Et si les moments de plaisir et de jeu étaient les occasions pour se rencontrer avec l’enfant et sa famille… ?
TERRIEN
GUILLAUME
Mémoire en vue de l’obtention du Diplôme d’Etat d’Educateur Spécialisé
Session de juin 2006
INTRODUCTION p. 4
PREMIERE PARTIE : LES ELEMENTS p. 6
D’UNE IMPASSE
I – Benoît ou une rencontre impossible p. 6
- La violence des premières rencontres p. 6
- La violence existe aussi dans la famille… p. 7
- Réunion de rentrée : une énigme… p. 8
II- Au cœur du « roman familial » p. 9
- Une mère en souffrance p. 9
- Le double lien p. 10
III – Dimension institutionnelle de la crise p. 11
- Nos actions au quotidien p. 11
- L’avènement de « rancœurs enfouies » p. 12
- Des difficultés d’entente dans l’équipe… p. 15
- La dimension pédagogique de l’institution… p. 16
DEUXIEME PARTIE : DES DECOUVERTES, p. 20
RECITS DE RENCONTRES
I – La personne autiste p. 20
- Une première description par Léo Kanner p. 20
- D’autres approches… p. 23
II – Partir de la personne p. 24
- Se rencontrer autour d’une chanson p. 25
- Sortir de la crise et s’engager dans le jeu p. 29
- Entendre la souffrance pour rebondir p. 33
- Thomas, pris par l’angoisse p. 33
- Venir indirectement à l’autre p. 35
- Jouer le contact p. 36
- Une approche « comportementaliste », mais pour p. 37
quelles raisons ?
- Une demande implicite p. 37
- La volonté de maîtrise p. 38
- La peur de ne pas savoir p. 39
- Une pédagogie « dominatrice » ? p. 39
III – Construire notre cadre de rencontre … p. 41
- Atelier « Corps accord » p. 41
- Réflexions autour du « cadre de travail » p. 44
- Le cadre conditionne la démarche de l’éducateur p. 44
- Un cadre pour créer des occasions p. 45
- Le cadre est nécessaire p. 46
- La personne autiste peut-elle adhérer au projet ? p. 46
IV – Travailler avec les parents, une nouvelle perspective p. 48
- Les parents d’enfants autistes p. 48
- Les premiers liens parents-professionnels autour p. 50
d’une photo (Il est beau mon fils !)
- La piscine : L’éducateur témoin de la rencontre p. 55
mère/enfant
TROISIEME PARTIE : A LA RECHERCHE p. 61
D’UNE AUTRE APPROCHE
I – De la stéréotypie au jeu… (Ça tourne, ça tourne !) p. 62
II – Les enjeux du jeu… p. 66
- Utiliser le « symptôme » pour établir le jeu p. 66
A) éducateur/enfant
- Le jeu comme étayage de la relation parent-enfant p. 72
- Une famille en crise p. 72
- La transmission père/fils (Répare ma voiture, papa !) p. 73
- L’enfant joue avec la mère (Vous avez joué au garage ?) p. 75
CONCLUSION p. 78
INTRODUCTION
Ces trois années de formation furent d’abord pour moi une rencontre avec l’autisme. Dès mon arrivée sur Paris, afin de gagner un peu d’argent, j’ai fait l’accompagnement d’un adulte autiste à son club de trampoline. Beaucoup de questionnements ont alors surgi. L’autisme nous confronte à l’« étrange ». Il fait peur parfois, nous pousse dans nos « retranchements ».
Dès le départ, cette personne m’a intriguée. Pourquoi était-elle dans « son monde » ? Comment aller la chercher ? Un travail éducatif était-il vraiment possible ? Comment les éducateurs faisaient-ils auprès d’un tel public ? J’ai cherché, j’ai lu, j’ai rencontré des professionnels. Cela devenait de plus en plus clair pour moi : je voulais avoir une réelle expérience dans ce domaine.
J’ai donc cherché une structure accueillant des enfants et des adolescents autistes pour mon « stage à responsabilité ». C’est ainsi que, pendant un an, au sein d’un IME, on m’a accueilli en tant que stagiaire dans un groupe de cinq adolescents. J’avais de « bonnes » intentions : je rêvais que ces jeunes puissent communiquer, s’insérer dans la société, avoir une place reconnue… C’est pourquoi je me suis beaucoup investi dans la dynamique de l’établissement. Dans cette institution, nous travaillions principalement autour des « comportements » de ces jeunes, de leurs « inadaptations », afin qu’ils puissent « se conduire » au mieux dans la vie quotidienne. Il existait une certaine rigueur dans notre démarche. Il fallait être minutieux, précis, perfectionniste et cela m’allait plutôt bien…
Pourtant, lorsque nous étions avec ces jeunes, je voyais que beaucoup de choses « ne marchaient pas ». Cette « rééducation » engendrait au quotidien de nombreuses « confrontations » et finalement beaucoup de violence. Petit à petit, je m’apercevais que notre approche ne convenait pas vraiment, même si elle me rassurait (car à priori nous savions où nous allions). Nous étions comme « empêchés » dans notre travail par ces jeunes qui nous « renvoyaient » (au sens propre et au sens figuré) beaucoup de choses. Nous nous retrouvions dans des situations « impossibles ».
