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LA RELATION A L’AUTRE, un jeu d’enfants : Créer une alliance éducative en hôpital de jour

    Charline Viau

    D.E.E.S 2017                            DC2-2 : Conception et conduite du projet éducatif spécialisé

    Sommaire

    INTRODUCTION……………………………………………………………………………………………….. 1

    1. PRÉSENTATION DU LIEU DE STAGE ET DU PUBLIC…………………….. 5
    2. L’ASSOCIATION…………………………………………………………………………………………………………………. 5
    3. L’HÔPITAL DE JOUR…………………………………………………………………………………………………………… 7
      1. Les missions de l’établissement………………………………………………………………….. 8
      2. Le projet de soin individualisé……………………………………………………………………. 8
      3. Le travail avec la famille…………………………………………………………………………… 9
      4. Les groupes éducatifs………………………………………………………………………………. 10
    4. LE PUBLIC…………………………………………………………………………………………………………………………. 12
      1. La psychose infantile……………………………………………………………………………….. 12
      2. L’autisme……………………………………………………………………………………………….. 15
    5. LA RENCONTRE PAR LE JEU VIRTUEL……………………………………….. 17
    6. INTRODUCTION………………………………………………………………………………………………………………… 17
      1. Les apports du jeu dans la relation………………………………………………………….. 17
      2. Les apports du jeu virtuel chez les enfants souffrants de troubles relationnels 18
    7. PRÉSENTATION DE MOHAMMED…………………………………………………………………………………… 19
    8. LA MISE EN PLACE DE L’ATELIER TABLETTE NUMÉRIQUE………………………………………… 23
    9. DÉROULÉ DE L’ATELIER TABLETTE NUMÉRIQUE……………………………………………………….. 24
      1. Mohammed s’enferme dans son jeu………………………………………………………….. 24
      2. Mohammed s’ouvre enfin à nous……………………………………………………………… 26
      3. Mohammed s’approprie l’atelier…………………………………………………………….. 28
    10. L’OUVERTURE À LA RELATION SUR LE GROUPE ÉDUCATIF……………………………………… 30
    11. BILAN DE SON ÉVOLUTION…………………………………………………………………………………………….. 31
    12. L’ATELIER JEU COLLECTIF…………………………………………………………. 32
    13. CONSTAT……………………………………………………………………………………………………………………………. 32
    14. LA CONCEPTION DU PROJET…………………………………………………………………………………………… 35
    15. LA PRÉSENTATION DES DEUX ENFANTS……………………………………………………………………….. 36
      1. La présentation de Tristan………………………………………………………………………. 36
      2. La présentation d’Akim…………………………………………………………………………… 38
    16. LE DÉROULEMENT DU PROJET……………………………………………………………………………………….. 41
      1. Le temps du jeu collectif………………………………………………………………………….. 41
      2. Les jeux de duo………………………………………………………………………………………. 44
        1. Tristan……………………………………………………………………………………………….. 44
        2. Akim………………………………………………………………………………………………….. 46
    17. ÉVALUATION DU PROJET………………………………………………………………………………………………….. 49
      1. Évaluation au sein de l’atelier………………………………………………………………….. 49
      2. Évolution dans leur prise en charge dans l’hôpital de jour………………………….. 50
      3. Perspectives d’élargissement de l’atelier : jouons avec les familles…………….. 52

    CONCLUSION…………………………………………………………………………………………………. 53

    BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………………………….. 56

    Pour conserver l’anonymat, les prénoms des personnes et le nom des lieux ont été modifiés.

    Introduction

    Ce mémoire de fin d’études relate ma pratique professionnelle après trois ans de formation. Mon premier stage s’est effectué en Institut-Medico-Professionnel avec des jeunes de 14 à 21 ans souffrant de déficience intellectuelle. À travers ce stage, j’ai commencé à comprendre que la relation éducative n’était pas si évidente mais capitale pour amorcer la rencontre éducative dans l’accompagnement d’une personne. Mais c’est surtout lors de mon stage à responsabilité, dans un hôpital de jour accueillant des enfants de 4 à 14 ans ayant des troubles psychiques, que j’ai constaté que la relation à l’autre est très compliquée avec un public autiste et psychotique, souvent dans la fuite, la violence, le rejet ou bien le repli sur soi-même. Des troubles de la communication peuvent les amener à s’enfermer sur eux-mêmes. Ce sont des pathologies qui engendrent des difficultés massives dans le domaine des interactions sociales. En effet, j’observe que certains de ces enfants sont très souvent dans la fuite avec leurs pairs et les éducateurs. On les voit parfois se replier sur eux-mêmes, notamment avec des stéréotypies qui semblent les rassurer. La relation à l’autre représente une source d’angoisse très violente. Je me souviens du premier jour où j’ai rencontré un enfant prénommé Axel. Je suis dans la salle du « groupe », je lui dis en lui tendant la main : « Bonjour, je m’appelle Charline… ». Il ne me laisse pas finir ma phrase et se met à me frapper et à me mordre très fort le mollet afin de me repousser.

    Tout au long de ce mémoire, on verra que ce n’est pas le seul enfant à me rejeter d’emblée et violemment.

    De fait, l’accompagnement de ces enfants est un travail complexe.

    Mais alors comment créer un lien avec des personnes qui nous rejettent ? Comment les accompagner à accepter notre présence et notre aide ? Comment rendre cette peur de l’autre moins forte ? Que peut-on leur proposer afin qu’ils puissent enfin s’investir dans leur prise en charge ? Ou encore comment les accompagner à prendre du plaisir à être en relation avec l’Autre ?

    Pour atteindre cet objectif et permettre à l’enfant de ne pas se sentir menacé, j’ai pu voir que l’éducateur a la possibilité d’utiliser différents outils (l’écriture, le théâtre, la danse etc…) afin de permettre cette rencontre. Dans ma pratique, pour créer le lien avec ces enfants, j’ai souvent eu recours à la médiation du jeu.

    Au début de mon stage, j’ai eu envie sans intention éducative particulière de leur proposer des jeux que j’avais moi-même expérimentés lorsque j’étais enfant comme celui du chat » ou bien encore « un deux trois soleil ». C’est alors que je remarque que Tristan, lui qui se montre violent et se sent persécuté par l’autre, est présent dans l’échange. Lors de ces moments, le comportement de Tristan semble ici adapté à la relation. Il donne l’impression de prendre un certain plaisir à jouer avec moi, venant parfois lui-même me chercher : « Charline, viens m’attraper » me dit-il en se mettant à courir à toute vitesse.

    Ces petits moments privilégiés dans la relation, sans attentes particulières, m’ont amené à développer ma réflexion autour de cet outil éducatif.

    Mon mémoire traitera aussi de la problématique suivante : comment instaurer une relation éducative avec des enfants souffrant de troubles relationnels très élevés à travers la médiation du jeu afin que l’accompagnement devienne possible ?

    « Si tu veux les connaitre, fais-les jouer.

    Si tu veux leur apprendre à vivre, laisses les livres de côté. Fais-les jouer.

    Si tu veux qu’ils prennent goût au travail, ne les lies pas à l’établi. Fais-les jouer.

    Si tu veux faire ton métier, fais-les jouer, jouer, jouer. »1

    Le métier d’éducateur ne se résume pas à aider les personnes en difficulté. Nous nous heurtons à beaucoup de résistance au quotidien avec des publics souvent en grande souffrance. Pour accompagner ces personnes, il faut nous montrer créatif, imaginatif et observateur afin de contourner cette résistance et d’identifier les besoins profonds de la personne.

    Nous allons également voir que ces enfants ne jouent pas ou « mal » spontanément. Or le jeu est un véritable atout dans le développement pour tout enfant : il permet l’exploration du

    1 Fernand Deligny, Graine de crapule suivi de les vagabonds efficaces, Dunod p 12

    monde et l’acquisition de nombreux apprentissages, dont la socialisation. « Le jeu est une activité sérieuse, éducative, pédagogique, qui contribue au développement affectif, sensori-moteur, cognitif, moral, intellectuel et social de l’enfant »2.

    Le jeu est un excellent moyen de nous socialiser avec autrui et de développer nos relations sociales. Il permet à l’enfant, d’établir des stratégies en fonction de ses compétences sociales et donc de devenir par la suite un acteur social autonome dans ses relations à l’autre. En fonction de l’âge, l’enfant joue à des jeux très différents. Le jeu permet de contrôler ses pulsions, d’intégrer les règles et les normes de la vie en collectivité. Il favorise le vivre ensemble.

    Dans ma pratique professionnelle et dans mon positionnement éducatif, j’ai souvent eu recourt au jeu afin de créer une relation avec des jeunes. J’ai aussi eu plusieurs fois l’opportunité lorsqu’un enfant s’énervait avec beaucoup de violence de détourner sa crise par le jeu.

    Tristan ne veut pas aller sur le groupe éducatif malgré les invitations de l’équipe comme tous les matins, il s’énerve, résiste en portant des coups sur l’adulte. Un jour, je le vois au loin dans le couloir, il me voit et part en courant. Je m’approche doucement et dit « Tristan, je compte jusqu’à 10. Pendant ce temps, tu pars te cacher et après je viens te chercher ». Je le cherche, il rit. Lorsque je le trouve, je lui dis « Tristan, je t’ai trouvé ». Il me répond : maintenant c’est à moi de venir te chercher. Il me trouve et me dit « Maintenant, on fait la course pour aller sur le groupe » ; j’accepte. Tristan accepte de retourner sur le groupe sans montrer de réticence. Ce petit jeu est devenu notre rituel. Tous les matins, Tristan accepte maintenant de venir dans le groupe sans problème.

    Au fur et à mesure de mon stage, je remarque que la relation éducative est aussi difficile à instaurer dans l’accompagnement d’un autre enfant, Mohammed, qui fuit ses pairs et les professionnels de l’hôpital de jour. Cette résistance est un frein empêchant toute action éducative envers lui. L’équipe éducative se trouve dans une impasse et remet beaucoup son accompagnement en question.

    En effet, Mohammed, ne vient jamais nous dire bonjour. Nous le retrouvons toujours dans un autre groupe où tous les matins nous sommes obligés d’aller le chercher. Mohammed, en nous voyant, dit toujours « Non, non pas le groupe, pas le groupe ». Il refuse toute relation avec l’éducateur. Parfois, il l’arrête complètement en s’enfermant dans ses stéréotypies. Il claque des mains en faisant le tour de la salle sans cesse. Lorsque nous lui parlons il ne porte aucun regard sur nous et ne dit pas un mot. Il mange très peu à la cantine, il ne peut manger

    2 Roger Caillois, philosophe, les jeux et les hommes, Gallimard

    que ce qu’il adore, notamment la salade et les carottes râpées. Le lundi, nous préparons le « repas thérapeutique ». Avec les enfants, nous faisons en sorte de préparer des carottes râpées pour qu’il mange. Pourtant, Mohamed refuse de manger dès que cela vient de son « groupe ». Il simule souvent des vomissements même quand nous lui proposons un plat qu’il aime. C’est le refus complet au point de se rendre malade. Les jeux sont systématiquement refusés, quand Mohammed est à l’hôpital de jour, il passe son après-midi dans son coin et ne fait rien, il ne participe en rien à la vie de groupe.

    Un projet individualisé à travers la médiation de la tablette numérique m’a permis de créer du lien avec cet enfant, et ainsi petit à petit, grâce aux jeux, Mohammed s’est ouvert à l’équipe éducative. Son accompagnement est devenu enfin possible.

    Par ailleurs, lors de mon stage, je remarque aussi que lorsque Mohammed joue de sa propre volonté, il est très solitaire. Les rares enfants qui jouent sont souvent seuls, sans même porter d’attention à leur environnement. Ils sont dans « une sorte de bulle » et dès qu’un autre enfant vient maladroitement s’inviter au jeu, l’enfant ne le supporte pas. Des coups peuvent partir très vite, se transformant en une crise. C’est souvent le cas de deux enfants, Akim et Tristan, désirant jouer ensemble, cependant, ils ne semblent pas savoir comment faire.

    Pourquoi est-il si compliqué de jouer avec ses pairs ?

    Qu’est-ce que je pourrais mettre en place pour accompagner ces enfants à jouer ensemble ?

    À partir de ces observations, j’ai donc réfléchi à un projet où les deux enfants participeraient à un atelier jeux travaillant sur le collectif et la relation en duo. Ceux-ci sont souvent basés sur la confiance à l’autre. Cela, tout en incluant le jeu dans ma pratique quotidienne lors de temps de groupes ou lorsque les enfants sont dans la cour de manière informelle.

    C’est avec ces deux situations que je vais m’interroger sur l’importance de celui-ci pour créer une relation éducative mais aussi entre enfants. Grace à ces observations, je me suis aperçue qu’il était vraiment une dimension à expérimenter avec ces enfants car le jeu passe par la notion de plaisir et c’est surtout un partage avec autrui. C’est ainsi que j’ai voulu m’intéresser à ce sujet et m’investir dans ces deux projets.

    Dans un premier temps je présenterai l’établissement dans lequel j’ai effectué mon stage à responsabilité, ses missions, le travail éducatif ainsi que son public. Dans un second temps, je continuerai ensuite avec le projet individualisé de l’atelier tablette, une ouverture à la relation éducative et les évolutions de Mohammed sur le quotidien. Ensuite j’aborderais le projet des

    jeux collectifs en expliquant les constats qui m’ont amené à réfléchir à celui-ci et j’évaluerais le projet avant de conclure.

    I / Présentation du lieu de stage et du public

    1. L’association

    L’hôpital de jour fait partie des huit établissements de l’association.

    C’est une association qui gère trois hôpitaux de jour, un centre médico-psycho-pédagogique, un institut médico-éducatif et médico-professionnel, un organisme de formation. L’association a vu le jour en 1957, grâce à la création d’une structure nommée « jeune atelier » par une psychologue clinicienne. Cette structure avait pour but de prendre en charge des enfants ayant un potentiel intellectuel mais qui était en échec dans les apprentissages scolaires en raison de leurs troubles psychiques ou psycho affectifs.

    L’association trouve son nom en 1964 grâce à une équipe de médecins psychiatres qui travaillent sur la place de la psychanalyse dans les traitements des enfants ayant des troubles psychiques. Ce sont des engagements et des principes qui ont beaucoup influencé l’association jusqu’à aujourd’hui.

    Le premier établissement (ouvert en 1965) est l’hôpital de jour où j’effectue mon stage. L’institution a été créée dans le but de proposer une meilleure prise en charge aux enfants souffrant de troubles psychiques. En 1966, c’est au tour du centre-médico-psycho-pédagogique d’ouvrir ses portes.

    De nos jours, différents établissements ont ouvert leur porte grâce à cette association. Depuis maintenant trois ans, l’association a fusionné avec une autre dans le but d’élargir sa prise en charge, d’offrir plus de places et un meilleur accompagnement pour les enfants et adolescents qui y sont accueillis. Grace à cette fusion, un centre de formation s’est ajouté à la prise en charge des enfants afin de permettre aux professionnels de se former sur différents thèmes, ils peuvent avoir accès à des stages, c’est également un centre de recherche. C’est d’ailleurs grâce à ce centre, que les professionnels de mon institution ont pu se former à différentes techniques comme snoezelen, le Groupe Pédagogique Intégratif Séquentiel.

    C’est une association qui s’inscrit dans des valeurs institutionnelles qui lui permettent d’avoir de la cohérence lors de l’accompagnement des enfants connaissant des pathologies psychiques.

    L’association s’appuie sur des principes en lien avec cette éthique :

    Elle s’engage à proposer un accompagnement avec des techniques médicales, psychologiques et pédagogiques en fonction des besoins de la personne et des évolutions des recherches.

    Elle s’inscrit dans le respect de l’usager ainsi que dans celui de la famille. Les professionnels s’engagent à avoir « une attitude humaniste » et à reconnaitre la personne en tant qu’être humain peu importe « sa pathologie, sa religion, ces croyances » etc…

    Elle oriente ses actions en prenant en considération le code civil, le code de la famille et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

    Dans l’éthique de cette association, le travail avec la famille est un axe majeur de la prise en charge de l’enfant. Dans le projet de l’établissement, la charte de l’association précise « ce travail technique tend à s’inscrire dans l’ensemble des relations que le sujets lie avec les milieux qui le concernent, y compris le milieu institutionnel : – De la part de l’usager assentiment et participation active, de la part de l’entourage familial une responsabilité aussi éclairée et responsabilisée que possible »3

    C’est une institution d’inspiration psychanalytique. Le projet de l’établissement précise encore : « La théorie psychanalytique fournit aux professionnels un bon nombre de repères conceptuels indispensables pour rendre compte du travail relationnel et mettre en place les médiateurs techniques qui visent au développement des personnes et au dégagement de leur identité propres. Cette référence à la psychanalyse en tant qu’elle constitue un axe dans le choix des moyens éducatifs, formatifs, thérapeutiques, n’est pas exclusive du recours technique à une pluridisciplinarité »4. D’autres techniques pluridisciplinaires peuvent être mises en place dans les établissements si celles-ci semblent être un atout pour le sujet.

    C’est une association que je trouve dynamique, innovante dans l’accompagnement des personnes ayant des troubles psychiques. Elle est toujours en recherche de nouvelles techniques de prises en charge : c’est un objectif majeur du projet de l’association. Prochainement, elle

    3 Citation du projet d’établissement de l’hôpital de jour

    4 Projet d’établissement de l’hôpital de jour

    souhaiterait participer à un projet de recherche sur une médiation thérapeutique robotique en utilisant Nao, un robot humanoïde dans un atelier conte pour développer la communication avec un groupe d’enfants ayant pas ou très peu de langage. Elle a aussi pour projet de créer une maternelle thérapeutique accueillant un plus jeune public soit avec la création d’une structure de type hôpital de jour, soit dans une école, une classe de type CLIS avec des interventions thérapeutiques, et des prises en charge avec des psychologues, psychomotriciens adaptés à leur pathologie.

    • L’hôpital de jour

    L’hôpital de jour est un établissement de psychiatrie infanto juvénile. Il a été créé grâce à l’autorisation de l’Agence Régionale d’Hospitalisation d’Ile-de-France (ARHIF). Cette structure est gérée par la Direction Départementale de l’Action Sanitaire et Sociale (DDASS), et les organismes d’Assurance Maladie la conventionne.

