose. On finit par mettre la radio. Je ne sais pas ce que je dois faire, j’ignore l’importance des affaires qu’il doit impérativement transporter aujourd’hui. Il a des problèmes, il se débrouille très bien tout seul et ne veut pas d’aide : « Très bien, fais ta vie, si tu n’as pas besoin d’aide, je ne te ferai pas l’offense de t’en proposer ! », me dis-je… Cependant, quelque chose dans sa démonstration de maîtrise me met la puce à l’oreille ; une impression un peu vague, un sentiment tout subjectif : ce jeune est malheureux. Il dégage une tristesse infinie, sans que l’on puisse exprimer de la pitié pour lui. Non, cette tristesse est assumée, comme faisant partie de sa personne. Enfin ce n’est qu’une impression, et on ne rien faire dans ce métier avec une « impression » !
Nous voici de retour au foyer. Tout le monde est à l’école, ou parti dans de lointaines réunions…
« Une petite partie de ping-pong, Nikit ? », dis-je dans l’espoir de briser ce grand moment de solitude que nous venons de partager durant ces interminables heures de route… Nikit, grave comme la mort, opine du chef et part installer la table. Aucune euphorie, quelqu’un veut jouer au ping-pong avec lui, il jouera au ping-pong avec lui. Il s’est un peu exercé au CADA. Moi, je sais très bien jouer au ping-pong, et j’endosse le costume de professeur, pour ne pas l’humilier dans le rôle de compétiteur. J’essaie donc de lui apprendre quelques techniques, de corriger son coup droit…
« Nit, nit, Filix, joue la parrrtie ! Je veux fairrre match avec toi ! ». Ok, il veut être sérieux, nous jouons une première partie. Je tente de faire durer le suspens jusqu’à 15 partout, puis je le « finis » 21 à 15 dans le but un peu idiot de maintenir ma crédibilité. Le regard de Nikit me lance des éclairs. Je sens derrière ce masque taciturne un ouragan de fureur. Tout de suite : « Une autre parrrtie, Félix ! » Le ton est celui de l’injonction. Je suis un peu mal à l’aise, je n’ai pas tellement envie de battre à nouveau ce jeune qui a l’air de si mal le vivre ; mais pas question de perdre, je suis invaincu depuis deux mois au foyer et les autres adolescents ne me pardonneraient pas de laisser gagner l’un des leurs. « Non, ce n’est pas possible, Nikit, regarde, les petits rentrent de l’école ! On va goûter et je devrai m’occuper de leurs devoirs ! Tu pourras jouer avec eux si tu veux… », lui dis-je en lui montrant les petits qui franchissent la grille, leur énorme cartable sur le dos.
« Ooooh, s’il tou play, Filix (l’accent semble prendre le dessus), fais match avec moi ! » Pour la première fois, Nikit exprime une émotion. Je ne me sens pas capable de refuser. Une nouvelle partie s’engage. Tous les petits sont autour de nous et commentent la partie, tout en se chamaillant pour savoir qui prendra le vainqueur. Je fais un peu le clown pour détendre l’atmosphère et dédramatiser la situation, en imitant les meilleurs tics des joueurs de tennis. Nikit reste impassible, concentré sur son nouvel objectif : me battre. Au bout d’un moment, j’oublie volontairement de compter les points pour rendre la partie un peu plus ludique…
« Nit ! fini, 21-8, tu as encorrre gagné, Filix ! » Ah, zut, lui a compté les points dans sa tête et rezut, je l’ai battu avec un gros écart ! Etrangement, Nikit semble accepter relativement bien la défaite, il arbore un sourire magnifique lorsque je viens lui serrer la main. Il a l’air plutôt content et passe le goûter tout souriant à se moquer gentiment des petits.