Notre approche ne semblait pas la bonne. Il m’a alors fallu prendre du recul et me questionner sur notre « positionnement » . Qu’est-ce qu’être éducateur auprès d’un tel public ? Ses actions sont-elles véritablement centrées sur la notion d’apprentissage de comportements, de connaissances… ? Quelle est sa réelle place ? Notre cadre de travail permet-il réellement au jeune autiste d’aller vers l’autre ? Comment entrer en communication ? Est-ce possible ?…
Au fil du temps, les retours en formation, les prises de notes quotidiennes m’ont aidé à voir et à faire autrement… En laissant de côté mes « attentes », je pus passer d’autres moments avec les jeunes. Tenter des rencontres, basées sur le plaisir, le jeu permettait petit à petit une autre relation. Au fur et à mesure, les jeunes participaient, sortaient de leur « coquille », riaient. Il n’était plus question d’« éduquer » directement les enfants, mais de les accompagner, de jouer avec eux et pendant de courts instants, ils s’ouvraient aux autres. On a pu aussi discuter, rencontrer véritablement certains parents. En devenant partenaires, nous avons pu débloquer certaines situations et autoriser ainsi l’enfant à établir un « début de relation à l’autre ». Notre implication dans des moments de plaisir partagés, que ce soit avec l’enfant ou ses parents, devenait ainsi les graines de notre travail éducatif.
Mon hypothèse est donc la suivante : En s’impliquant dans des moments de jeu, de plaisir avec l’enfant mais aussi avec ses parents, l’éducateur peut devenir partenaire des deux, témoin du lien fondamental parent/enfant. Sur ces bases, l’enfant en difficulté peut commencer à s’ouvrir aux autres et à avancer…
Dans ce travail, je tenterai donc de retracer « mon parcours » dans cette formation d’éducateur spécialisé. Je partirai dans un premier temps de la situation de Benoît, « situation impossible » dans laquelle chacun des protagonistes étaient « enfermés ». Je montrerai ensuite quelles ont été mes « découvertes » dans ces rencontres avec l’enfant et ses parents. Dans un troisième temps, j’essaierai de présenter ce qu’il s’est passé pour l’enfant et sa famille lorsque, dans mon stage en CMP, nous tentions de susciter la rencontre, le plaisir et le jeu….
PREMIERE PARTIE :
LES ELEMENTS D’UNE IMPASSE
I – Benoît ou une rencontre impossible
B) La violence des premières rencontres
Lors de mon « stage à responsabilité » dans un Institut Médico Educatif en région parisienne, j’ai intégré une équipe accueillant cinq garçons autistes. C’est là-bas que j’ai « rencontré » Benoît, un jeune homme de 17 ans.
Grand, « élancé », les cheveux blonds ébouriffés, les dernières « nike »à la mode aux pieds : à première vue, Benoît est un adolescent ordinaire. Pourtant, son visage nous interpelle par ses « traits crispés », ses yeux « tristes », qui ne vous regardent pas vraiment. Il se dégage de ses gestes, de sa façon d’être, une « étrange » solitude, comme si personne n’était là autour de lui, comme s’il existait un mur infranchissable entre lui et les autres. Benoît ne parle pas, il ne dit pas un mot. Seuls, parfois, des cris aigus surviennent à l’improviste, surprenant alors son entourage.
A l’IME, Benoît reste la plupart du temps inerte, allongé sur le canapé. Les yeux fermés, plus rien ne semble alors exister pour lui à part la musique de Mozart, Beethoven, préalablement allumée et dont il marque le rythme par ses balancements de tête incessants. Benoît ne montre pas vraiment d’intérêt à faire des « activités », si ce n’est quelque fois lorsqu’il descend dans la cour. Il aime par exemple prendre le ballon de basket et « marquer le panier », jeu auquel il est plutôt « habile ». C’est quasiment dans ces seuls moments que Benoît se fait comprendre d’autrui. Il peut nous donner le pictogramme[1] « musique » accroché au mur, pour que l’on branche le poste ou alors, il vient nous tirer la manche, nous montrant ainsi qu’il veut le ballon, rangé dans le garage.