    Cet établissement pratique des soins en journée pour éviter l’hospitalisation complète. C’est une « structure sanitaire mixte » pratiquant l’accueil, la protection et des propositions de traitements pour les enfants de 4 à 14 ans souffrant de troubles psychiques ne pouvant pas suivre une scolarité ordinaire. Cet accueil leur permet tout de même de rejoindre leur domicile familial chaque soir, le week-end et pendant les vacances.

    L’hôpital de jour accueille des enfants en fonction de ses troubles, et des soins qui peuvent leur être proposés. Il n’est pas sectorisé et l’admission se fait en fonction des places disponibles après l’examen du dossier. Lorsque le dossier parait cohérent, une semaine d’observation lui est proposé à l’hôpital de jour.

    La structure est contrôlée par la Haute Autorité de Santé à l’aide de la certification. Ceci permet de faire une évaluation régulière de la qualité de soins proposés par l’institution.

    Il est régi par la fonction hospitalière. Le cadre juridique et donc la loi n°2011-803 du 5 juillet 2011 « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. » Elle permet de définir les modalités de prise en charge et d’autoriser la dispense de soins à temps complet. C’est le médecin psychiatre qui établit un projet de soins « Ce programme ne peut être modifié que par un psychiatre qui participe à la prise en charge de l’enfant afin de tenir compte de l’évolution de son état de santé »

    La loi de 2002 relative aux droits des usagers est aussi présente en filigrane, les professionnels doivent inclure les intérêts de l’enfant et de la famille afin qu’ils puissent devenir acteur de la prise en charge. L’établissement a développé des outils de prise en charge tel que le projet d’établissement, le livret d’accueil, le rapport d’activité, la charte des usagers etc… Cependant la loi du 5 juillet 2011 prime sur celle-ci car c’est un établissement de la fonction hospitalière

    • Les missions de l’établissement

    Une équipe pluridisciplinaire propose des soins adaptés à chaque patient. Après une phase d’observation pour repérer les difficultés de l’enfant, l’équipe élabore un projet de soin individualisé construit avec l’enfant et sa famille.

    Ce projet s’inscrit dans le principe des missions de l’établissement. Il doit permettre à l’enfant de pouvoir structurer sa personnalité, de s’ouvrir à la relation aux autres et à la vie sociale, permettre la stimulation de l’apprentissage et de l’autonomie afin d’amener l’enfant vers l’épanouissement individuel.

    • « Le projet de soins individualisé »

    L’hôpital de jour se veut avant tout un « lieu de soins ». Pour répondre aux missions de l’établissement, l’équipe pluridisciplinaire est composée d’un médecin directeur, d’une directrice adjointe (Formation éducatrice), de deux autres psychiatres, de quatre psychologues, d’un psychomotricien, de deux orthophonistes, de deux instituteurs, de dix éducateurs spécialisés, d’un art thérapeute, et d’une secrétaire. Cela favorise plusieurs regards sur une situation et des larges actions de soins. Suite aux observations de l’équipe, le médecin peut poser un diagnostic. L’équipe travaille collectivement à évaluer les besoins thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques de l’enfant. Ces évaluations amènent l’équipe à élaborer un projet de soins individualisés.

    Le projet de soins individualisé sert à guider la prise en charge et à fixer des objectifs afin d’amener l’enfant à avoir un accompagnement de qualité. Au sein de l’hôpital de jour, le projet de soins a aussi une dimension éducative et scolaire. Il se fait en collaboration avec la famille de l’enfant.

    Le projet de soins englobe les projets éducatifs, infirmiers, scolaire etc … le projet est constitué en cinq parties : le projet médical (objectifs de la prise en charge du psychiatre), le projet infirmier (si il a besoin de soins particuliers comme la prise d’un traitement, prévention sur les risques etc …), le projet éducatif ( mettre au point les objectifs de la prise en charge, favoriser l’éveil, accompagner l’enfant dans ses interactions sociales etc ..), le projet scolaire (permettre à l’enfant l’accès aux apprentissages en fonction de ses capacités : il détermine si l’enfant peut être scolarisé etc …) Le projet de soins est rédigé et signé par le médecin psychiatre. Il l’élabore avec les observations de l’équipe. Cependant, les éducateurs spécialisés n’ont pas la possibilité de le modifier ou d’apporter des éléments dessus. Les éducateurs ont accès à cet écrit mais je remarque qu’ils l’utilisent rarement.

    Les projets de soins sont réévalués tous les ans et évoluent en fonction des progrès de l’enfant. Ils ne sont pas figés, de nouvelles prises en charge peuvent y être ajoutées au cours de l’année. Il est discuté lors des réunions de synthèses des enfants et écrit par le médecin psychiatre référent de l’enfant.

    • Le travail avec la famille

    Le travail avec la famille est un élément très important dans les décisions concernant la prise en charge de l’enfant (projet, piste de travail, réflexion). Le projet d’établissement précise :

    « Il est fondamental pour l’évolution de chaque enfant admis à l’hôpital de jour que la famille soit partie prenante du projet de soins élaboré et mis en œuvre. Ainsi nous attachons un soin tout particulier à l’instauration d’une bonne alliance thérapeutique avec les familles, et nous leur proposons diverses modalités de travail et de rencontre tout au long de la prise en charge de leur enfant. »

    Ainsi, lors de la préadmission de l’enfant, un entretien avec le psychiatre et deux éducateurs est proposé afin de discuter : du parcours de vie de celui-ci, de ses difficultés, des modalités de la prise en charge et du fonctionnement. Une semaine d’observation au sein de l’établissement est proposée à l’enfant afin d’évaluer ses difficultés et si il correspond au profil de prise en charge que l’équipe peut offrir.

    Si l’enfant est admis, un entretien est ainsi proposé aux parents. Celui-ci servira à établir des pistes de travail éducatif en prenant en considération la volonté des parents.

    Quand l’enfant a intégré l’établissement, les professionnels ont trois semaines d’observation pour élaborer un projet de soins individualisé. Suite à une réunion de synthèse, un entretien est organisé pour présenter le projet aux parents et y intégrer leurs propositions.

    Au sein de la prise en charge, les professionnels organisent des entretiens tous les quatre mois ou si ils en ressentent le besoin avec le médecin psychiatre et les éducateurs du groupe éducatif. Le rythme est alors établi avec chaque famille en fonction de la situation et des difficultés de l’enfant. Ces entretiens permettent d’évoquer l’évolution de l’enfant, sa prise en charge et de son projet pour leur permettre de mieux comprendre la pathologie de leur enfant mais aussi de les soutenir dans leur parentalité. Selon le projet institutionnel,  » Le médecin référent est également à l’écoute de la souffrance parentale, il soutient le processus de restauration de la fonction parentale mise à mal par la maladie de l’enfant« 5. Les professionnels sont régulièrement en contact téléphonique avec eux, notamment lorsqu’ils constatent un changement dans le comportement de l’enfant. Par ailleurs, l’hôpital de jour a mis en place des temps de rencontre collective sous la forme de réunion ou bien alors de fêtes institutionnelles organisés le samedi matin. Deux réunions sont proposées une en début d’années afin de les accueillir et de les informer. Une autre pour parler du séjour thérapeutique proposé aux enfants à chaque fin d’année. Deux grandes fêtes ont aussi lieu. Les parents sont invités à partager un temps avec leur enfant et avec les professionnels de l’institution. « Ces moments sont importants dans la vie de l’institution et permettent de rencontrer les familles dans un cadre plus informel. La présence de l’ensemble de l’équipe et la disponibilité de chacun contribuent à faire de ces temps de précieux espaces d’échanges. »6

    J’aborderai ainsi plus tard une fête institutionnelle qui nous a permis de jouer tous ensemble (parents/ éducateurs/enfants) et a participé à créer une alliance avec les parents de Mohammed.

    • Les groupes éducatifs

    L’hôpital de jour accueille trente-deux enfants de 4 à 14 ans souffrant de « troubles du développement ou de la personnalité ». Les enfants ont la possibilité d’être accueillis à temps partiel lorsqu’ils ont les capacités d’aller à l’école pendant des petits temps adaptés en fonction de la problématique de l’enfant. Cela peut aller d’une heure tous les deux jours à une demi-

    5 Projet de l’établissement de l’hôpital de jour

    6 Projet d’établissement de l’hôpital de jour

    journée par jour. À l’exception du mercredi matin, où on demande à tous les enfants pris en charge par notre établissement d’être présents. Pendant cette matinée, des ateliers de groupe sont proposés aux enfants pour travailler la dynamique de groupe.

    Les « groupes éducatifs » sont un point d’ancrage des enfants. Le groupe permet d’offrir un cadre rassurant et contenant. Les rythmes et les besoins de l’enfant sont y respectés. Sur le groupe éducatif, un travail est mené par les professionnels sur la socialisation, sur l’accès aux capacités socio relationnelles. L’objectif est d’accompagner l’enfant à s’adapter aux règles de la vie collective. Les éducateurs sont présents à chaque temps de repas, qui est un moment très important pour travailler les objectifs de la socialisation.

    Pour accompagner les enfants, les éducateurs proposent des activités adaptées afin de travailler les objectifs énoncés précédemment. Les professionnels s’appuient sur les centres d’intérêts des enfants, leur formation, leurs compétences et leurs passions pour mener des activités. La mise en place de l’activité est discutée en équipe afin de lui permettre une cohérence dans l’accompagnement de ces enfants.

    Les enfants sont répartis en quatre unités éducatives en fonction de leur autonomie et de leur problématique. Chaque unité a un nom de couleur en fonction de sa salle.

    La première unité est celle des marrons: douze enfants de 8 à 13 ans sont pris en charge par trois éducateurs spécialisés. C’est un grand groupe mais beaucoup d’enfants vont à l’école le matin. Ce sont des enfants qui ont le langage, certains sont plutôt très autonomes dans les apprentissages.

    Le deuxième groupe est celui des oranges : Il y a douze enfants de 9 à 14 ans avec trois éducateurs spécialisés. C’est un groupe où tous les enfants vont à l’école, mais les enfants accueillis sur ce groupe sont très individuels, ils jouent seuls, il n’y a aucune cohésion de groupe, ils acceptent très peu les demandes de jeu des éducateurs.

    Le troisième groupe est celui des violets : six enfants de 6 à 10 ans pour deux adultes, ils sont très peu autonomes, certains enfants sont en relation avec les adultes et leur pair. D’autres font complètement abstraction des personnes qui les entourent. Ils ont besoin d’un accompagnement très individuel et personnalisé car ils ont des pathologies très différentes les uns des autres.

     Le dernier est celui où j’ai effectué mon stage, le groupe des rouges : il y a six garçons de 4 à 12 ans pour deux éducateurs. Les éducateurs sont tous les deux les référents des enfants. Ce groupe a été créé il y a 4 ans, il accueille les enfants les moins autonomes et ceux qui ont le plus

    de difficultés à être en relation avec les autres. Chaque enfant a une problématique différente mais ils demandent tous une attention très particulière ainsi que des techniques de communication très différentes. Trois d’entre eux n’ont pas accès au langage, les trois autres parlent mais rencontrent des troubles relationnels très élevés. C’est un groupe où la violence est souvent présente entre les enfants, envers les éducateurs et même envers eux-même. Nous avons des objectifs différents pour chaque enfant mais le principal est d’accompagner l’enfant à s’ouvrir aux autres, de le faire accepter l’autre et de stimuler les relations sociales à travers des médiations.

    • Le public

    L’hôpital de jour est mandaté pour accueillir des enfants ayant des troubles importants psychiques, qui se traduisent par des troubles de communication et de relation à l’autre ou des troubles de comportement. Un enfant autiste peut avoir aussi des troubles psychotiques associés à leurs symptômes prédominants et inversement.

    • La psychose infantile7

    La psychose se manifeste de manière très différente en fonction des sujets. Cependant, la psychose affecte toujours l’organisation même de la personnalité. D’après Magareth Mahler8, la psychose est un « trouble extrême de l’identité ».

    D’après Jean Pierre Favre, l’identité est le sentiment d’exister par lui-même. « On peut dire qu’il s’agit d’un sentiment d’exister de façon autonome, d’être unique et de durer »9. L’identité se construit à travers la personnalité et l’imitation. Nous prenons ce qui nous intéresse chez l’autre. L’identification est un processus qui se travaille et ne cesse d’évoluer tout au long de la vie. Il permet de se distinguer des autres sujets. Chez l’enfant, il permet la séparation avec la mère, bien que cela soit encore très fragile. Il va pouvoir prendre conscience qu’il est un sujet à part entière, et que sa mère en est un autre. Plus tard dans l’enfance, une deuxième étape de l’identification permet de s’identifier à un sexe (garçon ou fille) au moment du stade œdipien de

    7 Pour cette partie, je me réfère à : JP Favre, L’enfant psychotique : approches thérapeutiques en institution, Edition Masson

    8 Margareth Mahler, psychiatre et psychanalyste américaine, elle s’est intéressée dans ses recherches à la psychose infantile.

    9 JP Favre, L’enfant psychotique : approches thérapeutiques en institution, Edition Masson, p 6

    Freud. Ainsi, l’enfant peut enfin se considérer comme sujet autonome et construire sa personnalité, son identité.

    L’enfant psychotique, lui, n’accède pas à l’identification. Ainsi, ce processus s’arrête avant que le sujet ait pu achever sa construction en tant que sujet, c’est-à-dire « moi je ». Au cours de mon stage, j’ai rencontré beaucoup d’enfants qui parlaient d’eux-mêmes à la troisième personne du singulier. Ils peuvent aussi utiliser le « tu » au lieu du « je », lors d’une demande. Akim me parle souvent de lui à la troisième personne « Tu sais, Akim a faim » ou bien il me dit

    « tu veux aller aux toilettes » et il part en courant, se dirigeant vers ceux-ci. La conséquence de ce processus inachevé est que l’enfant psychotique ne fait pas la différence entre lui et l’autre. Il n’a pas de délimitation corporelle c’est-à-dire qu’il ne fait pas la différence par exemple entre ses mains et celles des autres. Une confusion s’installe entre lui et l’Autre. La séparation avec la mère est alors aussi compliquée. N’arrivant pas à s’en détacher, l’enfant psychotique peut considérer que sa mère est sienne et non un sujet autonome. La séparation ne peut donc se faire. En stage, à de nombreuses reprises, j’ai entendu un petit garçon Tristan, âgé de 6 ans dire « Ma mère et moi allons avoir un bébé. » On dirait bien que cet enfant souffrant de psychose infantile ne fait pas la différence entre le corps de sa mère et le sien.

    Ainsi, la séparation (toi/moi) est une véritable source d’angoisse pour ces enfants. C’est comme si nous lui retirions une partie de lui-même. Ce processus inachevé n’est pas sans conséquence dans le développement de l’enfant et peut se manifester de différentes façons. La psychose se manifeste donc par différents symptômes :

    • Le morcellement : ne pas avoir conscience d’un corps unifié. Gaëlle me prend souvent la main quand elle dessine, elle ne fait pas la différence entre la sienne et la mienne.
    • Les ex-corporations : difficulté à percevoir ce qui sort de son corps ou à extraire quelque chose de son corps (urine- défécation ….). Axel est un enfant qui se retient énormément d’aller aux toilettes. Suite à ce problème, il a été hospitalisé à de nombreuses reprises pendant mon stage.
    • L’hyperkinésie : une agitation très forte et incessante. Gaëlle est une enfant qui se montre sans cesse dans l’excitation, incapable de rester dans la salle, elle est sans cesse en train de courir, de sauter, y compris pendant les repas, ses prises en charges.
    • L’automutilation : L’angoisse est tellement forte, que le seul moyen de l’apaiser est de se faire mal. J’ai déjà vu en stage des enfants qui se mordent à sang lorsque l’angoisse

    est présente. C’est le cas d’Axel quand la frustration est trop forte, il se mord, se tape la tête contre le mur.

    • Les conduites de destructions : faire tomber des objets afin de provoquer une explosion de bruit … Axel adore prendre des Kapplas et les empiler les uns sur les autres afin de constituer une grande tour. Quand celle-ci lui semble assez haute, il prend un grand plaisir à la détruire d’un coup, et répète l’action pendant un certain temps.
    • L’éclatement agressif : Mécanisme de défense qui surgit lors de l’angoisse et amène les enfants à avoir des gestes violents envers les autres ou envers eux-mêmes car ils ne supportent pas quelque chose. J’ai vu plusieurs enfants exploser pour un simple « non » pour un bonbon ou un gâteau, l’enfant peut ne pas le supporter et ainsi se défendre face à cette angoisse avec des coups.
    • Envahissement : L’enfant perçoit son environnement comme une source d’angoisse insupportable. Il se sent souvent menacé par les personnes qui l’entourent. Mélanie Klein10 appelle ces angoisses : paranoïdes ou angoisses de persécution. Un jour, je pose une question à Akim en lui chuchotant à l’oreille. Tristan se retourne et se met à m’insulter.

    Ainsi, toujours selon Jean-Pierre Favre, ces différents symptômes se manifestent de façon différente chez ces enfants et peuvent même provoquer un développement déficitaire ou bien des phases de régression lorsque l’angoisse est très forte. Ses représentations et sa communication peuvent donc être perturbées. L’enfant psychotique peut être incapable d’exprimer verbalement ses angoisses, n’ayant pas toujours les moyens d’utiliser les outils de communication ordinaires. L’angoisse s’exprime souvent donc par le corps et par les symptômes.

    Aussi, chez l’enfant psychotique, le jeu est également perturbé. En effet, d’après Alain Rouby, le jeu favorise le processus de l’identification pour que l’enfant se construise en tant que sujet autonome. « Les enfants psychotiques ne jouent pas : ils effectuent parfois des gestes répétitifs qui ont l’allure du jeu ; ces gestes peuvent apaiser leur angoisse, mais ils n’en éprouvent pas de plaisir pour autant ; ils peuvent cependant y trouver une satisfaction, mais celle-ci semble liée à l’immuabilité : le geste revient sans cesse, identique, stéréotypé ; alors qu’une partie du plaisir de jouer (quand on joue réellement) se trouve dans l’expérimentation, l’exploration et la variété »11.

