Un enfant psychotique tyrannique veut tout contrôler, notamment dans les moments de transition...
Louis est un jeune garçon de 7 ans. Métisse, son visage « couleur café » exprime facilement des expressions de joie, de colère ou d’émerveillement selon les situations. Lorsque Louis arrive à l’hôpital de jour, ses vêtements sont toujours très soignés, l’assortiment des couleurs et la marque de ses vêtements en témoignent. Quand je le vois arriver, je me dis : « tiens voilà Louis. Avec ses vêtements il me fait penser à un membre de Yatch club : il fait chic, décontracté !» Son langage peut être riche et structuré. Cependant, il ne semble pas toujours adressé à l’autre. Cela lui donne un côté énigmatique… À certains moments, il passe du coq à l’âne dans une conversation. Les intonations de sa voix sont changeantes, elles passent d’une tonalité grave à une tonalité aiguë selon les circonstances. Lorsque nous lui posons une question, il peut nous répondre avec un ton très doux comme si il voulait jouer au gentil petit garçon. L’alliance de ses intonations vocales et de son vocabulaire abondant se traduit parfois par une langue, un discours que je pourrais qualifier de «précieux ». Cela me fait penser à une forme de « maniérisme ». Il a un côté théâtral et surjoue. À titre d’exemple, je me souviens d’une journée où nous sommes allés tous les deux à l’intérieur d’un magasin de jouets. Avant d’entrer dans le magasin, je demande à Louis de ne pas toucher aux jeux : « nous pouvons regarder, mais on ne pourra pas jouer avec » À l’intérieur du magasin, Louis lance bien haut à la cantonade, d’une voix suraiguë, enfantine : « Olala, je suis bien embêté car mon petit doigt a très envie de toucher à tous ces jouets ».
Par ailleurs, Louis montre des difficultés particulièrement envahissantes pour tout le monde lorsque des transitions s’imposent dans un rythme journalier. Nous pouvons noter une grande agitation quand il arrive à l’hôpital de jour avec sa mère. Il se met à hurler, fait des cris de « dinosaures ». Il donne l’impression d’un enfant terrifiant, un enfant incontrôlable, coupé des autres et étanche aux intentions des adultes. Il peut surgir dans une pièce et crier de toutes ses forces. Les autres enfants en ont peur. Des scènes similaires se produisent parfois lorsqu’il faut repartir de l’hôpital de jour ou lorsque Louis souhaite absolument faire quelque chose.
Par exemple, Louis est dans un état d’angoisse intense lorsqu’un autre jeune que lui ferme les portes de notre véhicule de service. Dans ces moments-là, à l’égard des autres, il prend facilement des allures tyranniques : « Je te dis que je veux fermer !!! Laisse-moi faire !! » Alors, son regard se fige et sa voix est proche du hurlement. J’ai l’impression que Louis a besoin de contrôler les gens et les choses qui sont autour de lui, notamment lorsqu’il doit vivre des moments où une activité s’arrête. Cette sorte d’angoisse est très communicative et elle met l’adulte en difficulté. Je me souviens de m’être souvent senti démuni, sans accroche possible lorsque Louis devient « explosif ».
Lors de notre deuxième rencontre, je me demande comment faire pour « contenir » ce petit bolide : j’ai des appréhensions car je ne souhaite pas être spectateur d’une crise de Louis. Que vais-je faire aujourd’hui avec lui ?
Il est 14h, Louis arrive dans les couloirs de l’hôpital de jour, il hurle et fait des grimaces tel un animal terrifiant. Il ne dit bonjour à personne et me regarde à peine lorsque je viens à sa rencontre. Je ne suis pas très surpris de le voir ainsi et lui parle sans le regarder dans les yeux pour ne pas faire trop intrusion. Je l’invite à monter dans la salle d’ordinateur. A ma grande surprise, il accepte sans difficulté. Nous ne parlons pas. Depuis mon expérience à l’école de Mannoni, j’ai appris que le silence est parfois fructueux lorsque je me trouve avec un enfant qui semble en difficulté. Ce silence est tout de même accompagné par une présence que je souhaite sécurisante.
Une fois arrivé, il me regarde et me dit : « Pierre, je suis très content d’être avec toi, mais l’année prochaine je vais changer d’école, on ne se verra plus…désolé » Ce qu’il vient de me dire suscite en moi une sorte d’étonnement. D’un côté il me dit quelque chose de plutôt sympathique et d’un autre côté, il m’annonce une fin prochaine à nos entrevues. Je le questionne sur le nom de sa prochaine école, je lui demande aussi en quoi un changement d’école viendrait mettre un terme à sa présence à l’hôpital de jour, « Peut être que tu souhaites arrêter de venir ici ? » Louis me regarde et reste silencieux. Puis, il me parle d’un tout autre sujet avec un discours évasif.