Benoît est donc capable d’aller vers les autres. Mais, au quotidien, il ne montrera que son besoin de « dominer », de « maîtriser » ce qui se passe autour de lui. Par exemple, il faut que ses camarades s’assoient à tel endroit, ou que la porte soit ouverte, puis l’instant d’après, qu’elle soit fermée. C’est aussi lui qui doit allumer ou éteindre le poste de musique. Son entourage doit fléchir et se soumettre à ses envies. Mais dans cette recherche de contrôle, Benoît est vite confronté aux refus des adultes et au cadre du fonctionnement institutionnel…
Nous lui disons souvent qu’il n’est pas possible de faire telle ou telle chose mais Benoît supporte mal les « limites » imposées. Une contrariété peut le conduire à des colères étonnantes et il devient alors très violent. Il jette les objets à sa portée, agresse les personnes, tire les cheveux, donne des coups de pieds. Impatient, Benoît explose et sa fureur devient incontrôlable.
En même temps, cette agressivité n’a-t-elle pas d’autres raisons d’être que ce « refus des limites », de la frustration ? Constamment, à l’IME, Benoît semble nous montrer qu’il a besoin d’avoir du monde autour de lui. Et si cette violence était un moyen d’attirer l’attention ? Dès le départ, l’équipe m’avait dit : « Benoît est très « monopolisateur » car il réussit à réunir parfois trois ou quatre adultes autour de lui, rien que pour lui ». « Benoît est un jeune difficile à vivre, il faut poser le cadre, tout de suite, et faire attention car il est très malin ! »
La violence de Benoît semble aussi être liée à une grande angoisse. Quelle terreur dans ses yeux, quel effroi sur son visage dans ces moments de crise où il paraît complètement perdu ! Parfois, la simple vue de ses voisins ou la voix d’une personne peut provoquer son emportement. Le changement ou l’apparition de nouvelles situations (et notamment de nouvelles personnes, comme ce fut le cas dans ce groupe), embarque Benoît dans une rage démesurée, montrant ainsi son extrême sensibilité à l’environnement.
- La violence existe aussi dans la famille…
Un matin, par hasard, nous avons appris que le domicile familial est aussi le théâtre de violences quotidiennes. L’équipe, qui connaît cette famille depuis de nombreuses années, m’a brièvement présenté la situation à la rentrée. Il s’agit d’une famille « très bourgeoise ». Les parents sont « descendants de généraux ». La mère de Benoît est une « petite dame réservée, très timide », « qui a très peur de son fils » et « qui ne sait pas comment agir auprès de lui ». Par ailleurs, « le père n’est pas là ». On ne m’a pas donné plus de détail et j’en conclus que ce dernier avait quitté le foyer conjugal. Benoît est l’aîné de la fratrie. Il a une sœur de 14 ans, apparemment « en pleine crise d’adolescence » et fréquemment en confrontation avec sa mère qui « se laisse déborder ».
Un matin, donc, Sébastien[2], qui accompagne Benoît à l’IME, arrive complètement affolé. Dans la nuit, il a été réveillé par les « cris d’horreur » de la mère de Benoît, alors qu’il habite, lui, deux étages au-dessus, dans une chambre de bonne. Elle criait car son fils s’était levé, la frappait violemment lui assénant des coups de poing et la secouant dans tous les sens. Pour la première fois, Sébastien a été obligé de passer la nuit sur place pour empêcher Benoît de « se ruer » de rage contre sa mère. Il y a eu toute la nuit des tentatives d’agressions envers elle.
Ce matin-là, nous avons appris qu’en fait, cela se passe souvent mal à la maison. Sébastien nous confie que lorsqu’il n’est pas là, cette dame s’enferme dans une chambre par peur de son fils. Elle ne peut pas rester avec lui, par crainte de ses coups. Benoît est le « maître » à la maison. Il fait ce qu’il veut et, la plupart du temps, écoute de la musique, allongé sur le canapé, « régnant ainsi sur son domaine ».
- Réunion de rentrée : une énigme…
Quelques jours après cet épisode, lors de la « réunion de rentrée », je vis pour la première fois la mère de Benoît. Voilà une petite femme qui entre dans la salle le regard baissé. Elle s’approche, osant à peine regarder ce qui se passe autour d’elle et n’offrant ainsi que le dessus de cette tête blonde qui me rappelle
celle de Benoît. Peut-être intimidée d’avoir un homme comme interlocuteur, elle met beaucoup de temps à me dire un simple « bonjour ». Chacun s’installe et petit à petit, la réunion commence. C’est alors que le père de Benoît entre dans la salle.
Quelle surprise ! Il a une demi-heure de retard. Je n’y comprends plus rien. N’a-t-il pas quitté le domicile ? Je n’eus l’explication que quelques heures après. Ce monsieur était très absent du fait de sa « haute » position professionnelle.