    10 Mélanie Klein, psychanalyste austro-britannique, qui a consacré sa carrière à la psychanalyse chez les enfants.

    11 Alain Rouby, Eduquer et soigner l’enfant psychotique, Dunod, p 47

    Alors, comment les accompagner vers un jeu authentique ? Comment l’amener à prendre du plaisir et à le partager avec les autres personnes de l’institution ?

    • L’Autisme12

    L’autisme défini par Kanner est basé sur deux symptômes : « La solitude et l’instance obsessionnelle d’immuabilité affirme-t-il, sont les deux principaux critères diagnostiques de l’autisme infantile précoce. »13

    Les enfants souffrant de troubles du spectre autistique (TSA) ont des difficultés qui se manifestent de différentes façons dans les relations sociales. Ainsi leur pathologie amène à

    « l’inaptitude des enfants à établir des relations normales avec les personnes et à réagir aux situations depuis le début de la vie. »14. Ils sont souvent décrits comme des personnes qui sont

    « autosuffisants, agissant comme si personne n’était là. »15 Cette solitude amène l’enfant à rejeter, exclure ce qui vient de l’extérieur. Le regard est très fuyant, il ne cherche pas spécialement à être en relation avec l’Autre, il n’a aucune attente envers l’autre. Il ne cherche pas à partager, ni à échanger avec les personnes qui l’entourent. C’est comme si, il s’enfermait dans un monde où lui seul existe. Une fois, lors d’un entretien parental, la mère de Quentin se confie à nous et nous dit : « Si un jour, je meurs, je ne suis même pas sûre qu’il s’en apercevrait.»

    La relation à l’Autre est perçue comme une menace. Ainsi, le contact physique, verbal et le bruit sont des sources d’angoisse spectaculaires pour ces enfants, pouvant provoquer des comportements violents, de rejet et de repli sur soi.

    Par ailleurs, Le monde extérieur est ainsi fixé par l’enfant dans une permanence immobile, où tout doit être à la même place et où les actions doivent se dérouler dans le même ordre que celui où l’enfant les a découverts pour la première fois. » 16 Un jour, en stage, nous avons modifié la disposition de groupe éducatif afin de réaménager l’espace pour avoir plus de places. Quentin n’a pas supporté ce changement. Obsessionnellement, il déplaçait tous les meubles afin de retrouver la disposition d’avant, provoquant des crises très violentes lorsque nous essayions de l’arrêter.

    12 Cette partie se refera essentiellement à l’ouvrage de Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, Champ freudien

    13 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, Champ freudien, p 35 14 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, Champ freudien, p 35 15 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, Champ freudien, p 35 16 Jean- Claude Maleval, L’autisme et sa voix, Champ freudien, p 36

    Par ailleurs, les enfants autistes « ont une relation anormale très forte avec certains objets, ils ne peuvent pas vivre par exemple sans une cravache, un bout de bois, une poupée de chiffon, ne peuvent ni manger, ni dormir s’ils ne l’ont pas avec eux et se défendent avec vigueur si l’on veut les en séparer ».17 Ils se créent une « carapace, une bulle » permettant de les rassurer et de les sécuriser. Colin est souvent à l’écart du groupe, prenant toujours soins de son stylo, il l’a sans cesse dans les mains et peut passer des heures à taper sur la table avec.

    De nombreux théoriciens comme S. Baron-Cohen18 dégage un trouble fondamental de l’autisme : « l’incapacité à se forger une théorie de l’esprit »19 ; l’être humain non pathologique est capable d’interpréter les gestes, les actes des autres, et donc d’anticiper leurs effets. Nous interprétons comment l’autre agit et ainsi nous essayons de nous mettre à sa place. « C’est cette faculté d’empathie qui ferait défaut à l’enfant autiste »20 et ainsi il ne cherche pas à comprendre ce qu’il se passe autour de lui, il agit en fonction du moment présent et à partir de simples faits.

    Ainsi tous ces troubles amènent l’enfant à s’exprimer avec son corps et à travers son comportement. Ils affectent énormément les capacités de communication et d’apprentissage, pouvant même engendrer une déficience. Certains enfants autistes n’ont pas accès au langage, ils s’expriment par des sons ou en criant. D’autres l’ont mais s’expriment simplement par des mots répétés n’ayant pas spécifiquement de lien entre eux. Colin peut répéter à longueur de journée des phrases qu’il a entendues dans des dessins animés ou à la télévision. Toujours en les répétant en boucle « fromage, tablette, bouche ». D’autres s’expriment sous forme d’écholalies (Mots ou phrases répétés systématiquement) Si je demande à un enfant « tu veux un gâteau » il va répéter ma phrase sans cesse sans répondre à ma question.

    L’autisme se manifeste très précocement chez l’enfant. Il peut montrer des signes dès les premiers mois de vie comme la fuite du regard, un manque d’attention pour son environnement et ses parents. Il va parfois parler, marcher plus tardivement que la normale et montrer du retard dans les apprentissages. C’est souvent lors de son entrée à la crèche et à l’école que cela se détecte par l’absence de la stimulation de l’autre, ne cherchant pas à être en relation avec ses pairs, ni avec l’adulte.

    Bien que la recherche sur l’autisme soit encore inachevée et que nous ayons encore très peu de connaissances sur cette pathologie, une forte augmentation du nombre d’autistes a été

    17 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, champ freudien p38

    18 Simon Baron-Cohen, professeur de psychopathologie du développement à l’université de Cambridge

    19 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, champ freudien, p 54

    20 Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, champs freudien, p54

    détectée depuis 2000 ; « Il y a quelques années, on croyait que 5 personnes sur 10 000 étaient atteintes d’autisme, mais les recherches épidémiologiques récentes qui se fondent sur les critères du DSM III-R (Diagnostic Statistical Manual, 3eme version revue), font état de 10 personnes sur 10 000 »21 . Cela est dû à la classification de forme d’autisme plus large. On diagnostique maintenant plus d’enfants qu’auparavant. À l’époque, certains enfants n’auraient pas été diagnostiqués ainsi. L’enfant peut être atteint de différentes sortes d’autisme comme l’autisme Asperger, autisme de Kanner etc… mais toutes ces formes perturbent les relations sociales.

    Aussi le jeu est rare chez les enfants autistes car il signifie souvent l’obligation de la relation. Il peut être très angoissant et intrusif pour ces enfants-là. Ils n’ont pas de dimension imaginaire car ils sont dans l’incapacité de se projeter et d’interpréter. « Le jeu symbolique fait appel à l’aptitude qui consiste à « aller plus loin que la perception », à dépasser le sens littéral. Pour la majorité des autistes cela est un problème tout au long de leur vie. »22 . Ainsi, les jeux sont très difficiles à mettre en place avec ces enfants-là. J’ai remarqué aussi que lorsqu’on essayait d’en mettre un en place, c’était un jeu pour les tout-petits, décalés par rapport à leur âge. Boris, 12 ans accepte de faire un seul jeu: le memory, des images sont face cachée et le but est de mémoriser où les paires sont placées afin de les retrouver. En temps normal, j’utilisais ce memory avec des enfants de 4 ans. Comment alors introduire des jeux plus riches avec eux ?

    II/ La rencontre par le jeu virtuel

    1. Introduction
    1. Les apports du jeu dans la relation

    Lorsque les enfants autistes et psychotiques s’enferment dans leurs stéréotypies, on peut avoir l’impression qu’ils jouent. Jouent-ils vraiment ? D. Williams écrit qu’elle aimait manipuler des objets, mais que finalement ce n’était pas un jeu réel car elle répétait des gestes sans symbolisme, aucune imagination, ni créativité n’émerge de ce jeu23. Chaque enfant est différent dans ce domaine. Certains peuvent « jouer » seul, d’autres ont besoin de l’autre pour faire exister le jeu. D’autres ne sont pas du tout dans le jeu. Mohammed joue toujours au même jeu, seul. Il

    21 Theos Peeters, L’autisme : de la compréhension à l’intervention, 2eme édition, Dunod, p 7 22 Theos Peeters, L’autisme : de la compréhension à l’intervention, 2eme édition, Dunod p 187 23 D. Williams, Si on me touche, je n’existe plus, p23-24

    s’agit pourtant d’un jeu de société où le but est d’habiller les personnages le plus rapidement possible. Pour ce faire, on lance deux dés : un avec le type de vêtements et l’autre avec la couleur et ainsi de suite jusqu’à qu’il soit complétement habillé. Il peut passer des heures sur ce jeu, cependant dès que quelqu’un veut jouer avec lui, il part et arrête. Quand à Tristan, il sollicite les adultes et les enfants afin de jouer au train en bois, et est capable d’inventer des scénarios imaginaires.

    Pourtant le jeu peut ouvrir une porte dans la prise en charge éducative. Il peut se présenter comme un véritable détour éducatif pour créer la rencontre, en prenant en considération les centres d’intérêts et le plaisir de l’enfant. « Il ne faut jamais oublier que le jeu est une thérapie en soi. Faire le nécessaire pour que les enfants soient capables de jouer, c’est une psychothérapie qui a une application immédiate et universelle ; elle comporte l’établissement d’une attitude sociale positive envers le jeu. »24

    C’est par le jeu, que les enfants intègrent les codes sociaux de la société et les premiers apprentissages. Il permet d’amener les enfants à accepter les contraintes des règles de vie et participe à « l’intégration de la personnalité ».25

    1. Les apports du jeu virtuel chez les enfants souffrant de troubles relationnels

    Des études ont montré que les jeux vidéo pouvaient permettre à des enfants autistes de s’ouvrir aux apprentissages, mais aussi à la relation sociale. Le psychologue Simon Baron Cohen précise « que des enfants de cette nouvelle génération d’autistes pourront trouver les moyens de s’épanouir en utilisant leur compétence dans la technologie numérique pour trouver du travail, des amis et même d’innover… Les nouvelles méthodes d’enseignement informatique seront en mesure de percer le mur qui sépare l’autisme de la société. »26

    Je vais aborder l’utilisation d’une médiation « tablette numérique » afin de créer la rencontre avec un garçon de six ans qui était dans le rejet total de l’hôpital de jour. Il met souvent nos prises en charge en échec. La communication est très complexe avec cet enfant. Les travaux de Benoit Virole montrent que « les tablettes numériques avec une interface tactile, sont souvent présentées comme des systèmes palliatifs aux difficultés de communication des personnes

    24 Winnicott, jeu et réalité ; l’espace potentiel, 1971, Gallimard p 71

    25 Bailly Remi, le jeu dans l’œuvre de D.W Winnicott, enfance et psy, 3/2001 (n°15), p41-45 26 Remi Sussan, la réalité virtuelle au secours des autistes, février 2008 http://www.internetactu.net/2008/02/06/la-realite-virtuelle-au-secours-des-autistes/

    autistes. Certes, elles permettent un usage facilité d’images, de textes, de sons offrant à la personne autiste la possibilité de contourner ses difficultés expressives et/ ou motrices. » 27

    Lors d’une réunion, nous avons décidé de mettre en place cet atelier car la tablette numérique crée du lien social. Il va être en réalité un projet d’accompagnement individualisé pour Mohammed.

    Dans cette situation de rejet total de la relation avec autrui, l’équipe a pensé qu’il était d’abord préférable de lui proposer une médiation individuelle où il pourrait être dans l’échange avec un adulte avant de lui offrir un accompagnement collectif.

    • Présentation de Mohammed

    Mohammed, petit garçon de six ans qui est arrivé dans le groupe éducatif des rouges en septembre 2015. Il a été diagnostiqué comme ayant des troubles du spectre autistique. Il est actuellement en classe de CP à temps partiel grâce à l’aide d’une AVS. C’est un garçon qui ne supporte pas le changement. Sa rentrée, dans la structure, a été très compliquée. Nous rencontrons beaucoup de difficultés à travailler avec sa famille. Les parents semblent très présents pour leur fils, mais ils ont pu nous dire qu’ils ne comprenaient pas pourquoi leur enfant va dans un établissement spécialisé. Ils ne semblent pas de se rendre compte des difficultés de leur fils. Ils n’hésitent pas à dire que leur fils n’est pas « fou », considérant par ailleurs que d’autres enfants accueillis dans l’établissement le sont.

    D’après eux, la place de Mohammed est à l’école. D’ailleurs à plusieurs reprises, ils ont voulu le retirer de l’hôpital de jour, pour lui permettre une scolarité à temps complet. L’équipe éducative a procédé à un long travail afin qu’il ait un accompagnement adapté à sa pathologie.

    Dès qu’il est arrivé dans le groupe, Mohammed s’est complètement renfermé sur lui- même. Il a tout de suite rejeté les enfants, les éducateurs et les professionnels qui le prennent en charge en s’enfermant dans ses stéréotypies à longueur de journée et en évitant tout contact. Il avait une capacité étonnante à faire abstraction des personnes qui l’entourent et à s’enfermer dans une bulle. Pour Theo Peeters, le syndrome autistique altère les interactions sociales. Mohammed peut se trouver en « incapacité à établir des relations avec ses pairs »28. Il peut

    27 Benoit Virole : docteur en psychopathologie et docteur en science du langage, L’autisme et les tablettes numériques, avril 2014, http://virole.pagesperso-orange.fr/TabletAutism.pdf

    28 Theo Peeters, L’autisme : de la compréhension à l’intervention, 2eme édition, Dunod, p 6

    parler de lui à la troisième personne. Il est en incapacité de regarder une personne dans les yeux. Lorsque l’éducateur lui parle et qu’il le regarde, il fuit tout de suite. Il passe ses journées à taper dans ses mains en faisant le tour de la salle, des sons répétitifs accompagnent généralement ses stéréotypies.

    C’est un enfant qui s’exprime bien quand il fait des demandes, cependant lorsqu’il est angoissé, il peut faire des écholalies, répéter le dernier mot de la phrase entendue en boucle. Il n’a pas de retard pour les apprentissages. C’est un enfant qui est très ritualisé. S’il y a un changement dans le groupe, il ne le supporte pas et simule des vomissements. Lorsqu’on change un objet de place, il faut systématiquement qu’il le remette à sa place. C’est un enfant pour qui les repères de la journée sont très importants et il a besoin systématiquement de faire son emploi du temps en arrivant à l’hôpital de jour. Si un éducateur veut l’accompagner dans cette démarche, il stoppe toute suite cette activité.

    Il va à l’école tous les matins, il arrive donc à midi dans l’établissement. A ce moment- là, il ne vient pas nous voir, nous sommes obligés de guetter s’il est présent. Il va tout de suite se faufiler dans la salle des enfants, et surveille si on vient le chercher. Dès qu’il nous voit, il part se cacher en disant « Oh non non pas le groupe ! Pas le groupe Mohammed ne veut pas ». Il accompagne souvent cette phrase avec une simulation de vomissement, se mettant dans des états d’angoisses très élevés.

    Lorsque nous arrivons à l’amener sur le groupe, il ne veut rien faire. Lorsque nous lui proposons des activités, il refuse et nous fuit. Même s’il accepte de s’assoir avec nous, il ne participe pas et a une attitude très rejetante. Il ne parle pas et dès que nous lui posons une question, il s’enferme dans ses stéréotypies en baissant la tête.

    Ses prises en charge avec les psychologues, l’orthophoniste et le psychomotricien sont également très compliquées. Dès que les professionnels viennent le chercher, il fait semblant de ne pas les avoir vus ou entendus en continuant de faire le tour de la pièce et en claquant des mains comme à son habitude. Certains professionnels décident alors de pas le prendre car il peut être totalement absent lors des prises en charge, d’autres le prennent et Mohammed part au bout de cinq minutes. Dès que le professionnel lui tourne le dos, il franchit la porte et se balade dans les couloirs.

    Les éducateurs de mon groupe utilisent diverses méthodes pour le mettre en confiance dans l’établissement : par exemple, le prendre sur les genoux et jouer avec des jeux de société adaptés à ses capacités. Il prend les cartes et les jette par terre. Ils ont aussi tenté d’utiliser des

    outils un peu plus scolaires comme la lecture, ou l’écriture, mais il refuse toujours nos propositions. Pourtant, d’après les enseignants de l’école, Mohammed sait lire et écrire, il prend plaisir à le faire, à apprendre de nouvelles choses, et il adore chanter des comptines. On dirait qu’on ne parle pas de la même personne. À l’hôpital de jour, il a toujours refusé de nous montrer qu’il savait lire, il ne veut pas chanter les comptines lors de l’atelier proposé le mercredi matin. D’ailleurs, il anticipe toujours cet atelier en nous disant deux heures avant : « je ne veux pas l’atelier comptines, Mohammed ne va pas le faire ». C’était la seule activité de groupe proposée dans son emploi du temps. Il finissait par venir et nous tournait le dos en disant « je ne veux pas » pendant le temps de l’atelier.

    Le mardi et le jeudi, il mange avec un autre groupe de l’hôpital de jour. Mohammed nous exprime toujours sa joie de ne pas manger avec nous. C’est les seuls moments où il vient nous voir de son initiative en nous répétant jusqu’au repas « Pas les rouges, les violets ». Il mange plus de choses qu’avec nous. Il a une bonne relation avec l’éducatrice du groupe des violets et il sait très bien nous le faire comprendre. Un jour, alors que je suis seule sur le groupe, l’éducatrice est venue passer un petit temps avec Mohammed, ils ont ouvert un livre de comptines, et l’éducatrice s’est mise à chanter, Mohammed l’a suivie. C’est alors la première fois, que je l’entends chanter.

    Mais alors pourquoi ce rejet total de notre groupe ?

    Comment aider cet enfant à accepter notre aide et à nous faire confiance ?