Le lendemain, Nikit me saute dessus dès mon arrivée : « Filix, tu fais oune parrrtie avec moi ? » Puis, avec les yeux étincelants d’un petit enfant dans une pub pour Disneyland : « S’il te plaiiit ! » Jouer au ping-pong avec les jeunes me saoule un peu en ce moment : « Bah, t’es sûr que tu veux encore jouer ? Tu vas encore perdre et faire tes gros yeux ! Tu veux pas plutôt régler ça… je sais pas moi, au bras de fer, à la belotte, au pouce chinois, aux échecs ? »
« Nit, je veux jouer au ping-pong avec toi ! » Et nous voilà repartis pour un nouveau match… En jouant, je remarque plusieurs défauts facilement améliorables dans le jeu de Nikit. Je décide donc de jouer mes coups en lui faisant travailler ses points faibles ; Nikit ne s’aperçoit de rien, mais il entre littéralement en éruption face à moi. Il se tape la tête avec la raquette de plus en plus fort à chaque point raté tout en lançant d’incroyables jurons russes qu’il aurait été fort intéressant de noter. Cependant, lorsqu’il s’adresse à moi, Nikit reste un parfait gentleman. Comme toujours, les émotions sortent en russe…
Nous jouons une partie, puis deux, Nikit perd mais ne lâche rien : « Encore une partie, Filix ! » Puis une troisième, une quatrième partie, Nikit reste inflexible face à la défaite. Et à chaque nouvelle tentative, il semble plus calme. Nous jouons la dernière partie dans un esprit assez décontracté. Et le jeu de Nikit s’améliore à vue d’œil. Il le sent bien, et il se montre de plus en plus fier de certains coups qu’il parvient à me porter. On dirait que perdre cette dernière partie est devenu presque sans importance.
A partir de ce jour, Nikit fut beaucoup moins distant avec moi. Peut-être parce que je suis un garçon et qu’il se sentait seul dans cet univers de femmes. Ou bien peut-être qu’il se sentait de ma génération dans cet univers de trentenaires. Ou alors à cause du ping-pong, qu’il cherchait à maîtriser dans cet univers trop tendu. Toujours est-il que la scène s’est répétée le jour suivant :
- Filix, tu fais oune parrrtie avec moi ?
- Et les pouces chinois, tu connais les pouces chinois ?
- Nit, je veux te battre au ping-pong !
Et quelque parties plus tard, je devais inventer d’improbables excuses pour ne pas accepter une partie supplémentaire. Tous les jours, encore et encore : j’arrive, il me saute dessus, nous faisons quelque matchs avant que la « marmaille » arrive, plus quelques matchs lorsque la même marmaille est couchée. Nikit voulait en bouffer et il s’en mettait jusque là ! Je crois que tout le long de cette histoire, nous avons fait plus de 80 matchs et j’en ai gagné au moins 79…
Il y avait le ping-pong, mais aussi le dehors du ping-pong. Nikit changeait. Je ne veux pas dire qu’il était devenu d’un coup hyper épanoui et maladivement sociable. Non, Nikit restait le même garçon au regard froid ne parlant jamais inutilement et ne vous informant que du strict nécessaire sur son état bien que vous viviez toute la journée avec lui. Non, dans le groupe, avec les collègues, Nikit restait le même. Mais en tête à tête avec moi, ce n’était plus pareil. Il était prêt à partager, je crois même qu’il me faisait confiance.
Un premier soir, il était venu me voir dans le bureau des éducateurs après le dîner. Il voulait savoir pourquoi j’avais un maillot du FC Barcelone aujourd’hui. Je lui ai expliqué que j’aimais beaucoup ce club car il avait toujours été un symbole de résistance à Franco et qu’il avait la même structure financière qu’une coopérative ouvrière (j’avais remarqué que Nikit était très cultivé).
- Ah, mais alorrrs, tu es coummuniste ? Je désamorce la bombe :
- Pas vraiment, mais je trouve ça bien que la finalité de ce spectacle de milliardaires en short courant après un ballon soit autre chose que l’argent.
Je lui ai dit ça comme ça, pour le tester sur la maîtrise de la langue. Je crois qu’il n’a pas très bien compris.
- Oui, je sais (il commençait toutes ses phrases par ces mot : « oui je sais »), il y a aussi un club de foot comme ça dans ma ville ; il y en a un autre aussi, mais celui-là est différent…
- Il y a ceux qui jouent en rouge et ceux qui jouent en blanc, peut-être ? (je sais qu’en Russie, chaque grande ville a un club ex-communiste et un club privé – merci les nouveaux milliardaires – et chacun se situe politiquement dans son choix de supporter ; à moins que ce ne soit l’inverse…)
- Voilà, tu comprends ! Me dit-il satisfait d’avoir trouvé un expert en géopolitique russe.