Je fais le tour des objets qui se trouvent autour de la table. J’aperçois dans un coin quelques feuilles blanches type A4 et des feutres. Je me lève pour aller les chercher puis m’assois juste en face de Louis et lui dis : « Nous allons passer une heure ensemble, je vais marquer sur cette feuille ce que tu veux faire aujourd’hui, ce qui est important pour toi et ce qui est important pour moi » Louis me regarde intrigué, reste calme et oriente son regard vers la feuille. Je lui propose de commencer : « je veux d’abord jouer au jeu de Dinosaure sur l’ordinateur. » Je prends le stylo et note mots pour mots ce qu’il dit. Comme Louis sait lire, je fais attention à écrire lisiblement avec de grandes lettres. Arrive mon tour pour inscrire ce qui me semble important. Je cherche un peu mes mots avant d’écrire et je dis à haute voix « J’aimerais bien que ça soit calme ici » Louis reprend : « après je veux faire un avion ». Je note ensuite : « je veux bien jouer à l’avion et je souhaite aussi que Louis ne tape pas les autres enfants de l’hôpital de jour » Il me regarde et pose son dernier point : « A la fin, je veux regarder une cassette vidéo sur la télé ». Enfin, je termine la liste en disant et écrivant : « Quand, il est l’heure de partir, je te donne la main pour descendre tranquillement du 1er étage pour retrouver la personne du taxi qui va venir te chercher »
Une fois les points inscrits, je signifie à Louis que cette feuille est « un contrat » entre nous et que nous devons faire attention tous les deux à respecter les points notés. Il acquiesce, je dirige le feutre vers le bas de la feuille pour signer et demande à Louis de signer à son tour. Il accepte et montre une forme de sérieux sur son visage, dans son attitude. Il prend la feuille délicatement devant lui et signe à son tour. Nous passons une heure dans un climat agréable. Je suis relativement surpris du calme constant de Louis. Les échanges verbaux sont rares et j’essaye de faire en sorte de ne pas être trop intrusif. C’est une façon de me faire discret, de le laisser vivre. Et d’un autre côté, je me dis que ce contrat ne doit pas être facile pour lui à tenir. C’est certainement beaucoup lui demander.
J’accompagne facilement Louis dans les gestes nécessaires pour allumer l’ordinateur. La sensation de gêne que j’ai éprouvée la dernière fois est beaucoup moins présente. Nous construisons ensuite un avion en papier pour jouer avec dans la salle. Il est bientôt l’heure de descendre et je propose à Louis de s’asseoir pour éteindre l’ordinateur et ranger l’avion avant de partir.
« Et la vidéo ! C’est marqué dans le contrat ! T’as oublié ! » Me dit-il. Je suis surpris par cette remarque, en effet j’en ai oublié le contrat…
« Tu as raison, c’est écrit et j’ai signé. Qu’est-ce que tu veux regarder comme vidéo ? » Il choisit un documentaire animalier sur les lions. Lorsque nous regardons le documentaire, je lui demande discrètement « tu veux faire quel métier lorsque tu seras grand ? » il répond « je voudrais endormir les animaux pour les adopter et les protéger ». Il est temps de partir et je constate que le ton autoritaire de Louis n’est pas apparu durant toute l’heure. Avant de quitter la salle, il me dit : « Tu sais je fais du judo, je te ferais bien une prise mais ce n’est pas marqué dans le contrat ». Son taxi est là et aujourd’hui il s’en va sans encombre.
Pierre B.
Ce texte est paru dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan);on pourra y lire une analyse
Références : Dodson, Aimer sans tout permettre, chapitre 3 (Marabout) ; François Hébert, Chemins de l’éducatif, Carte n° 8 (Dunod)
WIKI : contrat éducatif ; écrit
1 commentaire
une histoire qui nous fait sentir l’intérêt de « se poser » avec une personne « ingérable », et de construire le dialogue de façon authentique. Le passage par l’écrit commun, ritualisé, crée un cadre au dialogue qui était auparavant si difficile. Chaque partie peut faire entendre ses besoins propres. L’éducateur reste garant de ce cadre explicite, et n’a plus à « rappeler le cadre » à tout moment ; c’est même l’enfant qui rappelle à l’adulte ce qui avait été convenu ensemble !