Cependant, quelque chose n’allait pas vraiment dans cette réunion. La relation entre les deux époux semblait très tendue. Il n’y eut entre eux deux aucune parole, aucun regard.
II- Au cœur du « roman familial »
- Une mère en souffrance
L’isolement de cette maman, sa tristesse, sa timidité étaient manifestes. Comment pouvait-on aider cette mère dans ses difficultés avec son fils? J’en parlais à l’équipe qui n’avait pas l’air plus surprise que cela. Malgré tout, cet événement fut le « déclencheur » d’un certain travail.
Nous avons donc tenté de rencontrer les parents, d’engager un dialogue avec cette maman. Elle vint à quelques entretiens, souvent désabusée, fatiguée. Jusqu’au jour où elle révéla un épisode de sa vie qui nous permit d’éclaircir un peu cette situation si confuse. Elle avait été internée durant sa jeunesse dans un hôpital psychiatrique. «J’ai très peur que mon enfant suive le même chemin ! » nous dit-elle. Elle nous avouait son passé honteux à ses yeux, mais aussi pour sa propre famille. D’ailleurs, celle-ci, à l’annonce du handicap de Benoît, avait fait pression sur la mère pour qu’elle abandonne son propre fils. Les parents durent alors faire un choix impossible entre leur famille et leur fils. Leur choix fut de garder Benoît.
- Le double lien
Chaque fois que nous voyons la maman, elle nous montre sa maladresse, son malaise « à être » avec son enfant. Elle bafouille, elle tremble, est agitée, nous regarde comme pour nous dire, « que dois-je faire ? » Quand je repense à ces rencontres, je revois une maman qui se méfie de son fils, qui se tient près de lui, mais comme si elle était prête à courir, à fuir le plus vite et le plus loin possible.
Et pourtant, elle ne voudrait quitter son fils pour rien au monde comme si Benoît était le garant, le socle tenant l’équilibre dans cette famille. La peur qu’il parte, la peur de l’abandonner était là, omniprésente, au point qu’elle éprouvait le besoin d’obtenir un baiser de son fils tous les matins avant qu’il parte à l’IME. Sébastien nous disait que cette « petite fille » faisait des crises de larmes, des « scènes théâtrales », pour que les lèvres de son fils puissent enfin se poser sur sa joue si fébrile. Attendait-elle une quelconque reconnaissance ? Voulait-elle se « racheter » ? De plus, Benoît était-il au centre de ce couple ? S’il n’était plus là, ses parents, tellement distants, continueraient-ils à vivre ensemble ?
Cette impossibilité à se séparer de l’enfant, mais aussi à être avec lui, semblait au cœur de la problématique familiale. Situé au centre de ces relations ambivalentes, Benoît répondait à sa manière : nous avions l’impression qu’il ne pouvait rester seul à l’IME, cherchant une présence par ses crises, ses colères. Pourtant, on ne pouvait pas être trop près de lui, comme si nous envahissions l’espace nécessaire à sa sécurité. Il semblait nous dire à sa façon « Viens, mais je ne peux pas être avec toi, à côté de toi !». Benoît semblait pris, dans le « double lien » au sein de sa famille, mais aussi dans son propre rapport au monde.
Bateson évoque le double lien[3] dans son étude sur la schizophrénie. Je crois y trouver certaines ressemblances. Il nous dit que c’est « une injonction secondaire, qui contredit la première à un niveau plus abstrait […] elle est transmise à l’enfant par des moyens non verbaux. Attitudes, gestes, ton de la voix, actions significatives, implications cachées dans les commentaires verbaux… » « devant une situation de contrainte, tout individu verra s’effondrer sa capacité de distinguer les types de logiques. Les caractéristiques d’une telle situation sont
les suivantes : 1. L’individu est impliqué dans une relation intense, dans laquelle il est, pour lui, d’une importance vitale de déterminer avec précision le type de message qui lui est communiqué […] 2. Il est pris dans une situation où l’autre émet deux genres de messages dont l’un contredit l’autre. 3. il est incapable de reconnaître les messages qui lui sont transmis, afin de reconnaître de quel type est celui auquel il doit répondre ; autrement dit, il ne peut pas énoncer une proposition métacommunicative. Quand un individu est pris dans une situation de double contrainte, il réagit […] d’une manière défensive ». C’est par sa violence et son mutisme que Benoît, je crois, répondait. « Il essayera de se désintéresser du monde extérieur, de se concentrer sur ses propres processus internes et donnera ainsi l’impression d’être renfermé[4]. »
III – Dimension institutionnelle de la crise
- Nos actions au quotidien
L’objet principal de notre travail d’équipe fut alors de tenter d’accompagner Benoît vers une distanciation de cet entourage souvent ambivalent afin de favoriser l’émergence de son bien-être et la construction d’une identité propre.