- Mon grand-père était pour les rouges, ajoute-t-il assez fiérot.
- Pourquoi tu dis « il était » ? Il est pour les blancs maintenant ?
- Non, lui disparu ». Puis, après un moment à fixer le vide : « Non, lui en prison. »
Oh, oh, je touche du doigt le fameux secret familial, celui qui expliquerait la venue en France de Nikit et de sa mère. Jamais ils ne se sont exprimés là-dessus, pas même pour remplir la demande d’asile. Il va falloir la jouer fine !
« En prison ? Mais pourquoi ? » Nikit se braque et fuit mon regard. Je n’ai pas dû être assez fin. Il reste là, hagard, quelques secondes puis se secoue et parle d’autre chose. C’est raté pour les révélations. Il faudra attendre. Pourtant, une brèche a été ouverte. Nikit va s’y engouffrer.
Les jours s’enchaînent. Toujours la même histoire. J’arrive, Nikit me saute dessus, on joue au ping-pong, il perd, et le soir, il vient me parler seul à seul, dans le bureau. Petit à petit, par petits bouts, sans poser de questions, je découvre l’histoire familiale. Le père de Nikit était étudiant lorsqu’il a mis sa mère enceinte. Ne pouvant assumer ses études en plus d’un enfant, il a dû faire un choix. La mère de Nikit est retournée vivre chez ses parents (il n’y a pas qu’en banlieue que la vie n’est pas rose). Le grand-père était alcoolique et très violent. Un jour, il y a deux ans de cela, il a frappé sa femme à mort. Nikit a pris un sac et y a fourgué quelques affaires. Sa mère était totalement traumatisée par ce qu’elle venait de voir ; Nikit l’a prise par la main et ils sont partis. Va savoir comment ils sont arrivés en France… Nikit dit que c’était un souhait de sa mère et qu’elle connaissait quelques personnes ici.
« Et aujourd’hui ? » « Aujourd’hui, je dois m’occuper de ma mère et puis c’est tout. »
Je n’ai rien trouvé à répondre.
Les jours et les matchs de ping-pong ont continué à s’enchaîner… Nikit continue de perdre, mais une vraie complicité naît entre nous. J’ai remarqué que plus je bats nettement Nikit, plus il est apaisé et enjoué après. Passer près de la victoire le met hors de lui. Le soir, on discute. Son sujet favori, en dehors du football, c’est les mœurs des adolescents français. Tant de frivolité l’indigne au plus haut point !
- Eh, Nikit, tu ne serais pas un peu jaloux ? (Oui, je manque de tact dans ces moments-là !)
- Oui, mais les autres de mon âge, ils ont des copines, ils sortent, ils achètent de beaux vêtements, et ils pensent que rien n’est grave… Ils ne savent pas ce que c’est de vivre !
Je lui concède que c’est vrai que les jeunes d’ici sont assez déresponsabilisés par leur parents, alors que lui… Doucement, Nikit dévoile ainsi ses ressentis les plus profonds. Il voudrait être un ado avec des problèmes d’ado. Il veut une bande de copains avec qui sortir, peut-être une petite copine… Il n’en peut plus de cette mère qui perd la boule et qui lui rappelle des choses douloureuses. Pourtant, il faudra bien qu’il garde avec lui cette maman ; il ne voit pas comment faire autrement. Je n’ose pas lui parler d’une prolongation du placement après l’hospitalisation de sa mère. Je sens que sa culture ne lui permet pas une telle « trahison ».
Un soir, il me sort en riant :
– Tu sais, Filix, ma vie, c’est comme le ping-pong, tu sais, ces jeux où je perds toujours !
– Moi je trouve que tu t’en sors plutôt pas mal. Je veux dire, pas au ping-pong, mais dans la vie !
– Ah, tu penses ça ? Oui, je fais bien les choses qu’il faut fairrre… Mais je m’ennuie un peu…
– Comment tu peux trouver le temps de t’ennuyer ? A part faire du ping-pong, tu n’as pas une seconde pour toi !