    Peut-être que Mohammed reproduit le rejet de ses parents vis-à-vis de nous. En effet, ses parents sont « dans le déni de son handicap ». Lors des entretiens avec les professionnels, sa mère décrit un petit garçon normal, qui ne fait jamais de crise, et qui est doué à l’école. Sa mère se présente comme une femme qui fait attention à son physique, elle ne travaille pas et donne tout son temps à ses deux fils. Elle dit qu’elle ne rencontre pas de difficulté particulière avec ses fils. Son attitude avec ses enfants montre l’inverse. Lors d’un entretien où j’ai participé, Mohammed demande le goûter à sa mère, elle répond « non tout à l’heure ». Mohammed et son frère commencent à fouiller dans son sac pour prendre les gâteaux en s’agitant. Elle finit par leur donner en disant « comme ça, ils seront calmes ». Un autre jour, en sortant de l’hôpital de jour, je me dirige vers le métro afin de rentrer chez moi. Au loin sur le quai, j’aperçois Mohammed et sa famille assis sur les bancs. Je vois le petit frère de Mohammed s’approcher dangereusement de la voie. Alors qu’il se tient au bord du quai, ses parents sont toujours assis sur les bancs et c’est Mohammed qui est venu le chercher en lui disant d’une voix affolée « fais

    attention tu vas tomber », il l’a pris par la main et la ramener à ses parents. Au fur et à mesure des entretiens, nous avons pu percevoir une femme très fragile sous sa « carapace ».

    Par ailleurs, dès que Mohammed a le moindre petit rhume, blessure, sa mère préfère le garder à la maison, il est par conséquent souvent absent alors qu’elle l’amène à l’école, le matin.

    Ainsi, ce sont des parents qui n’ont absolument pas confiance dans notre travail avec leur fils, elle nous l’a d’ailleurs avoué à plusieurs reprises. Je pense que Mohammed l’a ressenti et reproduit le rejet de ses parents avec nous. Il est possible qu’il se trouve dans un conflit de loyauté. « Le conflit de loyauté peut se définir comme un conflit intra-psychique né de l’impossibilité de choisir entre deux situations possibles, ce choix concernant le plus souvent les sentiments ou ce que nous croyons être envers des personnes qui nous sont très chères »29. Ainsi Mohammed ne veut sans doute pas « trahir » ses parents qui refusent sa prise en charge. Il ne s’autorise peut-être pas à investir son accompagnement.

    Suite à cette résistance de la famille et de l’enfant, je me suis demandé comment aider cet enfant à accepter l’aide des professionnels de l’hôpital de jour. Une résistance qui peut être vécu très violement pour l’éducateur au point d’être démotivé par cet enfant. Mon collègue, Eric m’a avoué qu’il était découragé par cet enfant, et qu’il pouvait avoir tendance à le mettre de côté.

    À certains moments, je me suis trouvée en difficulté face à Mohammed, en me demandant si je ne lui faisais pas violence à vouloir absolument l’amener dans la rencontre. J’avais du mal à accepter son rejet. Cependant, La résistance ne devrait pas être un frein à la relation éducative.

    « Il y a donc résistance, et de cette résistance naît ce que je nomme le « moment pédagogique », c’est-à-dire ce moment où j’entends que l’autre ne marche pas, « n’entre pas dans mon jeu », s’enferme dans son mutisme ou réagit par violence. Or, c’est à ce moment-là que tout peut basculer : ou bien l’éducateur veut briser cette résistance et tous les moyens seront bons pour cela, de la séduction à l’exclusion… Ou bien l’éducateur accepte de travailler sur cette résistance et de repenser ses méthodes pédagogiques. »30 C’est ainsi que naît l’idée de l’atelier tablette numérique, car j’ai déjà remarqué que les enfants autistes sont très intéressés par cette médiation, même ceux qui n’ont pas pour envie d’être en contact avec les personnes du groupe.

    29 Daniel Lebroche, pédopsychiatre, L’enfant pris dans un conflit de loyauté, http://perso.numericable.fr/enfants.papa/monblog/le-conflit-de-loyaute-un-pere-c-est-tres-important.pdf        30 Philippe Mérieu, les méthodes en pédagogie, in Ruano-Borbalan J.-C, Eduquer et Former, p104

    • La mise en place de l’atelier Tablette numérique

    L’équipe éducative était démunie face à sa situation. Mohammed était souvent oublié par les éducateurs et les enfants du groupe. Une réunion d’équipe a été mise en place pour discuter de son évolution et pour faire des propositions adaptées à son accompagnement.

    Lors de cette réunion, tous les professionnels se sont mis d’accord sur un point : après quatre mois de prise en charge dans notre établissement, sa situation est de plus en plus inquiétante, aucune proposition n’a abouti à un changement. Son accompagnement est jusqu’à présent un échec. Même lorsque l’équipe essaye de s’appuyer sur ses centres d’intérêts par exemple sa passion pour le métro, il reste indifférent à l’invitation.

    Je prends la parole et dis : « Mohammed est le seul enfant du groupe qui ne dispose pas d’un atelier tablette dans son emploi du temps. Généralement, ce sont des temps que les enfants adorent, ils partagent leurs jeux avec les éducateurs et la tablette favorise le lien entre l’éducateur et l’enfant. Dans son cas, la tablette peut être considérée comme un outil pour favoriser la rencontre et la communication qui passe par le jeu virtuel. C’est aussi un temps privilégié où l’enfant se retrouve seul avec son éducateur. Cet atelier pourrait reprendre les objectifs de son projet individualisé. S’il s’investit dans celui-ci, nous pourrons par la suite lui proposer de participer à cette médiation en groupe. ».

    Selon la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale31, toutes les institutions doivent proposer un accompagnement individualisé et personnalisé à chaque personne accueillie. Son élaboration se fait en équipe pluridisciplinaire. Le projet individualisé met un avant les objectifs d’une prise en charge. Les ateliers où participe l’enfant y sont mentionnés ainsi que ses objectifs.

    Pour Mohammed, je pense qu’il est très important, voire même indispensable qu’il commence par un atelier individualisé. Selon moi, pour pouvoir l’accompagner dans sa prise en charge, il est important que le lien se crée d’abord avec deux ou trois éducateurs avant de lui proposer une prise en charge collective. Il ne pourrait pas s’investir de la même façon dans un groupe. En lui proposant, un accompagnement individualisé cela lui offrira un temps privilégié avec l’adulte.

    31 Site internet : actimeo, Le projet individuel, sur http://www.actimeo.fr/Projet-individuel/

    Mon éducateur référent explique que cela peut être une piste de travail intéressante et à explorer. Il me propose de mener cet atelier. Nous avons donc élaboré les pistes de travail ensemble.

    Les objectifs de l’atelier sont:

    • Essayer d’établir une rencontre avec cet enfant
    • Favoriser la communication entre les éducateurs et l’enfant.
    • Que l’enfant s’investisse dans une prise en charge
    • Essayer qu’il s’ouvre à nous lors des moments quotidiens

    Nous décidons pour des raisons pratiques que l’atelier Tablette se fera le mardi après- midi. L’éducateur trouve que c’est très important que l’atelier tablette soit hebdomadaire, cependant l’alternance ne me permet pas d’être là tous les mardis et lui, il ne peut pas se détacher du groupe. Il a donc proposé à une stagiaire psychologue de participer à cet atelier avec moi.

    A la réunion suivante, nous expliquons à la direction notre projet : partir du plaisir de l’enfant afin de créer une vraie relation éducative.

    La direction a validé notre projet, nous a demandé de l’écrire, et de créer une grille d’évaluation pour mettre en avant ses évolutions négatives ou positives. Nous avons donc pris du temps ensemble pour écrire le projet et faire une petite grille d’évaluation. Une fois, le projet validé par la direction, l’équipe éducative et moi-même avons commencé à en parler à Mohammed à l’aide de pictogrammes car nous avons remarqué qu’il est plus réceptif à ce mode de communication. Mohammed ne semble pas ravi de participer à cet atelier mais il nous a écouté attentivement.

    Cet atelier a été mis en place en janvier et a continué chaque semaine jusqu’à la fin de l’année c’est-à-dire juillet.

    • Déroulé de l’atelier Tablette numérique
    • Mohammed s’enferme dans son jeu

    Lors de la première séance, la stagiaire de psychologie et moi sommes venues le chercher dans la cour. Mohammed montre des réticences à nous suivre. Il s’assoit en face de la table, je lui donne la tablette, il me la prend des mains sans nous regarder, ni dire un mot. Il l’allume, je

    lui demande « Tu joues à la tablette à la maison ? ». Aucune réponse de sa part. Il met un jeu qu’il connait très bien. Avant même de lancer le jeu, il répète les paroles du jeu en boucle en faisant complètement abstraction de nous. J’observe qu’il sait déjà utiliser une tablette numérique. J’en déduis donc qu’il y joue à la maison. Mohammed est complètement enfermé dans le jeu. Quand nous lui posons des questions sur le jeu, il faut qu’on la pose trois fois minimum pour qu’il nous réponde enfin. C’est un jeu très répétitif et malgré nos invitations, il n’a pas voulu changer d’application, il continue. Quand nous lui expliquons que l’atelier est fini, il pose la tablette et part directement dans la salle des enfants comme à son habitude. Il refuse de rejoindre le groupe. Pendant cette séance, la rencontre n’a pas eu lieu. C’est donc un échec pour nous, cependant nous n’avons pas perdu espoir, car les enfants ont parfois besoin d’un temps d’adaptation.

    La semaine suivante, le mardi, à son arrivée dans l’établissement, Mohammed vient directement me voir alors qu’il n’a même pas encore retiré son manteau et me dit : « Charline, Charline, il y a tablette aujourd’hui ». À ce moment-là, je me suis sentie exister pour lui ! J’en profite pour lui dire bonjour, et lui demander comment il va, en lui expliquant qu’on ne peut pas directement parler de la tablette si nous nous ne sommes pas dit bonjour. « Dire bonjour à l’autre, c’est l’accueillir et lui signifier qu’il a une place ; d’emblée, c’est partager avec lui l’idée qu’il existe bien une raison à sa présence en ce lieu du bonjour, et donc il n’est donc pas là par hasard »32 .

    C’est la première fois que Mohammed me parle de sa propre initiative. Je le rassure en lui disant que son atelier aura bien lieu à 14 heures comme convenu. Il est venu me chercher après le repas, m’a pris par la main pour m’amener devant la salle où s’effectue cet atelier. C’est le premier contact physique avec lui. Avant il a toujours refusé de se laisser prendre sa main. Je suis donc allée chercher les tablettes. Une fois installés, il fait bien attention de choisir la tablette où se trouve son jeu préféré. Pendant la séance, Mohammed est focalisé sur son jeu comme dans la séance précédente. Nous avons essayé de prendre chacune une tablette et de jouer à différents jeux dans le but de lui montrer d’autres applications et d’attirer son attention. Mohammed n’a même pas remarqué notre tentative. Il est enfermé dans « son monde, dans une bulle, dans sa boucle ».

    32 Philippe Gaberan, cent mots pour être éducateur : dictionnaire pratique du quotidien, éditions érès

    Bilan intermédiaire et réajustements : Après la séance, nous avons pris le temps de discuter avec ma collègue afin de réfléchir aux objectifs et les adapter pour permettre que cet atelier lui soit bénéfique.

    En effet, « un projet socioéducatif passe par le récit de chaque « Je » engagé dans le « nous » de l’accompagnement. […] C’est reconnaitre la part subjective de ce qui se joue et se noue, c’est faire avec les événements qui surgissent obligeant à ajuster ou à donner une nouvelle orientation au projet. »33

    Comment l’amener à s’ouvrir à nous, plutôt que de ne créer une carapace à travers un jeu très répétitif et qu’il connait ? Nous avons donc décidé d’amener qu’une tablette à chaque fois, et que la séance serait divisé en deux temps, d’abord, nous lui proposerions un jeu éducatif en lien avec ses centres d’intérêts, ses besoins, ceci en cohérence avec le projet d’établissement. François Hebert invite à « solliciter ce qui est vivant chez quelqu’un, ses goûts, ses passions, ses savoir-faire, et les reconnaitre en parole et en acte. Faire le détour par ce qui l’intéresse et s’appuyer sur cette énergie pour lui donner envie de s’ouvrir, d’avancer. »34

    Cela permettra peut-être de créer du lien. Nous serons attentives à ses demandes et nous l’aiderons à expliquer les règles et le but des jeux. Dans un deuxième temps, il pourra choisir le jeu dont il a envie. Nous avons aussi convenu que nous ferions un débriefing avec Mohammed pour parler de son ressenti sur la séance.

    • Mohammed s’ouvre enfin à nous

    Lors des temps de groupe, Mohammed est toujours à l’écart du groupe, très peu présent avec nous. Je ne vois aucune amélioration dans son comportement. Nous avons remarqué une seule différence : à son arrivée dans l’hôpital de jour, le mardi après-midi, il vient se présenter sur le groupe afin de nous rappeler de l’atelier tablette, sans même nous dire bonjour. Je suppose qu’il a peur que nous l’oublions. Comme auparavant, je lui dis : « bonjour Mohammed, comment tu vas aujourd’hui ? », il ne répond pas à la question, et me dit sur un ton pressant et angoissé

    « on a atelier tablette aujourd’hui ! ». Je lui explique donc que oui effectivement, l’atelier aura bien lieu après qu’il ait mangé. J’insiste aussi sur l’importance de dire bonjour avant de faire une

    33 Philippe Poirier, Le moment éducatif le pouvoir d’agir au risque de la rencontre, comprendre la société, p 145

    34 François Hebert, Le tarot de l’éducateur : des atouts pour une pédagogie en situation, Dunod, p 62

    demande. C’est alors qu’il me dit « bonjour ». Les semaines passent et le même schéma se répète tous les mardis.

    Lorsque Mohammed a fini de manger, il vient me chercher, en me prenant par la main pour m’amener dans la salle de l’activité. Il fait la même chose avec Estelle (Stagiaire en psychologie), qui participe aussi à ce temps. Parfois, il se dépêche de manger, et sort de table avant tout le monde pour venir nous chercher. À plusieurs reprises, je l’ai ramené à la cantine, en lui disant que tout le monde n’a pas fini, en lui précisant : « Tu sais, tu dois attendre que tout le monde ait fini de manger. De plus, l’atelier ne commence qu’à 14 heures ». Il est alors souvent contrarié, et refuse d’y retourner.

    Les premières séances où nous avons mis en place un temps de jeu imposé sont très compliquées pour Mohammed. Nous lui proposons des jeux en nous appuyant sur ses centres d’intérêts. Par exemple : Nous savons que Mohammed adore les jeux de type exercice scolaire. Nous lui proposons donc des applications de jeux éducatifs pour apprendre à écrire, ou bien d’associer des images entre elles ou encore de faire des puzzles. Au début, tout ce que nous lui proposons, il refuse d’y jouer. Il montre sa réticence en disant en boucle « non, non, non ». Cependant, alors que l’application est lancée sur la tablette, malgré ces négations, il joue quand même avec. Tout en nous répétant « c’est nul ». Nous observons qu’il est plutôt doué en écriture et en lecture : en effet, des mots sont écrits et chaque mot correspond à une image. Le but de l’exercice est de relier chaque mot avec son image. Il n’a eu aucune difficulté à faire l’exercice. À ma grande surprise, il le continue de lui-même. Il prononce les mots proposés dans l’application à voix haute ce qui lui donne le sourire, c’est d’ailleurs la première fois que j’observe un sourire sur son visage, il semble fier de lui. Nous l’encourageons afin de le valoriser. Au bout, des quinze minutes écoulées, je lui propose de changer de jeux afin qu’il puisse choisir le jeu qui lui fera plaisir. Il nous explique qu’il termine l’exercice, et qu’ensuite il changera de jeu.

    Lorsque Mohammed change de jeu, il choisit toujours le même jeu « Talking Tom ». Dans ce jeu pour les enfants, il faut s’occuper d’un chat qui parle, plus exactement qui répète exactement ce que le joueur dit. Pour s’en occuper, il faut aider le chat à prendre sa douche, à s’alimenter, à aller aux toilettes. Mohammed connait déjà le jeu. Il m’a même dit qu’à la maison, il peut y jouer.

    Dans ce jeu, il adore que le chat répète d’une voix déformée ce qu’il dit, il est donc constamment en train de parler, de s’arrêter afin d’écouter, il rit en s’entendant et recommence. Mohammed met en scène des situations où il se présente comme un garçon normal, il explique

    qu’il va à l’école mais ne parle pas de l’hôpital de jour. Il s’écoute, rigole et recommence mais cette fois ci comme si il était fâché contre son frère. Il prend un ton différent et fronce les sourcils. Je vois pour la première fois un enfant qui prend du plaisir à jouer. Il arrive à faire preuve d’imagination (jeu symbolique). Souvent, cette partie du jeu est très perturbée, voire non présente chez les enfants autistes, cela fait partie de leur pathologie.

    C’est alors que Mohammed a pris conscience de notre présence et nous a indirectement demandé de participer avec lui. Alors qu’il est en train de gronder le chat du jeu comme s’il avait fait une bêtise, je rentre doucement dans le jeu : « Ohlala, ce n’est vraiment pas bien ce qu’il a fait ». Sur le moment, il n’a pas remarqué mes paroles. En entendant le chat répéter ma phrase, il s’est arrêté, et il s’est mis à rire et m’a dit : « Charline, recommence, fâcher contre le chat ». Je joue le jeu et me fâche contre le chat, Mohammed me tient la tablette. Lors de l’écoute, j’observe que Mohammed le remet en boucle. Il tend ensuite sa tablette à Estelle afin qu’elle fasse la même chose que moi. Nous avons finalement tous ensemble jouer un rôle et un dialogue a pu s’instaurer entre nous.

    À la fin de la séance, nous posons la question à Mohammed : « as-tu aimé jouer avec nous ? » il nous répond « Oui, c’était drôle » et part comme à son habitude dans la salle des enfants. Le jeu s’est installé et nous avons découvert un enfant souriant. Il semble adapté à la relation. Il peut maintenant fixer son regard sur nous et nous apporter de l’attention. Ses écholalies habituelles ne sont pas présentes. Il ne semble pas angoissé. L’atelier tablette commence à trouver son sens.

    • Mohammed s’approprie l’atelier

    Sur le groupe, Mohammed a toujours le même comportement. Il ne vient pas directement avec nous, cependant quand je l’invite à venir avec nous sur le groupe, Mohammed me fait ressentir moins de réticences. Il fait moins de crises et semble moins angoissé. Il me suit plus facilement même si parfois il peut encore me montrer son désaccord.