Nous avons ainsi proposé un « séjour de rupture » de trois semaines dans une institution adaptée pour Benoît. « la séparation permet de différer dans le temps la possibilité de se trouver bien ensemble sans se faire mutuellement du mal, ce qui – pour le présent – s’avère être momentanément impossible [5]». Les parents acceptèrent. Mais, comme pris de panique, ils se rétractèrent au bout de trois jours et vinrent chercher Benoît à la fin de la première semaine, contre l’avis de cette structure d’accueil.
Un « transfert » d’une semaine dans les Alpes pour faire de la randonnée fut aussi organisé. Malgré leur réticence, les parents ont laissé Benoît y aller. La semaine s’est passée sans trop de violence.
Un autre axe de notre travail était la préparation du départ de Benoît dans une structure pour adultes car il avait 18 ans. Le quotidien, la vie en communauté devenaient nos « chevaux de bataille ». L’équipe avait aussi le projet dans l’année de visiter avec les jeunes un internat pour adultes en Belgique. Il nous semblait essentiel que cette « séparation » soit aussi travaillée avec la famille. Au cours de l’année, la psychologue de l’institution a donc tenté de poser des rendez-vous avec madame G. Mais, celle-ci n’est venue que très rarement. La peur de l’institution semblait prendre le dessus. Lorsqu’elle venait, suite aux diverses sollicitations, elle renvoyait un tableau idyllique de sa situation familiale « Tout se passe pour le mieux ! » Elle refusait aussi la moindre allusion à un éventuel départ de son fils. Le père de Benoît était, quant à lui, difficilement joignable et nous n’arrivions pas nous à rencontrer.
Notre travail semblait donc « piétiner » et Benoît était de plus en plus dangereux à l’IME. Jets d’objets (assiettes, couteaux, meubles…) et agressions physiques (coups de poing, de pieds, griffures, tirages de cheveux), la moindre frustration déclenchait une rage, une fureur incontrôlable. Benoît ne pouvait plus rester sur le groupe et restait à sa demande dans la cour de l’établissement, errant de gauche à droite sans vraiment savoir quoi faire ni où aller…
B) L’avènement de « rancœurs enfouies »
Fatigués, désabusés face aux « explosions » de Benoît, notre travail quotidien devenait un calvaire. Nous n’arrivions plus à penser, à prendre ne serait-ce qu’un peu de recul. « Désigné sous le vocable de burn out, il peut se traduire par les termes d’usure, d’épuisement ; il implique une dimension de « surchauffe » et résulte d’un sentiment d’inefficacité et d’impuissance qui génère découragement professionnel et renoncement. Un véritable cercle vicieux se met en place […] désinvestissement ou quête de gratifications narcissiques se mettent en place, corrélatifs à un appauvrissement de la capacité à penser [6]»
Notre incapacité à faire face nous emmena alors à chercher une « raison à nos échecs », un « responsable » et c’est sur les parents que se portèrent finalement les accusations. Dès que la situation était trop difficile, l’éducatrice du groupe interpellait ces derniers. « Ca ne va plus ! Il faut que vous fassiez quelque chose ! », sous-entendant ainsi qu’ils étaient la cause de la détresse de Benoît.
Les paroles de cette éducatrice, et de fil en aiguille d’une bonne partie de l’équipe, se durcissaient de plus en plus envers cette famille qui devenait « mauvaise ». Les parents devenaient ceux qui « n’ont pas donné les médicaments », ceux qui « ne font rien à la maison, qui laissent faire ». « Comment pouvons-nous travailler si les parents sont démissionnaires ? »
Selon Myriam David[7], il existe envers la famille des « attitudes intérieures et [des] positions affectives, plus ou moins conscientes, souvent déterminantes et fréquemment observés, de l’ensemble des intervenants médico-psycho-sociaux-éducatifs et administratifs. Michel Soulé et Janine Noël ont […] insisté sur le rôle joué par la réactivation des fantasmes inconscients de mère idéale. […] l’enfant naturellement […] « bon » entretient l’illusion que de bons soins suffisent à bien le développer et qu’il sera forcément bien s’il est soustrait à des mauvais parents ou à un environnement insuffisant. […] Les mouvements d’identification avec la souffrance constituent une incitation quasi irrésistible pour tous ceux qui ont la vocation d’aider, le désir de soulager » « Chacun fait de l’autre le mauvais, responsable de tous les maux et qu’il faut à tout prix empêcher d’agir »
Ce contexte nocif, cette violence favorisèrent aussi l’émergence des affects, des méfiances et rancœurs enfouies que chacune des parties (si l’on peut le dire ainsi) avait depuis longtemps l’une envers l’autre. Comme il était sous-entendu dès le départ, l’institution considérait implicitement ces parents comme de « mauvais parents ». « Ils n’assument pas leur rôle. » « Ils n’arrivent pas à faire face, ils ne font pas ça, comment peut-on alors y arriver ? » Symétriquement, pour les parents, l’institution avait, je pense, toujours été cet objet persécuteur, synonyme de leur fragilité, de leur culpabilité et de leur incapacité.