– Oui, c’est ça qui m’ennuie… ça me rend très triste…
Un temps, Nikit fouille dans sa tête, puis il ajoute : « J’aimerais bien changer ça. Ne plus penser à toutes ces choses ! »
La suite de l’histoire sera travaillée en équipe, de manière institutionnelle. J’ai parlé de ce dialogue en réunion. Tout le monde a été assez surpris. Faut dire que Nikit ne laissait pas transparaître grand-chose à mes collègues… Elles ont même été un peu suspicieuses sur mes « découvertes ». J’insiste… Les jours suivants, Nikit rencontrera une association lui permettant de monter un dossier pour demander la nationalité française. L’hospitalisation de sa mère durera trois mois. Cependant, Nikit ne retournera pas dans la chambre qu’il occupait avec sa mère au CADA. Celle-ci a bénéficié d’une aide médicale à domicile et d’une assistance renforcée au centre. Nikit est parti dans un foyer d’adolescents en attendant de pouvoir mettre en place un contrat jeune majeur (il aura 18 ans dans quelques mois). Nous avions fait une note soulignant que Nikit est las de porter sa mère, qu’il demande à être placé, que cette situation est très lourde pour lui… Cette note a alerté la responsable ASE, et, pour une fois, la machine a bien réagi. La mère a très bien accepté la nouvelle situation. C’est Nikit qui lui annoncé qu’il ne reviendrai pas au CADA, précisant qu’il viendrait cependant la voir très souvent (il a dû lui promettre tous les jours et je pense qu’il s’y tient).
C’était un vendredi. Nikit part demain matin. J’arrive comme d’habitude vers 16 h. Nikit rentre du lycée et me saut dessus : « Filix, il faut faire une derrrnièrrre match de ping-pong. Je veux te battre avant de partir ! » Bien, bien autant en finir en beauté !
Depuis un certain temps, nos parties se sont vraiment détendues, Nikit accepte que je lui apprenne à bien jouer… mais malheur à moi si je joue au professeur, je dois lui apprendre sans rien dire, à travers le jeu lui-même. Il est de plus en plus calme : aucune colère ne transparaît au moment où il perd. C’est vraiment devenu un jeu. Il ne cherche même plus à gagner, bien qu’il trouverait inadmissible qu’on ne compte pas les points. Nikit joue de mieux en mieux. Il prend confiance.
J’engage. Nikt est dans un grand jour. Il passe de superbes accélérations du revers. Je décide de jouer cette partie à fond. Je ne peux pas laisser ce jeune venu du froid (de l’Est) remettre en cause ma légende : invaincu depuis 4 mois, c’est la classe dans un foyer d’ados ! On joue bien ; il s’accroche ; on en vient à 20 partout. Nikit s’effondre sur les deux dernières balles… La pression, sûrement… Résultat donc : deux coups dans le filet. Il reste très calme. Cette situation s’était déjà produit, et Nikit avait alors explosé de rage, contre Nikit, contre ce « putain d’imbécile de Nikit qui foire tout ! V rot, v glaz i v jopu raz ! » La partie suivante était souvent calamiteuse dans ces cas-là. Aujourd’hui, Nikit réagit différemment. Il me regarde, sourit, et dit : « Encore une match, Filix ? » « Avec plaisir ! »
Et bien sûr, comme dans les films américains (ce métier ressemble à un film américain, ou alors j’avais à ce moment inconsciemment envie que Nikit gagne, va savoir…) le héros Nikit gagne à la fin. Il est juste content, et il me serre la main en souriant. Voilà, il a gagné.
Pour de rire, je lui demande :
- Encore une partie, Nikit ? S’il te plaît ?
- Nit, c’est fini, je t’ai battu. Ca sert plus à rien de jouer !
Filix (Félix), Educateur spécialisé
WIKI : médiation; jeu (game) ;
Texte paru dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan) : on y trouvera une analyse et des citations. Voir aussi dans le livre Petites histoires de grands moments éducatifs (L’Harmattan) récit : La vie en jeu : on y trouvera une analyse et des citations