    Lors des séances suivantes, il vient nous chercher toutes les deux. Lorsqu’une de nous est absente, il refuse de faire l’atelier. Un jour, Mohammed vient me chercher à l’heure pour l’atelier. Je suis alors seule sur le groupe, je lui explique donc de commencer l’atelier sans moi car je ne peux pas laisser les enfants seuls. J’informe Estelle qui semble d’accord. Elle l’emmène dans la salle. Quelques minutes, plus tard, je vois Mohammed entrer sur le groupe. Je lui demande donc pourquoi il est là et il me répond « je suis venu te chercher pour l’atelier

    tablette ». Je l’invite à retourner dans la salle, je le prends par la main et lui dis « commence sans moi, j’arrive dès que cela est possible ». Dix minutes plus tard, j’arrive dans la salle, une chaise est déjà installée pour que je puisse m’assoir. Estelle m’explique que Mohammed a tenu à mettre les chaises pour tout le monde, en nommant chaque personne « Une pour Estelle, une pour Charline et une pour Mohammed ». Elle me dit qu’il a refusé de commencer l’atelier.

    Maintenant, il se montre ouvert aux propositions de jeu. Il ne montre aucune réticence et semble plutôt partant. Lorsqu’il n’aime pas un jeu, il peut nous le dire et nous demander de changer. Nous acceptons lorsque nous voyons qu’il a essayé. En fin de séance, il joue toujours à

    « talking Tom », mais, il joue en lien avec nous. Il peut changer de jeu lui-même. Après qu’Estelle ait terminé son stage, nous avons continué l’atelier tous les deux. Pendant ces séances, Mohammed choisit de jouer sur une application de puzzles. Au début, il choisit les niveaux

    « facile et normal ». Mohammed n’a aucune difficulté à les faire, il n’a pas besoin de mon aide. Une fois réussi, il prend le niveau « difficile » et me demande « Charline, il y a beaucoup de pièces, tu peux m’aider ? ». C’est la première fois, qu’il me verbalise une demande. J’accepte. Tous les deux nous avons cherché les solutions afin de résoudre le puzzle. L’image finale du puzzle était un bateau, c’est alors qu’il me dit « J’adore les bateaux, je voudrais en faire un jour » il commence à imiter le bruit.

    Mais à cette période, il est encore dans le refus de partir en voyage thérapeutique, en Normandie. Durant le séjour, une journée bateau sera proposée aux enfants. C’est alors que je lui en parle. Finalement, il viendra plusieurs fois m’en parler sur le groupe et dit vouloir faire son carnet de voyage avec les photos du déroulé du séjour. Mohammed a accepté de partir avec nous par la suite.

    Bilan Final: Cet atelier a permis de créer un lien avec cet enfant. La tablette a servi d’objet médiateur à la relation. La tablette lui a d’abord permis de ne pas s’adresser directement à nous. Ce qui pouvait paraitre moins angoissant pour lui. La tablette numérique peut favoriser les interactions de l’enfant avec les personnes qui l’entourent et avec son environnement. C’est un outil très précieux pour ces enfants. Un enfant très solitaire, Colin, est comme enfermé dans un monde où il ne prête aucune attention à nous. Lors de l’activité tablette, il va prendre notre doigt afin d’effectuer des actions, ou s’en servir pour colorier un dessin (des applications peuvent proposer des coloriages). C’est les seuls moments où il est en lien à sa façon avec l’éducateur.

    De plus, lors des premières séances où Mohammed s’enfermait dans un jeu répétitif et même envahissant pour lui et pour nous, nous avons adapté son accompagnement grâce à nos observations. Nous avons su nous remettre en question et ainsi déterminer de nouvelles pistes de

    travail afin d’atteindre l’objectif principal de cette prise en charge : – offrir un accompagnement rassurant et sécurisant afin qu’il puisse être en lien avec nous.

    Même si ce lien a mis des mois à s’établir entre nous, il a été bénéfique pour le reste de sa prise en charge au sein du groupe éducatif, j’ai choisi de l’utiliser afin de lui permettre des apprentissages.

    • L’ouverture à la relation sur le groupe éducatif

    Parallèlement à l’atelier, nous avons constaté des évolutions qui correspondent à chaque étape de l’atelier tablette.

    L’atelier tablette a été le seul accompagnement qu’il a accepté.

    Les évolutions se sont montrées visibles sur le groupe. Même si, sa relation à l’autre reste très compliquée. Cependant, cet atelier lui a permis d’accepter d’autres activités qui avaient lieu au sein de l’hôpital de jour comme l’art thérapie, l’atelier musique etc…

    Parallèlement à cet atelier, j’essayais tant bien que mal de l’amener sur des temps de jeu collectif notamment lors des temps quotidiens. Il a longtemps refusé mes invitations. Cependant, à partir du moment où la rencontre s’est produite dans l’atelier, il a pu accepter certaines de mes propositions. Le jeu s’est alors installé entre nous. Lors des temps de récréation, je suis venue le voir à de nombreuses reprises alors qu’il était seul et s’enfermait dans ses stéréotypies. Je le touchais pour déclencher le jeu du chat avec lui. J’accompagnais toujours mon geste de cette phrase « allez viens, jouer avec moi ». J’ai essayé directement après l’atelier tablette. Pas de réaction, il continuait à marcher en rond en claquant des mains sans même me regarder. Alors que je continuais ce rituel, petit à petit, il s’arrêtait de claquer dans ses mains et me regardait en riant. Je voyais que ce jeu commençait à l’amuser. Puis un jour, alors que nous étions dans la cour, pris par d’autres préoccupations avec d’autres enfants, Mohammed est venu me toucher l’épaule et s’est mis à courir afin que je le poursuive. Nous avons donc vraiment joué à chat pour la première fois pendant vingt minutes.

    Mohammed éprouve maintenant du plaisir à jouer à chat avec moi, il sourit et rit tout le temps lorsqu’il me touche ou quand je lui dis « Mohammed, je suis fatiguée, j’ai trop couru ». Des enfants ont voulu participer à ce jeu, notamment Akim que je vais présenter plus tard dans ce dossier. J’ai pu les intégrer sans que Mohammed se braque. Au début, il était un peu hésitant, mais lorsque je lui ai dit « Allez viens, on va attraper Akim ensemble », il m’a suivie. Au fur et à

    mesure du temps, je peux lancer le jeu entre les deux enfants et ensuite me retirer petit à petit sans que Mohammed s’en aperçoive. Le jeu du chat est un « jeu privilégié pour exorciser le danger de la relation »35. Il engage « la recherche/fuite de l’autre 36». D’après François Hebert, le jeu du chat permet de « jouer avec les peurs ». En jouant ses peurs de la relation, Mohammed permet de les extérioriser et d’être dans un cadre rassurant pour la recherche de relation.

    Il accepte maintenant de jouer avec l’équipe éducative à certains moments même si il faut encore le solliciter et l’inviter plusieurs fois.

    Il a accepté de venir au séjour thérapeutique proposé par l’hôpital de jour. Il a pu s’investir dans la création d’un journal de bord et ainsi profiter pleinement de son séjour sans être dans le rejet. Ses parents sont moins dans la méfiance depuis que Mohammed a accepté notre aide. Ils l’ont même autorisé à s’amuser lors de ces temps à l’hôpital de jour. En fin d’année, les parents sont dans la coopération avec l’équipe éducative et prennent en compte les conseils des professionnels.

    • Bilan de son évolution

    Mohammed est maintenant dans la recherche de contact avec les personnes qui l’entourent dans la structure. Il est dans la communication et il peut verbaliser des demandes. Il accepte notre aide et n’est plus dans le rejet. Cependant, ses difficultés sont toujours là. Malgré sa recherche de contact, je remarque qu’il peut encore être effacé du groupe à certains moments et il ne sait pas comment inviter les autres enfants à jouer avec lui. Il a toujours besoin de l’adulte afin d’être rassuré lorsqu’il est en contact avec les autres enfants. Le travail sur la relation à l’autre est à approfondir. L’équipe éducative pense que l’atelier tablette pourrait continuer mais avec d’autres enfants afin de les mettre en lien entre eux. Il le sollicite pour les activités ou les jeux de groupe afin qu’il puisse s’investir dans la vie du groupe éducatif. Les objectifs de travail avec cet enfant ont évolué. Maintenant, l’équipe éducative porte ses actions éducatives sur l’apprentissage des codes de la relation et de l’intégration sociale.

    Dans cette situation, le jeu virtuel a permis à l’enfant de trouver un intérêt à être en relation avec les éducateurs. Ainsi, il a pu s’ouvrir aux enfants du groupe et être dans la recherche de relation avec eux, même si il avait encore quelques difficultés et qu’il avait besoin que l’adulte

    35 François Hebert, rencontrer l’autiste et le psychotique, Dunod, p 255

    36 François Hebert, rencontrer l’autiste et le psychotique, Dunod p 255

    soit un intermédiaire dans les jeux avec les autres enfants. Il n’est plus dans une attitude de rejet constante, il peut accepter les invitations des éducateurs même si parfois il n’hésite pas à nous repousser lorsqu’il n’est pas partant pour une activité où qu’un changement et une nouvelle personne arrive sur le groupe.

    III/ L’atelier jeu collectif

    1. Constat

    À mon arrivée à l’hôpital de jour, j’ai pris le temps d’observer les interactions sociales des six enfants du groupe éducatif dans lequel j’étais. Un élément m’a frappé : la dynamique de groupe est inexistante. Cinq enfants sur six ont été diagnostiqué autistes. Les enfants ont très peu d’interactions sociales entre eux. Ils sont tous comme dans une bulle, ne semblent pas faire attention aux personnes qui les entourent. Seul, Tristan cherche la relation. Il va vers chaque enfant en lui proposant un jeu mais il a très vite compris que les enfants de ce groupe ne sont pas réceptifs à ses invitations, et a donc tissé des liens avec d’autres enfants de l’établissement.

    Dans le groupe, j’observe des enfants qui « errent » seuls, pouvant faire indéfiniment le tour de la salle sans rien faire. D’autres « jouent » toujours aux mêmes jeux par exemple avec des figurines d’animaux, et n’acceptent pas d’être interrompus par un enfant ou par un éducateur. Cette interruption peut les amener à avoir des comportements violents comme nous griffer et nous mordre jusqu’au sang. D’autres évitent le groupe et se promènent dans les couloirs de l’hôpital de jour. Il y a d’ailleurs très peu de moments où les éducateurs et les enfants du groupe sont tous ensemble car les enfants ont des temps de prise en charge individuels très différents avec les professionnels de l’institution. Très peu de temps collectifs sont accordés pour pouvoir travailler cette dynamique de groupe.

    Les temps de repas sont très compliqués, la cantine est le seul lieu où ils se retrouvent. Et le déjeuner est un moment d’excitation et d’énervement. Je pense que c’est dû au fait du grand nombre de personnes réunies autour de la table. Chaque enfant veut manger à son rythme. Par exemple : quand un enfant ne veut pas manger l’entrée, il veut passer tout de suite au plat. Les éducateurs lui expliquent qu’il faut attendre que tout le monde ait fini pour servir le plat. Les enfants ne semblent pas comprendre. De plus, ce sont des pathologies où la frustration est vécue comme une violence si intense qu’elle peut amener à des coups très violents sur les adultes.

    Chaque enfant se lève comme il le désire afin de prendre son dessert, d’aller aux toilettes sans faire attention aux personnes qui l’entourent. Il n’est pas rare que lorsque les éducateurs sont encore en train de manger, les enfants essayent de sortir de la salle. Ils ont des attitudes très individualistes et solitaires. Pendant les repas, les enfants ne parlent généralement que très peu à part pour exprimer leur mécontentement. Ils peuvent s’enfermer dans leurs stéréotypies. Les éducateurs essayent de commencer une conversation très simple avec chacun d’entre eux, en leur posant des questions sur leur journée, sur leur prise en charge à l’extérieur. Certains enfants vont simplement répondre et d’autres peuvent complètement faire abstraction de nous.

    Dans la cour, j’observe que la plupart des enfants des autres groupes peuvent s’amuser ensemble à des jeux comme « le chat », « un deux trois soleil » ou bien au football pour les garçons. Ces enfants-là n’hésitent pas à inviter les éducateurs. Mais ils peuvent s’énerver très vite lorsque cela ne se passe pas comme ils le souhaitent. Quelques enfants restent à l’écart de ces jeux, les autres n’y prêtent aucune attention, excepté Tristan. Généralement, les enfants de mon groupe restent dans un coin et s’enferment dans leur monde.

    Suite à ces observations, je me suis posée les questions suivantes :

    • Comment travailler la dynamique de groupe lorsque les enfants ne recherchent pas la relation ?
      • Comment proposer une prise en charge adaptée à chacun de leur besoin afin qu’ils évoluent vers la relation à l’autre ?
      • Quels outils et moyens peut-on leur proposer afin qu’ils puissent échanger avec les personnes qui les entourent dans la société ?

    L’équipe éducative a essayé de mettre en place des ateliers éducatifs collectifs entre deux ou trois enfants du groupe, afin qu’ils ne soient pas trop nombreux et qu’ils puissent être en interaction entre eux. Des temps de jeux de sociétés ont été mis en place. Cependant, les enfants disposent de temps très court et ne comprennent pas toujours le sens de cet atelier. Seuls, Tristan et Akim ont pu avoir leurs premières interactions ensemble grâce à cet atelier.

    Un atelier collectif comptines a été mis en place en début d’année. Les enfants se contentent de venir et seul les éducateurs chantent et font les gestes. D’ailleurs deux enfants du groupe sont mutiques et les autres ne semblent pas intéressés par les comptines et les histoires.

    Après un mois de stage, j’ai remarqué que les enfants peuvent être en contact avec l’éducateur par les voies sensorimotrices comme le toucher. Ils sont très sensibles à celles-ci et

    recherchent la relation par ce biais. D’après Julien Perrin… « Chez ces derniers, en effet, le jeu sensori-moteur est le style dominant »37 du jeu. Snoezelen est une médiation s’appuyant sur l’exploration sensorimotrice et sur la notion de détente et plaisir. Cet outil permet de stimuler les cinq sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le gout et le toucher. Une salle spéciale et stimulante est aménagée avec des lumières, de la musique, des diffuseurs d’odeurs, des matelas contenant de l’eau. C’est une pratique qui est beaucoup utilisée avec les personnes en situation de handicap. Snozelen favorise la relation à l’autre dans un cadre sécurisant, atténue les stéréotypies et procure une sensation d’apaisement qui favorise la relation avec l’accompagnant. 38

    Lors des accompagnements à l’activité snoezelen, chaque éducateur est avec un enfant, des massages leur sont proposés avec différents objets conçus pour cette pratique. Ici, chaque enfant est attentif et éveillé. Il est en lien avec l’éducateur et n’hésite pas à le solliciter pour effectuer une demande. Ils ont l’air plus calmes et même apaisés. D’ailleurs, une bonne complicité s’est installée entre les personnes participantes à cette médiation. Des études ont montrés que les enfants ayant des troubles du développement ou de la personnalité avaient une mauvaise structuration de l’image de leur corps. Certains auteurs montrent « l’importance de l’image du corps dans la constitution d’un « espace de contact » avec autrui nécessaire à la différenciation primaire de soi et de l’autre »39

    Je me suis donc aperçue que le contact physique peut aider à créer des interactions sociales. Au cours de ma formation, j’ai eu la chance de participer à deux modules où j’ai expérimenté des jeux de relation et de contact. Le premier module est nommé « jeux et rire dans le travail éducatif » et l’autre est un module « théâtre » en collaboration avec des metteurs en scène formés pour l’éducation spécialisé.

    C’est ainsi que j’ai réfléchi à la mise en place d’un projet portant sur le collectif. Je me suis donc inspirée des modules effectués dans la formation afin de pouvoir mettre en place des jeux qui favorisent le contact et la relation à l’autre.

    37 Julien Perrin, psychomotricien, le jeu chez les enfants avec autismes, Journée départementale autisme et jeu, Mars 2011 : http://www.psychomot.ups-tlse.fr/perrin2011.pdf

    38 Centre ressources autismes du Nord Pas de Calais, le concept snoezelen, p2-3, http://www.cra-npdc.fr/wp- content/uploads/2012/10/SNOEZELEN_FICHE291012.pdf

    39 Hochmann Jacques, Bizouard Paul, Bursztejn Claude, Troubles envahissants du developpement : les pratiques de soin en France, La psychiatrie de l’enfant,2/2011( Vol 54) p 525-574

    • La conception du projet

    Suite à une réunion éducative sur l’unité rouge, je discute avec mes collègues de mon envie de travailler sur la dynamique groupale de l’unité. J’explique que je trouve que les enfants partagent très peu de temps ensemble, et lorsqu’ils sont présents ensembles sur le groupe, je suis interpellée par la capacité de ces enfants à faire abstraction des autres. J’explique donc mon envie de faire un projet jeux avec tous les enfants du groupe.

    Louise, l’éducatrice, m’explique que faire une activité groupale où tous les enfants peuvent participer est compliquée. En effet, tous les enfants ne sont jamais sur le groupe éducatif au même moment excepté le mercredi matin, mais il y a déjà de nombreux ateliers prévus sur ce temps. Elle s’interroge sur l’utilité de prendre tous les enfants en même temps car c’est souvent une source d’énervement et d’épuisement pour ces enfants. Eric semble d’accord avec elle. Ils me disent que c’est un projet intéressant pour les enfants qui sont dans la recherche de relation mais qui ne savent pas comment s’y prendre. Elle m’explique qu’il serait peut-être intéressant de décliner un atelier groupal à une activité proposée à seulement deux enfants du groupe.

    L’équipe éducative me laisse donc du temps afin de réfléchir aux enfants qui sont dans cette demande.

    Trois jours plus tard, j’observe Akim jouer comme à son habitude aux animaux. Lorsqu’il fait ce genre de jeu, il habite son corps comme s’il en était un. Tristan arrive sur le groupe, se met à faire le chat afin d’entrer dans le jeu de son camarade et dit « je suis un chat et toi ? ». Cependant, Akim semble pris au dépourvu et a beaucoup de difficultés à supporter les intrusions d’autres enfants dans ses « jeux ». Je vois Akim me regarder intensément dans les yeux comme s’il me demandait de l’aide. Il s’est reculé afin de se mettre à l’écart de Tristan, mais celui-ci se rapproche. C’est alors que je vois Akim lui sauter dessus afin de le griffer et de le mordre. Tristan rend les coups. J’ai dû intervenir auprès des deux enfants afin d’interrompre la crise.