Dès le début de l’année, Benoît, lui aussi, était « empêtré » dans nos « affects institutionnels ». Dès le départ, il était considéré comme « dangereux ». « Il faut s’en méfier ! » « Il faut faire attention ! » « Il est malin ! »
Notre travail se transformait petit à petit en un « combat ». « Combattre cette violence générée par cette famille ! » : tel était le mot d’ordre. J’ai tenté à plusieurs reprises de remettre en question ce discours « trop facile », d’apporter des questionnements sur notre position. On m’a répondu : « on connaît cette famille depuis très longtemps ». Ma position de stagiaire n’avait pas de poids légitime à leurs yeux. Mais peut-être était-ce le problème : ils connaissaient cette famille depuis trop longtemps. Comment se débarrasser des sentiments projetés ?
Benoît, pris entre ces deux parties, explosait et exprimait à sa manière cette pression. Le « double lien » était finalement partout, dans le discours de sa mère mais aussi dans le conflit institution/parents qui se développait. « La famille n’est pas un partenaire comme les autres, mais un partenaire génétique qui a des liens essentiels et privilégiés avec l’usager. Un projet établi pour une personne sans le soutien et l’apport de sa famille ne peut réussir qu’à placer cette personne dans un double lien et lui faire dire : si je m’intègre dans les coutumes de mon institution (famille symbolique), je trahis ma famille (famille organique) ; mais si je suis en accord avec ma famille, je suis vécu comme un rebelle, un déviant, un malade, et je trahis les espoirs et la confiance de mes éducateurs, de tous ceux présents dans l’institution. L’usager peut devenir vecteur même de tous les désaccords, de toutes les différences, de tous les règlements de compte entre famille et institution. [8]» Comment Benoît pouvait-il se construire, « former un tout », si tout autour de lui n’était qu’éparpillement et rupture ? Un cercle vicieux se mettait en place. La violence nourrissait le conflit. A la maison, selon les parents, cela n’avait même jamais été plus agréable et il n’y avait qu’à l’IME que la situation était problématique : « Benoît ne souffre pas, à part là-bas ! ».
Le conflit engendra par la suite une incapacité à communiquer. « Ne plus écrire quoi que ce soit dans le cahier de communication pour qu’ils réagissent », « ne plus parler aux parents », tel était le parti pris de mon éducatrice référente.
Cette décision irrévocable nous conduisit logiquement vers un échec et la violence de Benoît augmenta à nouveau. L’éducatrice avoua par la suite qu’elle faisait tout pour que Benoît parte de l’institution car elle ne savait plus comment faire face à ses « attaques », notamment envers elle. Elle avait reçu un coup très violent sur son visage. « Je ne supporterais pas psychologiquement que cela se reproduise » nous dit-elle par la suite. La peur de se faire agresser à nouveau l’amenait alors à éviter Benoît à tout prix. Elle se faisait porter malade très régulièrement. Cette « fuite paniquée » fut aussi une des principales raisons des « discordances » au sein de notre équipe.
C) Des difficultés d’entente dans l’équipe…
L’équipe éducative présente sur notre groupe se composait principalement à l’année de deux éducatrices et d’un stagiaire. Cependant, au bout de deux mois, une éducatrice partit en congé maternité. Elle fut donc remplacée par un éducateur pour le reste de l’année. Bien que préparé, ce changement d’équipe fut un vrai bouleversement pour les jeunes. La violence de Benoît s’amplifia à ce moment, questionnant alors notre propre capacité à travailler ensemble. Le nouvel éducateur, arrivant dans ce contexte, dut se positionner, « faire ses preuves ». Mais, il n’était pas du tout « en accord » avec mon éducatrice référente sur le fond même de l’accompagnement, du travail auprès de jeunes autistes. Il avait plutôt eu une expérience « psychanalytique », alors que l’éducatrice et l’institution prônait une « approche comportementaliste ». Mes deux collègues en étaient venus à ne plus se parler, ni se voir. Chacun profitait de ma présence sur le groupe pour prendre un jour de congé. Ils restaient tous les deux « campés » sur leurs positions et la concertation si précieuse n’était plus de mise. Les jeunes, et notamment Benoît, ressentaient, je crois, cette mésentente, ce désaccord si flagrant.
Les affects personnels et institutionnels amplifiés par les situations de violence quotidiennes prenaient ici toute la place sans laisser d’espace de parole, à chacun des acteurs de cette situation.
