Issa* est garçon de 19 ans, diagnostiqué psychotique. A mon arrivée sur le groupe je découvre Issa un jeune homme très souriant, qui parle sans arrêt, souvent tout seul et à la 3ème personne, et qui pose énormément de questions, toujours les mêmes.
Je rencontre ainsi « la psychose »… Un jour, il m’aborde ainsi :
Issa : FA. Tu es belle, FA on mange quoi ? Issa a faim !
Fa. : Merci, Issa toi aussi. Tu as coupé tes cheveux avec papa ? Il t’a fait tout joli. On mange des pâtes au saumon aujourd’hui.
Issa : FA je t’aime …
Surprise et gênée à la fois je me retrouve seule face à ce « je t’aime ». Dans un premier temps je décide de ne pas répondre. Quelques minutes plus tard, décide de ne pas laisser Issa seul avec cette « annonce » qui a peu d’impact sur moi, mais sur lui, je ne sais pas, et je m’en inquiète.
Je prends alors le premier objet qui me tombe sous la main, un feutre, et commence à composer le numéro de téléphone imaginaire de Madame M. qui est la maman d’Issa. Issa cesse aussitôt de parler.
« Bonjour Madame M. je vous appelle pour prendre de vos nouvelles ainsi que de votre mari, et pour vous dire qu’avec Issa tout se passe très bien nous sommes en activité manuelle. (Un dialogue imaginaire se lance, Issa reste sans voix et me regarde avec des yeux pétillants) Je vous appelle également Madame pour vous demander si Issa vous dit souvent « Je t’aime » ? Ah mais il est formidable et adorable Issa bien sûr, vous l’aimez aussi ? Ohhhh que c’est mignon. Moi aussi il m’a dit « je t’aime » mais oui bien sûr vous avez raison on dit pas « je t’aime » à tout le monde effectivement c’est réservé à papa et maman et la famille, oui bien sûr Issa le sait tout à fait !
Eh bien Madame M. je vous remercie de cette attention et vous dis à bientôt, je l’embrasse pour vous. Au revoir ».
Issa, lui qui ne s’arrête jamais de parler, n’a, durant ce monologue, pas ouvert la bouche une seul seconde mais a écouté la conversation avec beaucoup d’attention.
Je reprends donc la parole comme pour lui expliquer :
« Elle est vraiment gentille maman, elle m’a dit que tu lui disais souvent « je t’aime » à elle aussi petit coquin. » Je lui redis que « je t’aime », on le dit plus à sa maman, son papa, ses frères et sa sœur, mais qu’on ne le dit pas à tout le monde !
Fin de la journée à l’IME Issa vient me voir et me dit :
« Fa., je ne t’aime pas parce que j’aime maman et maman m’aime et on s’aime fort, je ne peux pas aimer tout le monde, mais tu es la plus gentille…
… Et je t’aime bien !!! » Dit-il en s’éloignant, sans me regarder.
Ce moment m’a fait prendre conscience qu’on ne peut pas rester sans réponse face à une demande. On peut prendre le temps d’y réfléchir et y répondre en différé mais toute réponse doit être autant que possible une réponse honnête et au travers du jeu : c’est ce qui, sur le moment, m’a permis de détourner le « je t’aime ».
Farida, Monitrice-éducatrice
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