    Les jours suivant, j’observe qu’Akim essaye de s’intéresser au jeu de Tristan (trains – garages etc …) mais il se trouve en difficulté pour exprimer sa demande. C’est ainsi que j’ai choisi de proposer ce projet collectif d’activité à ces deux enfants. « L’action des travailleurs sociaux auprès de personnes constituées en groupe, sur un territoire ou dans une institution, a pour objectif : d’apporter des réponses collectives à des problèmes collectifs ; de faciliter l’accès

    aux ressources existantes et/ou en créer de nouvelles ; de développer l’autonomie personnelle et sociale par la participation citoyenne de la vie sociale »40

    Les éducateurs du groupe étaient d’accord, j’ai donc présenté le projet en réunion d’équipe pluridisciplinaire. Les jeux proposés ont pour objectif de favoriser la relation à l’autre, travailler essentiellement sur la confiance aux autres et permettre à ces enfants de pouvoir jouer ensemble. L’équipe éducative semble convaincue par la pertinence de cet atelier avec ces deux enfants. Le médecin psychiatre l’a validé.

    • La présentation des deux enfants

    Akim et Tristan sont deux enfants ayant des problématiques différentes. Cependant, ils se montrent tous les deux très violents envers les autres personnes de l’institution. Ils sont tous les deux dans la recherche de lien avec les personnes. Mais leur comportement n’est pas adapté et les met en difficulté pour suivre une scolarité ordinaire. Depuis un certain temps, ces enfants tentent de jouer ensemble. Mais, le jeu se termine toujours en coups. J’aimerais pouvoir leur donner des outils afin qu’ils puissent jouer paisiblement.

    • La présentation de Tristan

    Tristan est âgé de quatre ans lorsqu’il est arrivé en septembre 2015 dans l’hôpital de jour. Il a été admis dans un établissement spécialisé suite à des comportements violents à l’école. Il a d’abord été suivi en CMPP avant que les professionnels le confient à l’équipe éducative. Au début de notre prise en charge, Tristan avait encore des temps aménagés pour aller à l’école, cependant ces temps ont été suspendus de manière provisoire d’un commun accord entre l’école et notre équipe éducative, après avoir cassé le nez d’une institutrice lors d’une de ses crises. Il est maintenant à temps complet à l’hôpital de jour.

    C’est un enfant qui peut frapper très violemment l’adulte et les enfants lorsqu’on lui refuse quelque chose où lorsqu’il n’arrive pas à faire quelque chose. Ses crises de violence sont très présentes et il peut se montrer très dangereux pour la sécurité des autres enfants. Il n’hésite pas à lancer les chaises en visant quelqu’un quand il est énervé. C’est un enfant qui est dans la

    40 L’association nationale des assistant(e)s de service social (Anas), in Dubasque Didier, L’intervention sociale

    d’intérêt collectif : un mode d’intervention en travail social pour retrouver le sens de vivre ensemble, Informations sociales, 2/2009 (n° 152) p 106-114

    relation, il aime attirer l’attention sur lui. Il se met à crier, parler fort, se lever, faire tomber les chaises par terre, quand personne ne s’occupe pas de lui. Il a des difficultés à s’intégrer au sein de la collectivité. En effet, il ne supporte pas de ne pas être le centre de l’attention. Il dit être le

    « roi », et répète souvent ces phrases : « je suis le plus fort » « je vais te faire pleurer », « Dis- moi que tu as peur de moi, ou je te frappe et comme ça tu vas pleurer », « Tu veux voir mon zizi c’est ça ? » (et il le fait en même temps), « C’est moi le champion, alors tu m’écoutes, ou je te tire les cheveux. ». Il peut avoir un langage très vulgaire et nous pensons qu’il reprend des phrases qu’il a entendu de la bouche d’un adulte. Il semble être dans la « toute-puissance » mais son attitude montre que c’est un enfant fragile, envahi de peurs (de l’eau, du noir …). Certains enfants et certains adolescents ont même peur de lui, lorsqu’il arrive, ces enfants s’écartent où sortent du groupe.

    À l’hôpital de jour, il arrive souvent en colère le matin. Il vient plus facilement nous parler si on le laisse tranquille. Ce petit garçon a deux facettes, il peut être très disponible dans la relation et à l’écoute de l’autre. Dans ces moments de calme, nous pouvons faire beaucoup d’activités avec lui, il se montre à l’écoute, mais il ne veut pas participer aux activités proposées. Le fait de l’inviter lui provoque une crise. Et dès que quelque chose déclenche la crise (il peut arriver qu’il se parle à lui-même et qu’il s’énerve tout seul), il ne nous écoute plus, il lance des chaises, retourne des tables, il essaye de nous taper, pincer, mordre. Un jour, j’étais sur le groupe éducatif, Tristan était là et jouait au train. Alors qu’aucun bruit ne se faisait entendre, j’entends Tristan dire « Ta gueule, ta gueule ». Suite à ses mots, il commence à s’énerver violemment sur moi en me disant que c’est de ma faute.

    Tristan communique avec les adultes, et joue souvent avec les enfants, même si ses jeux sont plutôt violents, il incite souvent les autres enfants à frapper ou à être grossier envers les enfants et les adultes de l’institution. Il a une telle emprise que généralement les enfants l’écoutent. Lors d’un atelier tablette numérique, Tristan est très à l’écoute, c’est un des rares moments où il ne fait pas de crises. Il joue aussi souvent au jeu «My talking Tom » et quand moi je caresse le chat pour remplir sa barre de bonheur, il me dit que ce n’est pas comme cela qu’il faut faire et se met à le frapper jusqu’à ce qu’il tombe dans les pommes. Cette action le fait rire. Il est attiré par la violence dans ses gestes, dans ses paroles et dans sa tête. Cela est très compliqué à gérer pour nous car il n’arrive pas à exprimer ces émotions, ce qui peut le mettre dans un état pareil.

    Il a une vie familiale très complexe. Sa mère désirait absolument avoir un enfant. Cependant, elle n’a jamais réussi à en avoir avant l’âge de ses 45 ans. Elle a demandé à un

    homme s’il était d’accord de faire un enfant avec elle. Il a accepté. Elle nous a dit : « j’avais conscience qu’il ne serait jamais là, mais mon plus grand désir était d’avoir un enfant même si j’étais seule à l’élever ». Cependant, le père de Tristan l’a reconnu et est parti vivre en Angleterre. Il revient deux fois par an pour voir son fils, et aurait encore des liens avec Madame. Le manque de figure paternelle, n’aide pas cette mère à trouver sa place pour son fils.

    Sa mère parle de Tristan comme d’un enfant parfait. Ce qui peut lui donner cette place de « toute puissance », vu qu’il est fils unique. Elle vit dans un studio avec lui et elle ne travaille pas mais cède à toutes les envies de son fils, ce qui la met en difficultés financières à la fin du mois. Elle n’arrive pas à lui dire non. Elle dit qu’à la maison, il n’a jamais fait de crise. Il n’est pas violent avec elle et que c’est l’école qui l’a rendu comme ça. Elle nous explique que quand il fait des bêtises, elle l’enferme dans le noir, dans les toilettes pendant une heure et que ça suffit pour qu’il se calme. Tristan a développé une phobie des toilettes. Il ne peut pas y aller seul. Il demande toujours à un éducateur de venir avec lui. Si les éducateurs ne sont pas disponibles, il se fait sur lui.

    C’est une femme d’apparence très froide. Elle ne semble pas avoir confiance en notre travail, disant que son fils n’a pas besoin de notre aide. Elle nous parle très peu lors des entretiens mais n’hésite pas à nous reprocher des choses. La dernière fois, elle a écrit sur des post-it des phrases que les éducateurs auraient dites à son fils, et les a montrés aux médecins psychiatre. Une mesure d’AEMO a été mise en place avec cette famille.

    Sa mère est sa personne de référence. Il nous parle souvent d’elle, et lorsque nous le reprenons sur un incident, il dit qu’il va lui dire.

    • Présentation d’Akim

    Akim est un enfant de huit ans, il a été admis à l’hôpital de jour à l’âge de six ans ; Il a été suivi par un CMP pendant trois ans, c’est l’équipe qui nous a adressé la demande d’admission de cet enfant dans notre établissement suite à des retards de langage et des troubles de la communication importants.

    Akim a un frère et vit avec ses deux parents. Son père est titulaire d’un titre de séjour, il ne souhaite pas avoir la nationalité française. Il vit en France depuis quarante ans, il est propriétaire d’un restaurant. Sa mère est arrivée en France à l’âge de dix-neuf ans dans le but de faire des études de droit international qu’elle a arrêté pendant la grossesse d’Akim. Elle a décidé de ne pas travailler pour s’occuper au mieux de ses enfants.

    En Algérie, sa mère vivait chez son père. Celui-ci avait des troubles psychiques. Il était suivi avec un traitement spécifique. Il pouvait avoir des comportements très violents envers la grand-mère d’Akim. Madame P (mère d’Akim) dit qu’elle dormait même avec sa mère pour la protéger de son père.

    La grossesse d’Akim était désirée, mais Madame P a perdu son père pendant celle-ci. Son accouchement a été également difficile. Elle a été hospitalisée d’urgence pendant quatre semaines car le nourrisson avait un trop petit poids. Lorsqu’elle est retournée chez elle avec son fils, des troubles du sommeil sont apparus chez l’enfant. Elle dormait donc avec lui, elle continue aujourd’hui. Elle a fait une dépression juste après la grossesse. Elle a pu nous dire en réunion qu’elle ne se sentait pas bien lorsque son enfant n’était pas avec elle.

    En grandissant, l’enfant a des retards pour marcher, et donc dans l’acquisition du langage. Il a aussi des troubles du sommeil, il n’a pas d’objet transitionnel, de « doudou », il s’endort en tripotant l’oreille de sa mère. À la crèche, la séparation avec la mère semble compliquée et l’intégration avec les enfants est très difficile aussi. À l’école, il est en retrait par rapport aux autres. Il n’accepte pas la frustration et le contact avec les enfants entrainent des crises de colère et d’agitation.

    Des professionnels du CMP décrivent « un retrait autistique » car il fuit le regard et n’entend pas l’autre. Il manipule des objets de manière répétée, marche sur la pointe des pieds. Ils décrivent la mère comme étant débordée par son enfant : elle n’arrive pas à poser des limites avec lui mais accepte l’aide des professionnels.

    Akim est un enfant pour qui la relation est très compliquée. Il est constamment envahi par les animaux, il reproduit leur comportement, il connait tout sur les animaux, les différentes espèces, où ils vivent, ce qu’ils mangent etc… Il ne supporte pas qu’on l’interrompe lorsqu’il est dans son monde, il se met alors à agir comme s’il était un animal : il nous saute dessus pour nous griffer et nous mordre à sang. À ce moment-là, il nous dit lui-même que nous devenons sa

    « proie ».

    Akim a les capacités pour les apprentissages de son âge, il a été scolarisé jusqu’au CE1. Cependant, il était trop perdu dans son monde pour poursuivre sa scolarité. L’arrêt de la scolarité s’est décidé d’un commun accord avec l’hôpital de jour et l’école.

    Cet enfant a posé beaucoup de problèmes à l’équipe. Il vient à n’importe quel moment nous parler de ses hobbies en nous posant des questions telles que « Est-ce que le loup d’Alaska mange des lapins ? ». Il connait d’ailleurs les réponses. Toutes les activités sont mises en échec

    par son délire. En équipe, nous nous sommes demandé si en plus de son retrait autistique, il n’avait pas des troubles liés à la psychose car il est très enfermé dans son monde et a des comportements d’animaux constamment sans que ce soit un vrai jeu.

    Chez lui, nous savons qu’il dort dans le lit de ses parents. Il s’est d’ailleurs accaparé leur chambre car il y a la télé et passe son temps à regarder des reportages animaliers. Si ses parents lui suppriment la télé, il fait des crises de colères, allant jusqu’aux coups. Son petit-frère et son père n’ont pas le droit de passer la porte de la chambre, car Akim dit que c’est son « territoire ». Il accepte seulement sa mère. Lors des repas, sa mère le laisse manger devant la télé à l’heure qu’il désire. C’est un enfant un peu fort qui mange beaucoup. Le repas familial est partagé juste entre son père, sa mère et son petit frère. L’équipe éducative a insisté sur le fait qu’Akim devait participer au temps de repas avec la famille, et sur la nécessité qu’il dorme dans sa chambre. Les parents nous disent avoir essayé mais que cela était ingérable. À la fin de mon stage, l’équipe éducative a échangé sur le fait que les parents aient besoin d’une aide à la parentalité au domicile familiale.

    Akim peut parfois nous poser des questions sur les animaux et sur les pays où ils vivent. Généralement, il connait la réponse à ses questions mais il aime bien le montrer. Dans ce moment-là, je fais souvent mine de ne pas savoir afin de laisser une place à ses centres d’intérêts. Il a d’ailleurs plus de connaissances que moi dans ce domaine « Au-delà du respect de la pensée de l’autre, il est souvent capital de jouer l’ignorance pour laisser la place au savoir propre de celui-ci. »41

    Il peut dire que le groupe des rouges est son territoire. Dès qu’un enfant d’un autre groupe vient, il le fait partir de suite. Lorsqu’il joue, il prend des figurines d’animaux et se crée un scénario. C’est un enfant qui a accès au jeu symbolique, mais il ne supporte pas de partager son jeu avec quelqu’un. Pourtant parfois, il en fait la demande aux éducateurs. Si ce n’est pas comme il a décidé, il s’énerve violemment. Je pense que c’est un enfant qui n’a pas les codes de la socialisation. Il est toujours enfermé dans sa chambre et sa mère ne veut pas sortir dehors avec lui. Malgré son désir, il ne sait pas comment faire pour entrer en relation avec autrui. J’ai pensé que cette activité pourrait donc lui être bénéfique.

    41 François Hebert, rencontrer l’autiste et le psychotique, p 272

    • Le déroulement du projet

    Le projet s’est déroulé tous les jeudi matin sur une durée d’une heure. Il s’est décomposé en deux temps. Pendant un premier, quatre personnes y participaient : Tristan, Akim, Louise et moi. L’atelier se découpait en deux parties afin de donner une trame ritualisée à la séance. Le premier temps était un temps de jeu collectif où nous invitions les enfants à partager le même jeu pour être ensemble. Puis, des jeux en duo (un adulte avec un enfant) étaient ainsi proposés afin de travailler aussi la relation de confiance. Cependant, durant le projet, Tristan est retourné pendant de petits temps à l’école. Il a donc arrêté le projet pour pouvoir suivre sa scolarité. A partir de ce moment, là il n’y avait plus qu’Akim et moi qui y participions. Suite à cet évènement, j’ai réfléchi à de nouveaux objectifs pour que le projet reste en cohérence avec son projet de soin. J’ai donc choisi de travailler la relation à l’autre dans le jeu en l’adaptant à ses centres d’intérêts.

    • Le temps du jeu collectif

    L’autisme et la psychose sont des pathologies qui réduisent la capacité de l’enfant à vivre et jouer en groupe.

    Winnicott a distingué deux formes de jeu :

    Le play : c’est le jeu libre. L’enfant peut en être le maitre42 . Il est souvent présent dans les temps informels. Il fait appel à l’imaginaire et permet à l’enfant d’investir un rôle qu’il se donne lui-même. Il est d’ailleurs la première forme de jeu que l’enfant expérimente. Nous pouvons nous en servir comme médiation lors des moments quotidiens au sein de l’institution. 43 J’observe qu’Akim et Tristan sont capables de jouer de cette manière. Ils ont de l’imagination et n’hésitent pas à l’utiliser lors de ces temps de jeu. Cependant, lorsqu’ils expérimentent ce type de jeu, ils sont souvent seuls : ils ne jouent pas ensemble.

    Le game : Un jeu de règles, on ne peut jouer seul. Il faut un partenaire ou un adversaire, qu’il soit réel ou imaginaire, pour réaliser le défi défini par les règles44. Le game se développe à partir de six ans, il entre alors dans « la pratique du jeu social et réglementé »45. Je remarque que ce type de jeu est plus compliqué chez ces deux enfants. En effet, souvent, ils ne supportent pas d’être contraints par des règles, voulant à tout prix faire comme ils le désirent. Ce type de jeu

    42 Encyclopédie universaliste, Jeu- Le jeu dans la société, 1998

    43 François Hebert, Chemins de l’éducatif, 2 eme édition, Dunod, p217

    44Josée Violette, Le play et le game, revue française de la psychanalyse, juillet 1992

    45 Encyclopédie universaliste, Jeu –Le jeu dans la société, 1998

    amène souvent à des crises, voire à des coups. Notamment chez Tristan, qui désire imposer ses règles et qui veut gagner absolument. S’il perd, il s’en prend au gagnant. Un jour, je jouais avec lui dans la salle des enfants au babyfoot, tout se passait pour le mieux, Tristan semblait apprécier. C’est alors que je marque un but. Tristan s’énerve, retourne le babyfoot pour m’atteindre

    Pendant la première partie de l’atelier, je proposais beaucoup de jeux qui étaient dans la dynamique du game c’est-à-dire des jeux dont le but ne peut être atteint sans partenaire ou adversaire. C’est une médiation qui « permet de se parler- faire ensemble pour être ensemble. »46 Par exemple : Le jeu de la tomate, chacun écarte les jambes et la balle doit passer entre les jambes de la personne en face de lui. Si la balle passe, celle-ci perd l’usage d’une main pour tirer.

    Chaque jeu est adapté en fonction des difficultés de chacun. Au début, la dynamique groupale a eu du mal à s’installer. Tristan ne pouvait pas rester en place et demandait une attention particulière. Lors des jeux de groupe, il criait, partait, s’effaçait du jeu. Il participait trois minutes et ensuite courait dans toute la pièce en s’agitant. Je suppose qu’il voulait attirer notre attention et être le centre du groupe. Il a beaucoup de difficultés à accepter la présence d’Akim.