E) La dimension pédagogique de l’institution…
L’IME, dans lequel Benoît est pris en charge, utilise majoritairement les principes de la pédagogie TEACCH (Treatment and Education of Autistic and related Communication handicaped Children) (Traitement et éducation des enfants avec autisme et autres handicaps de la communication), créé par Schopler en 1965, aux Etats-Unis.
Ces principes sont les suivants [9]: 1) Connaissance des particularités du fonctionnement cognitif des personnes autistes 2) Adaptation de l’environnement à ces particularités par une organisation de l’espace (Environnement clair, des informations visuelles permettant de mieux comprendre les situations) et une organisation du temps, pour que la prévisibilité permette à la personne autiste d’anticiper, d’être moins dans l’angoisse résultant de l’aléatoire. 3) Connaissance des particularités de chaque personne Même si le diagnostic d’autisme présente des caractéristiques communes à tous les individus, les potentialités, les goûts, la personnalité, les déficits spécifiques, peuvent être extrêmement différents d’un sujet à l’autre. 4) Collaboration étroite avec les parents dans la définition des priorités, des objectifs, et dans l’information réciproque sur l’évolution du jeune. 5) Développement des moyens de communication : Une des principales caractéristiques de l’autisme est l’inaptitude à communiquer de façon normale avec autrui, qui se traduit par des perturbations, voire une absence totale, de l’utilisation du langage oral. L’entourage cherche donc à construire des moyens de communication efficients. 6) Acquisition des compétences sociales et relationnelles pour une meilleure qualité de vie.
Denys Ribas[10] nous permet de poser un regard un peu plus clair sur les propositions effectives de Schopler. Il nous dit que « pour Schopler, les enfants autistes sont victimes d’un handicap inné de la communication, dans une optique neurologique, organique, tenue pour certaine. » Il choisit alors une voie plutôt pragmatique. « Il veut faire apprendre aux enfants ce qu’ils n’apprennent
pas spontanément, en le décomposant : entrer en relation, imiter l’adulte, comprendre le langage, en généraliser le sens, l’utiliser pour exprimer des besoins et enfin accepter les usages de la société ». « La première idée qui oriente cette éducation spécialisée est une évaluation des capacités de l’enfant par une batterie de tests adaptés au niveau très faible de leurs réalisations. Cela aboutit à un « profil psycho-éducatif » qui rend compte non seulement des réalisations, mais aussi et c’est très intéressant, des « émergences », c’est à dire des capacités en ébauche, que l’on devine chez l’enfant. Le programme éducatif, individualisé pour chaque enfant, se donne pour objectif de développer ces « émergences », et de supprimer les conduites qui gênent l’adaptation de l’enfant dans sa famille et la société. L’observation est minutieuse » « Les parents considérés comme « les meilleurs spécialistes de leur enfant » étant associés à égalité avec les professionnels dans le programme. » Schopler insiste alors « beaucoup sur l’adéquation du programme aux différences individuelles des enfants, sur la prise en compte de leurs capacités très réduites : c’est ce qui semble les opposer aux comportementalistes. En revanche le comportement reste la cible de leur action même si elle est très individualisée. »
Denys Ribas insiste sur un point que je trouve intéressant. « Les techniques comportementalistes, qui consistent à réduire les symptômes et modifier les comportements par des récompenses et des punitions, sont très sévèrement critiquées et jugée inadéquates par Schopler. » Il « déclare […] n’y recourir que pour des comportements mettant en danger la vie de l’enfant » Dans la critique de ce « programme », il nous dit que « L’observation individualisée des enfants et l’attention portée aux émergences […] semblent un excellent principe, même [s’il] ne partage pas la manière dont il est appliqué » car « Le dressage, la recherche de l’obéissance de l’enfant […] semblent contraire au respect de la personne ».
Et c’est bien sur ce dernier point, que notre travail à l’IME semblait faire défaut. Avec le recul, il m’apparaît aujourd’hui que, dans ce groupe en tout cas, nos actions avaient plus pour but de « corriger » les comportements de Benoît, que de lui donner ces repères si essentiels à la personne autiste. Il fallait principalement faire en sorte que son comportement soit « acceptable ». Il s’agissait, d’une certaine manière, de « dressage ». La violence de Benoît répondait donc aussi à la violence de l’institution, du fait de son fonctionnement. Denys Ribas nous dit la difficulté pour « le lecteur européen[11] » de bien comprendre la démarche de Schopler. Il trouvera « souvent des ressemblances » avec le « comportementalisme ». Tout ceci est donc confus et conduit l’éducateur à parfois agir sans vraiment savoir ce qu’il fait vraiment.