    Akim, lui, est attentif à nos consignes. Il aime ajouter un scénario à ce jeu et donc implicitement mettre du play dans le game « Attention, le boulet de canon arrive » (référence au ballon). Nous nous plongeons donc dans son univers quand c’est le cas. Il invite Tristan à participer avec lui au jeu.

    Cependant, accepter les jeux de règles semble trop compliqué pour qu’il adhère au jeu. Il ne s’intéresse pas et cherche même à nous empêcher de jouer. Il fallait donc que je réfléchisse à une autre approche.

    Un jour, Tristan est un peu agité lors de l’atelier, je propose de faire un parcours imaginaire aux enfants. Je commence en disant « Bienvenue dans le royaume de l’hôpital de jour aventurier ! Aujourd’hui nous avons un but très précis à atteindre, êtes-vous prêt pour partir à l’aventure ? » Ils me répondent « oui » avec enthousiasme. « Pour réussir cette mission, j’ai besoin que nous formions une équipe, que nous nous aidions les uns les autres, j’ai perdu mon ballon magique et j’aimerais le retrouver afin qu’on puisse jouer tous ensemble. » Akim me répond « Allons le chercher ». Il me prend par la main, Tristan prend la main de Louise et d’Akim. Nous partons main dans la main, chercher ce fameux ballon que j’avais caché

    46 François Hebert, Chemins de l’éducatif, 2eme édition, Dunod p 223

    soigneusement avant leur arrivée. Pour arriver à ce but, j’ai préparé en amont un parcours à respecter. Ils me suivent. Je leur dis en sur-jouant : « Il faut que personne ne nous entende, nous allons marcher sur la pointe des pieds sans faire de bruit ». Chacun essaye de faire le moins de bruit possible. Lorsque je leur demande de se cacher pour ne pas être repéré, ils se cachent. Nous continuons le parcours et là, Tristan et Akim trouvent le ballon caché en dessous d’un tissu qui recouvre un canapé. Ils vont le prendre tous les deux en disant « Charline, nous avons retrouvé notre trésor ». Je les félicite en disant « Je savais que vous étiez de véritables aventuriers, grâce à vous nous allons pouvoir jouer ensemble ». C’est alors que Tristan propose de partager un jeu qu’il aime : « Charline, nous pouvons jouer au jeu du tic-tac » je lui réponds

    « Bien sûr, mais je ne connais pas les règles c’est à toi de nous les expliquer ». Il nous explique les règles « Il faut qu’une personne vienne au milieu et ferme les yeux en disant « tic-tac ». Pendant ce temps, les personnes dans le cercle doivent se faire des passes sans que le ballon ne touche le sol. Lorsque la personne du milieu dit « boum », la personne qui a le ballon dans les mains va au milieu ». Nous jouons. Je remarque que Tristan accepte de perdre, contrairement à d’habitude, et prend du plaisir à jouer. Beaucoup d’échanges ont lieu entre Tristan et Akim. Ce jeu deviendra un rituel dans l’atelier. Akim étant le premier à vouloir y participer. Parfois, ils le font dans la cour avec d’autres enfants.

    Dans ce détour éducatif, je mets en jeu « la quête de la relation ». À travers l’objet qui nous réunit, je mets en scène la perte du ballon symbolique. Les enfants trouvent alors un désir commun, celui de jouer ensemble et de partager ce temps. Il devient important que tout le monde mobilise ses capacités afin de réaliser cet objectif. Je mets les enfants dans une position dans laquelle j’ai besoin d’eux pour le retrouver. Seule, je n’y arriverai pas car en réalité, symboliquement le trésor est la relation entre les quatre personnes participantes aux projets. En réalisant ce but commun, le « je » peux enfin se transformer en « nous ». « Une activité de qualité offre en effet une expérience qui a sa valeur en elle-même … L’activité s’apparente à une expérience initiatique : la personne découvre une réalité nouvelle … Ce faisant la personne se découvre un peu autrement, dans le monde et dans sa relation avec d’autres. »47

    C’est ainsi que le jeu a pu véritablement s’installer dans ce projet. Tristan n’est plus dans l’agitation et dans la défiance mais dans le partage. Probablement parce qu’il m’a mise en position d’éducatrice éduquée. Lors de son jeu, c’est lui qui énonce ses consignes. Nous participions au jeu en respectant ses règles. « Il est parfois temps de se dégager de la place de maître où l’autre nous met lui-même pour l’inviter à reprendre la responsabilité de la

    situation ».48 Cela permet de constater que : « Démystifier le rôle de l’éducateur est souvent un préalable à une rencontre plus vraie ».49 Mais auparavant, il a été nécessaire que j’invente un contexte imaginaire aux jeux afin qu’il soit attentif, investi et constructif.

    Ainsi Tristan peut se sentir revalorisé notamment par le fait qu’Akim se prend au jeu et demande par la suite à le refaire à chaque séance. La dynamique de groupe est maintenant existante et chaque acteur de ce projet s’investit dans celle-ci comme contributeur.

    • Les jeux de duo

    Dans cette partie de la séance, mon objectif principal était d’amener les enfants à jouer en duo sans la médiation de l’adulte. Au début pour montrer l’esprit des jeux, un éducateur accompagnait un enfant. Suite à la reprise de la scolarité de Tristan, ce but n’a pu être atteint. Cependant, ce temps a pu être bénéfique pour la relation éducative entre l’enfant et l’adulte.

    1. Tristan

    Les jeux proposés étaient surtout des jeux de relation accompagnés de musique très calme pouvant faire penser à de l’expression corporelle ou de la danse. Tristan était plutôt à l’aise dans ces jeux de duo. Il avait un comportement très adapté à la relation.

    Lors du jeu du miroir, où le but est de danser sur une musique en étant face à face et de reproduire les mouvements et la danse de l’autre chacun son tour, Tristan peut se montrer meneur du jeu. Nous n’avons pas besoin de le solliciter pour qu’il soit en lien avec nous. Il se montre souriant, accepte de changer de rôle au fur et à mesure du jeu. Il est attentif à mes mouvements et reproduit les mêmes, lorsque je me mets à terre, il s’y met aussi et n’hésite pas à s’inspirer de mes mouvements pour créer les siens. Il est vraiment à mon écoute et disponible. Quand nous faisons un autre exercice, où il doit se laisser tomber en arrière pour que je le rattrape avec la force de mes bras, il n’a aucune hésitation. Il se laisse tomber sans essayer de se rattraper ou sans même regarder si je suis bien derrière.

    La confiance est « une relation entre êtres humains, qui dans certaines de ses modalités peut instituer l’autre comme un sujet autonome, par un renoncement au contrôle de ses actes. Elle ne peut être pensée comme un moyen efficace d’agir, même dans l’éducation, car ce serait poser autrui comme un objet connaissable d’une action prévisible. La confiance comme relation

    48 François Hebert, Chemins de l’éducatif, 2ème édition, Dunod p 265

    émancipatrice est plutôt l’occasion, le défi même, de penser l’action éducative non pas comme une « action sur », mais comme une « action entre », non pas comme objet mais entre des sujets, opérant par des actes de reconnaissance [. . .] Cette confiance est l’expérience d’un espace libre, un sentiment de non pouvoir entre les êtres »50. Autrement dit, la confiance est quelque chose d’imprévisible, elle doit être réciproque pour les partenaires et considérer l’autre comme quelqu’un d’autonome. Je pense que le jeu favorise cette confiance car lorsque nous jouons, nous ne sommes pas dans nos rôles sociaux respectifs mais plutôt sur un même pied d’égalité. « Jouer implique la confiance »51

    C’est en montrant notre âme d’enfant joueur que la confiance s’établit. « Ces personnes qui semblent en panne de jeu, mais on peut dire que paradoxalement, elles n’attendent qu’une chose, c’est que nous soyons capables de jouer nous-mêmes, de mobiliser notre part d’enfance. Il est temps de ne pas nous poser en simple « ambassadeur de réalité », mais aussi en être humain qui n’a pas peur de l’enfant en lui »52

    Le jeu permet de nous positionner comme partenaire et non comme un adulte éducateur. Dans le jeu, il est important de changer les places pour créer une véritable réciprocité entre les sujets. Ce sont des temps de partage très importants pour créer la rencontre, et pour construire la relation éducative. Ainsi, depuis que l’atelier a été mis en place, dans la salle de l’unité éducative, Tristan n’hésite pas à me solliciter pour jouer au train, aux voitures ou bien même à « un deux trois soleil » avec lui.

    Je peux maintenant plus facilement détourner ses crises par le jeu. Quand, quelque chose lui semble compliqué, si je le mets en scène et l’exagère cela lui permet ensuite de se prendre au jeu et d’évacuer sa colère. Un jour, Tristan est énervé, nos regards se croisent et il me dit :

    « Arrête de me regarder, où je vais t’écraser avec une chaussure comme une fourmi et après elles vont venir te manger ». Je lui réponds inquiète « Abon elles vont me manger, mais comment je vais faire ? Tu crois vraiment qu’une fourmi peut me manger tout entière ? » Il se calme et me dit « Mais non Charline, une seule fourmi ne peut pas te manger, ne t’inquiète pas, elles sont trop petites ».

    Un jour, pendant l’atelier, je lui propose de faire un jeu. Il s’agit de faire des mouvements et de bouger dans l’espace sur la musique chacun de son côté en se touchant réciproquement le petit doigt. Le but est d’être à l’écoute de l’autre afin de ne pas briser le lien et donc de ne pas

    50 Cornu Laurence, La confiance, Le Télémaque, 2/2003 (n°24), p 21-30

    51 D. W Winnicott, jeu et réalité, Paris, Gallimard

    52 François Hebert, Le tarot de l’éducateur : des atouts pour une pédagogie en situation, Dunod p 87

    décoller les petits doigts. Je m’aperçois que Tristan est très attentif, à ce que nos doigts soient toujours en contact l’un avec l’autre. J’ai le sentiment que la relation s’est installée. D’ailleurs, j’observe que dans le quotidien, Tristan est moins brutal envers l’équipe éducative, et n’hésite pas à venir se confier lorsqu’il se sent énervé. Ses crises sont moins présentes et il accepte plus facilement les conseils et les membres de l’équipe. Nous pouvons maintenant utiliser des détours éducatifs avec cet enfant lorsqu’il refuse de participer à une activité. Amener du jeu dans celle- ci permet à Tristan de la faire avec plaisir. « Les activités proposées en journée qu’elles soient scolaires, professionnelles ou ludiques, poursuivent bien sûr ces objectifs. Mais elles sont aussi, et peut-être surtout, des instants privilégiés au cours desquels l’Autre prend du plaisir à faire ce qu’il fait, reprend pied dans sa vie, partage son plaisir avec d’autres, crée du lien, se recrée lui et se construit des souvenirs par une expérience positive »53 .

    Malgré que cet enfant ait quitté l’atelier rapidement, il s’est saisi de celui-ci, a réussi à s’investir et à avoir confiance en l’équipe éducative. Le lien a pu se créer entre les enfants et Tristan n’hésite plus à interpeller Akim sur le groupe. Même si parfois, ils ont encore besoin d’un médiateur à la relation.

    • Akim

    Les jeux de duo sont plus compliqués pour Akim. Il se montre très fuyant, distant et enfermé dans son monde. Son regard n’est pas présent. Je le stimule sans cesse en espérant attirer son attention. Lors du jeu du miroir, il le fait pendant trente secondes puis se renferme sur lui- même. Il essaye, cependant, je vois son incompréhension et il ne montre aucun intérêt pour ces jeux.

    Quand Tristan participait encore à l’atelier, il était déjà en difficulté face à ces exercices mais il était plus présent et attentif à nous. Il pouvait effectuer des demandes et reproduire les gestes de Tristan lorsqu’il le décidait.

    La situation m’a vraiment interpellée. Comme le précise François Hebert, entrer en relation avec un enfant psychotique/autiste demande une invitation non intrusive dans leur monde. Parfois, « le rejoindre parait si difficile »54. J’ai essayé de commencer un jeu toute seule, dans mon coin sans m’occuper de lui afin de le laisser choisir d’y participer ou non car j’avais l’impression de lui faire violence lorsque je lui proposais des jeux. Akim n’a montré aucune

    53 Philippe Gaberan, cents mots pour être éducateur dictionnaire pratique du quotidien, éditions érès p 71

    54 François Hebert, Rencontrer l’autiste et le psychotique, Editions Vuibert, 2006, p 6

    volonté d’y participer. Enfermé dans son monde, je me suis même demandé s’il me voyait, tellement il avait la capacité à faire abstraction des personnes qui l’entourent.

    Désemparé par cette situation, je me souviens même avoir perdu espoir concernant la création de lien entre Akim et l’équipe éducative, pensant « Finalement, il en est peut-être pas encore là, peut-être n’en est-il pas capable encore. Peut-être que je lui fais violence en agissant ainsi ? »

    Je me suis beaucoup remise en question concernant la suite de l’atelier me demandant si c’était cohérent pour lui et son projet de soin de continuer. J’avais besoin de conseils, c’est alors que naturellement, je me suis portée vers Louise qui m’a dit « Tu sais, Charline, tu devrais le continuer car les enfants souffrant de pathologies psychiques mettent un certain temps à accepter un accompagnement notamment lorsque deux personnes sont présentes. Il faut persévérer et surtout ne pas baisser les bras. Il faut utiliser des détours pour lui donner envie de partager ces temps de jeu avec toi ».

    A la séance d’après, ne sachant pas quoi lui proposer, je tente une mise en scène très particulière en m’adaptant à ses centres d’intérêts, voire même à son délire. J’ai eu quand même quelques questionnements avant d’entrer dans son monde : est-ce que ça ne l’enfermerait pas encore plus sur lui-même ? Lors d’une supervision, l’équipe éducative a fait part de la situation d’Akim. En effet, nous ne savions pas s’il fallait aller avec lui dans le sens de son délire. Un long débat a alors émergé. Il nous a été conseillé d’essayer d’entrer dans son monde afin que l’enfant se sente reconnu et ainsi donner lieu à une rencontre.

    Je me suis donc dis que je pouvais essayer et voir s’il peut se prendre au jeu avec moi. Akim adore les différents pays et continents. Il s’y intéresse à travers les animaux. Il est très doué pour situer géographiquement les pays et parler de leur culture et de leur richesse.

    Je  décide  donc  de  mettre  un  scénario  en  place  pendant  cet  atelier.  Je  lui  dis  :

    « Aujourd’hui, Akim nous allons voyager ensemble. Où as-tu toujours rêvé d’aller ? » Pour la première fois depuis cet atelier, lors du duo, Akim me regarde profondément dans les yeux.

    « Allons en Australie », me répond-t-il.

    « Alors déploie tes bras, nous prenons l’avion. Il faut attacher sa ceinture, et nous pouvons décoller ». J’imite un décollage d’avion et Akim me suit en prenant soin de ne pas brûler les étapes.

    Une fois que nous sommes arrivées, je lui explique : « Nous voilà arrivés à destination. Pour chaque destination, nous avons une mission à réaliser. Nous pourrons partir seulement si nous l’avons réussi avec succès » Akim est très attentif à ma voix. « Nous allons donc faire le jeu du miroir ensemble, car ici les reflets ont disparu des miroirs, et ils aimeraient pouvoir les retrouver. » Je rappelle brièvement les règles à Akim même si je l’avais déjà fait auparavant et que ce jeu n’avait pas bien fonctionné. Cette fois-ci, je commence à faire des mouvements très simple afin qu’il puisse me suivre, Akim reproduit mes mouvements et semble enfin accepter les jeux que je lui propose. Quand je lui demande de changer les rôles, il accepte et devient le meneur. Ses gestes sont très adaptés au jeu, il peut même se montrer très imaginatif. Tout le long du jeu, Akim me regarde et est attentif à mes mouvements comme je le suis pour les siens. Quelque chose est en train de se produire. Il a un comportement très adapté. Il ne parle même pas, comme à son habitude, des animaux. Quand le jeu se termine, je lui demande « où veux-tu aller encore ?», il me répond « je veux partir à Madagascar ». Je lui dis « Tu sais ici, c’est la tempête, reste là je vais juste te souffler sur une partie de ton corps alors que tu auras les yeux bandés et tu dois faire comme si cette partie du corps était emporté par le vent. Attention, tu dois être attentif ». Lorsque je souffle très légèrement sur sa main, il mime le vent qui l’emporte, pareil sur les différentes parties du corps. Il a pu changer de rôle et me le faire. Il anticipe ensuite la suite de l’atelier en me disant « Charline, nous pouvons prendre l’avion pour partir à Bali ?»

    Finalement, c’est lui le maître de son voyage. À chaque étape, je propose un autre type de jeu, pour lesquels Akim est très attentif. Ses stéréotypies ont disparu le temps du projet. Il ne semble pas envahi par ses préoccupations quotidiennes. Je perçois pour la première fois un enfant qui n’est plus dans la fuite de l’autre et qui ne s’enferme pas dans son monde. Il est dans le partage et pourra, par la suite, refaire certains jeux qu’il a appréciés. Lorsqu’il veut arrêter, il me dit « Charline, retournons à l’hôpital de jour ». Nous reprenons donc l’avion. Nous sortons du jeu par le jeu.

    À la fin de la séance, il me demande systématiquement si jeudi prochain, nous pouvons voyager en Asie, ou en Amérique du Sud. Dans sa tête, il a déjà le trajet du prochain voyage. Nous avons fini cet atelier à travers cet univers pendant les trois dernières séances de l’année.

    Lorsqu’il sort de la salle, j’observe qu’il retourne dans son monde, ses stéréotypies reviennent. Il se montre très distant et ne semble pas nous écouter. Cependant, quand Éric lui demande comment s’est déroulé l’atelier, il répond attentivement « Nous avons joué avec Charline à voyager ».

    Sa réponse montre qu’Akim a bien compris cet atelier. Il a conscience que c’est un jeu et non la réalité. Il fait la différence entre son monde et les temps de jeu. La mise en scène du voyage a finalement servi de détour afin qu’il accepte de jouer avec moi et ainsi de pouvoir être en lien avec lui, même si c’est juste le temps de l’atelier. Le jeu permet ce contexte. Il est « moins angoissant, qu’un contact direct avec l’adulte, le jeu est entre deux personnes, il est l’objet commun, partagé tel un médiateur qui permet aux individus de se rencontrer, et de se découvrir avec une dimension supplémentaire, le plaisir. […] L’éducateur se rend accessible, lui consacre un moment privilégié »55.

    • Évaluation du projet
    • Évaluation au sein de l’atelier

    Ce projet a été réfléchi avec des objectifs définis en amont :

    • Permettre aux enfants de jouer ensemble.
    • Travailler la relation éducative et la relation à l’Autre par l’outil du jeu
    • Accompagner ces enfants dans le jeu
    • Travailler la dynamique de groupe
    • Favoriser l’écoute de l’autre
    • Transférer ses capacités à jouer dans le quotidien

    Certains ont pu être réalisés comme la création de lien dans l’atelier. Il a permis d’instaurer une vraie relation éducative. D’autres n’ont pas pu être mis en place suite à la reprise de scolarité de Tristan. Ainsi, les deux enfants n’ont pas pu jouer sans l’intermédiaire de l’adulte. J’ai dû m’adapter à ce départ et ainsi proposer une autre tournure à ce projet afin qu’Akim puisse adhérer à la relation duelle avec l’éducateur.

    Avec le recul, je me suis aperçue que dans cet atelier, le game peut être une source de frustration ou d’angoisse pour ces enfants de par la rigidité que suppose ce cadre via les règles. Il a alors fallu que j’amène du play dans le game afin que les enfants puissent accepter d’entrer dans le jeu. L’imaginaire et la créativité du jeu peuvent les aider enfin à devenir partenaires.

    55 Navarro Valérie, Le jeu outil éducatif pour la prise en charge des adolescents, Enfance & Psy, 2/2008, (n°3), p 158-166

    J’observe que l’imaginaire donne un cadre sécurisant et cadrant pour l’enfant afin de favoriser une alliance avec celui-ci. Pour Tristan, comme pour Akim, j’ai adapté le jeu en créant un scénario dont ils peuvent se saisir afin de pouvoir jouer ensemble ou avec moi.

    J’ai ainsi su jouer avec eux. Il me semblait très important de ne pas me positionner en tant qu’arbitre mais plutôt comme partenaire. En effet, je pense que c’est par ce biais-là que la création de lien a pu se faire. « La question de la place de l’éducateur s’articule avec l’enjeu propre du game : le drame de la victoire ou de la défaite. La fonction la plus tentante est celle d’arbitre, qui semble la plus proche de celle d’éducateur. On commence à apercevoir que les choses sont plus complexes, qu’il ne s’agit pas seulement de faire faire des jeux pour faire

    « intégrer la loi », qu’il ne suffit pas de représenter la loi de l’extérieur du jeu… Il va falloir lâcher cette place où tout est « joué » d’avance (moi éducateur/ toi éduqué joueur) »56.

    Il aurait été intéressant de continuer l’atelier par la suite afin d’inviter Tristan et Akim à jouer ensemble en relation duelle…

    • Évolution dans leur prise en charge à l’hôpital de jour

    Sur les temps quotidiens, les deux enfants partagent plus facilement des jeux ensemble. Les crises sont moins fréquentes même si parfois, ils ont parfois besoin d’un médiateur dans le jeu. Ainsi la dynamique de groupe s‘est améliorée. Tristan et Akim se montrent plus apaisés lors des moments collectifs. Ils sont moins « persécutés ». Par exemple, ils sont maintenant moins dans la rivalité : le dialogue est devenu plus simple entre eux et lorsqu’il se voit Akim ne veut plus lui sauté dessus pour « l’égorger » en reprenant ses termes. Les enfants du groupe sont donc plus détendus et peuvent maintenant rester sur le groupe quand ceux-ci sont là. Je perçois moins de peur pour les autres enfants. Mohammed a lui aussi participé à des temps de jeu avec lui. Quant aux autres, ils n’éprouvent pas un réel plaisir à jouer avec eux mais ils peuvent maintenant partager une activité ensemble.

    Lors des temps collectifs à travers un détour de jeu, ils ont réussi à s’investir dans le jeu et leur place s’est modifiée à force de ritualiser le projet et de persévérer. Ils ne se voient plus réciproquement comme des « sujets persécuteurs » mais comme des alliés dans le jeu.

    En parallèle de l’atelier, pour travailler sur les temps de groupe, j’ai instauré des temps de jeux de société du type « S.O.S ouistiti », jeu d’adresse où le but est d’enlever des baguettes

    56 François Hebert, Chemins de l’éducatif, 2eme édition, dunod, p 224

    de couleurs sans faire tomber les singes qui y sont suspendus. Tristan et Akim se portent volontaires pour y participer, invitant d’autres enfants du groupe à partager ce temps avec nous. Tristan est à l’écoute des enfants qui se trouvent en difficulté face au jeu proposé. Il accepte de perdre même envers l’adulte.

    Ainsi le groupe est devenu possible, parfois dans un contexte compliqué, mais je pense que le cadre de cet atelier a permis à Tristan d’accepter de rester sur le groupe éducatif et de se contenir.

    Malgré son retour à l’école, Tristan a appris à jouer avec les membres de l’équipe éducative et à les reconnaitre comme adultes de référence. Même si c’est toujours compliqué lorsque quelqu’un le « frustre », il arrive à se calmer plus rapidement que d’habitude lorsqu’il est accompagné par un adulte.

    Akim, lui, reste fidèle à lui-même. Il est constamment « envahi par ses animaux. » Cependant, il accepte de plus en plus de partager « son monde » avec le nôtre. Lorsqu’il joue avec d’autres enfants sur le groupe, il ne peut se détacher de ses animaux mais se montre plus ouvert à la relation. Concernant la relation éducative, Akim n’hésite pas à venir nous voir afin que nous lui racontions une histoire toujours en rapport avec ses centres d’intérêts lorsqu’il le souhaite. Il reste toujours dans sa bulle, si nous le sollicitons et qu’il ne semble pas avoir envie. L’équipe éducative perçoit tout de même une évolution car il est capable pendant des petits temps de s’ouvrir aux personnes qui l’entourent.

    Je me souviens d’un jour, à la fin de mon stage, où il prend un livre sur les animaux et vient s’assoir à mes côtés. Puis il se met à me poser des questions sur le comportement animalier. À ce moment-là, Akim est en lien avec moi et son comportement semble adapté. Pas de stéréotypies, pas d’obsession (Phrase répétée en boucle sur l’animal auquel il s’identifie) dans lequel il s’enferme quand il se sent en insécurité. Je perçois alors un enfant qui se montre curieux et qui désire apprendre de nouvelles choses.

    Je pense ainsi que cet atelier lui a permis de sécuriser la relation éducative. L’éducateur n’est plus vu comme une menace mais comme un partenaire possible. Il est parfois important de sortir du cadre de notre fonction pour sortir de cet image de « personne ayant le pouvoir » mais plutôt se placer comme allié. C’est surement grâce à ce changement de place à travers un moment privilégié que les enfants ont pris plaisir à jouer ensemble avec l’équipe éducative et peuvent maintenant instaurer du jeu dans le quotidien.

    • Perspectives d’élargissement de l’atelier : jouons avec les familles

    Un samedi matin à l’hôpital de jour, un spectacle de danse a été organisé par des danseurs et des chorégraphes. Les parents et les enfants y étaient conviés. Tout le monde est réuni dans la cour en attendant le spectacle, les parents discutent entre eux et avec les professionnels de la structure. Les danseurs arrivent et expliquent donc que ça sera un spectacle interactif. L’un d’eux prend la parole: « Aujourd’hui, nous allons vous présenter un spectacle très particulier. En effet, nous n’avons rien préparé, nous allons improviser des danses. Pour cela, il suffit de nous offrir un geste, juste un tout petit geste et nous allons faire notre danse avec comme base ce geste. ». Les enfants semblent contents. Ils lèvent la main afin de pouvoir proposer leur geste. Une fois le geste choisi, la danseuse commence une improvisation. L’enfant rentre dans la danse et un jeu s’installe entre les deux personnes. Au fur et à mesure du spectacle, les parents semblent emportés par le jeu : certains décident de participer et de danser avec leur enfant. Ce jour-ci, quelque chose s’est jouée avec les parents de Mohammed. Après le spectacle, les éducateurs et moi avons pris un temps avec eux. C’est la première fois, qu’ils semblent ravis de partager un temps avec les professionnels de l’établissement. C’est ce jour-là, qu’ils ont accepté que Mohammed parte en séjour thérapeutique avec nous, eux qui refusaient catégoriquement ce séjour. Désormais, ils semblent moins dans la fuite et le rejet. Ils sont nettement plus ouverts.

    Je pense qu’il serait donc intéressant d’inviter les parents à participer à cet atelier pour leur permettre de partager un temps avec leur enfant car je suppose que ces parents ne jouent pas souvent avec leur enfant.

    Les professionnels et les parents pourraient ainsi partager des jeux ensemble, et peut-être devenir partenaires. Ils permettraient de donner un rôle très important dans la prise en charge de leur enfant et ainsi de les mettre au centre de la prise en charge conformément à la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale.

    Conclusion

    Tout au long de ce mémoire, je défends l’idée que le jeu est un atout éducatif très important dans l’éducation spécialisée. Très souvent « banalisé », nous pouvons en oublier sa nécessité dans le développement de la relation à l’autre. « Le jeu, par son côté ludique et parfois désinvolte, peut sembler, dans le domaine éducatif, être en marge ou avoir un intérêt secondaire. Ainsi il est parfois victime d’un regard critique sur sa portée éducative. Jouer, ne serait pas sérieux ? »57. Parfois même, l’éducateur qui joue n’est pas pris au sérieux par ses collègues.

    Pourtant, dans le développement de l’enfant, le jeu a une place très importante. « Le jeu est vital ; il conditionne un développement harmonieux du corps, de l’intelligence et de l’affectivité. L’enfant qui ne joue pas est un enfant malade »58. Le jeu a une réelle fonction éducative, « on peut même dire que le jeu fonctionne comme une véritable  institution éducative »59. C’est ainsi que dans ma pratique, j’ai voulu m’intéresser aux jeux avec ces enfants en souffrance psychiques afin de travailler sur la relation à l’autre et leur donner envie d’être en interaction avec nous malgré leurs difficultés. Le jeu amène l’enfant à devenir partenaire avec l’adulte. Il peut permettre à l’enfant de s’investir dans la relation et d’avoir confiance en l’éducateur.

    À la fin de mon stage, Mohammed vient plus facilement me solliciter. Maintenant, nous pouvons jouer ensemble pendant les temps du quotidien. Le jeu a permis une confiance réciproque entre lui et moi.

    Un jour, au mois de juillet, l’équipe éducative décide d’amener les enfants au parc. Le soleil et de fortes chaleurs sont aussi au rendez-vous. Mohammed a toujours besoin de son manteau d’hiver. Sur le chemin, il ne peut pas s’en détacher. Malgré les invitations de l’équipe et de moi-même, impossible de lui enlever sans lui faire violence. Dès que nous l’invitons à l’enlever, il refuse et se met dans des états de paniques très impressionnants, comme si nous voulions lui retirer « une carapace protectrice ». Lorsque nous arrivons au parc, j’observe Mohammed qui est tout rouge et tout transpirant. Il part jouer à la balançoire. Je décide de

    57 Navarro Valérie, Le jeu outil éducatif pour la prise en charge des adolescents, Enfance & Psy, 2/2008, (n°3), p 158-166

    58 UNESCO, L’enfant et le jeu : approches théoriques et applications pédagogiques, étude et document d’éducation, n°34, p 5, consulté sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134046fo.pdf le 02.03.2017

    59 UNESCO, L’enfant et le jeu : approches théoriques et applications pédagogiques, étude et document d’éducation, n°34, p 8, consulté sur : http://unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134046fo.pdf le 02.03.2017

    l’inviter à enlever son manteau afin qu’il puisse jouer plus confortablement. Je m’approche doucement, il s’arrête, descend de la balançoire et il se dirige vers moi. – « Mohammed, tu as très chaud, ça serait bien que tu enlèves ton manteau afin que tu te sentes mieux ». Il commence à bégayer et répond en essayant de me repousser avec ses mains « Non, non, non je ne veux pas », répétant sans cesse cette phrase. Je lui demande donc : « De quoi as-tu peur ? D’oublier ton manteau ? » Mohammed ne me répond pas, un long silence s’installe, il me regarde droit dans les yeux et je finis par prendre la parole : « Mohammed, as-tu confiance en moi ? ». Je n’étais pas sûre qu’il comprenne ma question, mais à ma plus grande surprise, il me répond un simple « non ». Je lui tends la main et lui dis : « Comment je peux te prouver que tu peux avoir confiance en moi ?». Je laisse un silence et dis : « Je sais : si tu me donnes ton manteau, je le garderai très précieusement avec moi, et je te le rendrai une fois que nous serons rentrés à l’hôpital de jour. Je pourrai alors te prouver que tu peux avoir confiance en moi» C’est alors que sans rien me dire, il me tend ses bras, me laisse retirer le manteau sans me repousser et repart jouer en petit pull.

    Depuis ce jour, Mohammed peut me confier ses affaires lorsque je lui demande. Il me donne sa « protection » sans hésitation. C’est sans doute grâce à l’atelier tablette numérique que cela a été possible. Avec la phrase « As-confiance en moi ? », je lui rappelle que c’est lui qui est maitre de ses choix, que je ne contrôle pas tout. À ce moment précis, je me sentais vulnérable et en position basse. « Quand je me sens capable, j’énonce, sur le mode d’un constat, mais à la hauteur de mes sentiments réels, mes ressentis actuels, mes besoins propres, plutôt que faire des injonctions ou des reproches ».60 J’ai décidé de ne pas lui donner d’ordre tel que « Tu dois enlever ton manteau » mais plutôt exprimer ma vulnérabilité afin qu’il se détache de ses angoisses.

    Bien sûr, notre accompagnement ne doit pas se résumer au jeu. « Il n’est pas question de le substituer aux outils habituels de l’éducateur, mais de venir les compléter, les enrichir, les nuancer et parfois même les étayer. »61

    Il est important d’instaurer des temps de jeu avec les enfants, même s’ils sont en difficulté face à celui-ci. L’enfant doit alors percevoir l’investissement et le plaisir de l’éducateur à s’amuser.

    60 François Hebert, le tarot de l’éducateur : des atouts pour une pédagogie en situation, Dunod, p 79-80

    61 Navarro Valérie, Le jeu outil éducatif pour la prise en charge des adolescents, Enfance & Psy, 2/2008, (n°3), p 158-166

    C’est au fil de ces trois années de formation que j’ai vraiment compris l’importance d’utiliser du jeu avec les personnes qu’on accompagne pour compléter leur prise en charge. Lors du module « jeu et rire dans l’éducatif », j’ai constaté qu’après celui-ci, je n’avais plus la même relation avec mes collègues. Le jeu est un outil éducatif qui peut et doit s’adapter à tout public, toute institution. Qu’elles soient adultes, enfants ou adolescentes, c’est à l’éducateur spécialisé d’adapter le jeu en fonction des capacités et des besoins des personnes.

    J’ai moi-même essayé d’en introduire lors de mon dernier stage, dans un foyer, centre maternel avec des mères mineures. Le soir, quand leurs enfants étaient couchés, chacune était sur leur téléphone sans s’adresser un mot.

    Un jour, je leur propose tout bêtement de faire un jeu de cartes afin de passer une soirée ensemble et non chacun de son côté. Seulement deux filles acceptent. C’est plutôt un moment très calme et apaisant où une compétition s’installe mais dans la bonne humeur. Finalement, les jeunes mères demandent maintenant à organiser une soirée jeux de société tous les mercredis. Au fur et à mesure, toutes les mères participent de leur propre volonté à ce temps. C’est parfois dans ces moments-là, qu’elles partageaient avec les éducateurs leurs envies, leurs tracas etc.…

    C’est devenu un atelier hebdomadaire, à leur demande, pour passer un bon moment et apaiser les tensions qu’elles peuvent avoir parfois entre elles. Les jeux de société invitent au partage et à la rencontre.

    Adapter le jeu dans nos pratiques professionnelles permet de positionner l’éducateur comme partenaire et de créer une alliance éducative. « C’est très violent pour l’autre quand l’éducateur ne se fait pas partenaire. » 62 Je m’inspirerai de ces expériences très enrichissantes afin de mettre du jeu dans ma pratique professionnelle future et de ne pas oublier que parfois le côté ludique du jeu est indispensable dans la création de lien.

    62 Paul Fustier, Fil du récit n°3, p 127

    Bibliographie

    Livres :

    • Fernand Deligny, Graine de Crapule suivi de les vagabonds efficaces, Dunod
    • Roger Caillois, philosophe, les jeux et les hommes, Gallimard
    • Jean-Pierre Favre, L’enfant psychotique : approches thérapeutiques en institution, Masson
    • Alain Rouby, Eduquer et soigner l’enfant psychotique, Dunod
    • Jean-Claude Maleval, L’autisme et sa voix, champs freudien
    • Theos Peeters, L’autisme : de la compréhension à l’intervention, 2eme édition, Dunod
    • Donna Williams, Si on me touche, je n’existe plus, édition J’ai lu
    • Winnicot, jeu et réalité; l’espace potentiel, Gallimard
    • Philippe Mérieu, les méthodes en pédagogie in Ruano-Borbalan J C, Eduquer et Former
    • Phillipe Gaberan, cent mots pour être éducateur : dictionnaire pratique du quotidien, éditions érès
    • Philippe Poirier, Le moment éducatif le pouvoir d’agir au risque de la rencontre, comprendre la société
    • François Hébert, Le tarot de l’éducateur : des atouts pour une pédagogie en situations, Dunod
    • François Hébert, Rencontrer l’autiste et le psychotique, Dunod
    • François Hébert, Chemins de l’éducatif, 2eme édition, Dunod
    • Paul Fustier, Fil du récit n°3 Dedans/ Dehors

    Sites internet :

    54)   p    525-574,   disponible   sur         http://www.irts20132016.sitew.fr/fs/Cours/c4c1k- PSYE_542_0525.pdf

    Autre :

    • Projet d’établissement de l’hôpital de jour
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