Au quotidien, Benoît avait souvent des « comportements bizarres », des « stéréotypies ». Par exemple, il éprouvait le besoin de mettre régulièrement sa bouche par terre. Cela semblait le rassurer. Pourtant, l’éducatrice l’en empêchait, en tentant immédiatement de le relever. Je me souviens aussi quand elle l’obligeait à la regarder pour lui dire « bonjour » comme un « garçon bien poli », alors que la fuite du regard est un moyen de défense essentiel chez la personne autiste. « les enfants autistes sont particulièrement sensibles à la manière dont le langage vient à eux […] Aussi se figent-ils dès que la parole s’adresse à eux de face. Non seulement, ils fuient le regard de l’interlocuteur mais ils réagissent souvent physiquement en reculant.[12] » D’autres fois encore, certaines personnes lui interdisaient de se balancer, en lui tenant la tête ou le buste. Pour se rendre aux toilettes, il lui fallait prendre le pictogramme correspondant. Il savait pourtant y aller tout seul. S’il voulait boire, il devait demander avec un « picto », même s’il était capable de se servir lui-même. Les professionnels disaient qu’ils travaillaient ainsi à lui donner la possibilité de s’exprimer, de communiquer avec autrui. Mais acceptions-nous sa façon à lui de communiquer ? C’était là du « forçage », plus qu’une réelle démarche éducative. Ecoutions-nous vraiment sa souffrance ou voulions-nous seulement faire taire les manifestations de celle-ci ?
Cette orientation particulière avait aussi d’autres conséquences. Elle rejetait toute forme d’analyse de notre pratique. Dans les réunions, nous ne parlions jamais des jeunes. Nous n’évoquions que « les moyens d’évaluation » de tel ou tel comportement. Quelle réflexion avions-nous sur nos difficultés ? J’ai aussi souvent entendu qu’« il ne fallait pas être trop psychanalytique !» Il s’agissait là davantage d’une guerre idéologique que d’un réel intérêt pour la
personne elle-même. Surtout, ne pas tomber dans le « camp adverse » ! Cette carence institutionnelle a, je pense, été à l’origine de cette situation vécue si lourdement par l’ensemble des professionnels confrontés à la violence et à ce qu’elle génère en chacun de nous. L’équipe n’avait pas d’espace de parole. Quelle remise en cause de notre façon d’accompagner Benoît et sa famille, pouvions-nous alors faire ? Nous étions ainsi dans une « rencontre impossible ».
La situation de Benoît posa pour moi les différents axes de notre travail d’éducateur. Il s’agissait alors de réfléchir à notre rapport direct à la personne, au cadre de travail dans lequel nous agissions, mais aussi à notre lien avec la famille de la personne accompagnée. C’est donc autour de ces trois « pôles » que j’ai construit cet écrit.
DEUXIEME PARTIE :
DES DECOUVERTES, RECITS DE RENCONTRES
Au regard de la situation de Benoît, il semblait primordial de pouvoir prendre en compte et partir réellement de la personne dans notre travail. Cependant, je n’ai compris cela qu’à partir de situations, de moments vécus avec Benoît et d’autres jeunes.
I – La personne autiste
Tout d’abord, il est nécessaire de tenter brièvement d’expliquer, ce qu’est l’autisme. Néanmoins, mes propos ne se veulent en aucun cas « absolus ». Il s’agit seulement de pouvoir éclairer un peu le lecteur sur les difficultés que la personne autiste retrouve généralement au quotidien.
- Une première description par Léo Kanner
L’autisme et sa symptomatologie sont décrits précisément par le célèbre psychiatre américain Léo Kanner. Pourtant, c’est Bleuler, un psychiatre allemand, qui, en 1911, utilisa pour la première fois le terme d’« autisme » pour qualifier le repli sur soi dans ses études sur les schizophrènes. Pour Bleuler, il s’agit d’« un état de rupture complète avec les autres[13] »
Léo Kanner[14], en 1943 engage une étude auprès de onze enfants qu’il reçoit en consultations et qui présentent les mêmes caractéristiques. Il en vient à certaines observations et conclusions.
« Le trouble fondamental le plus frappant, « pathognomonique » [c’est à dire ce qui signe la maladie], est l’incapacité de ces enfants à établir des relations de façon normale avec les personnes et les situations, dès le début de leur vie. Les parents parlent d’eux en ces termes : depuis toujours, enfant « se suffisant à lui-même » ; « comme dans une coquille » ; « plus heureux tout seul » ; « agissant comme si les autres n’étaient pas là » ; « parfaitement inconscient de tout ce qui l’entoure » ; « donnant l’impression d’une sagesse silencieuse » ; « échouant à développer une sociabilité normale » ; « agissant presque comme sous hypnose ».
Léo Kanner nous dit alors qu’« il existe d’emblée un repli autistique extrême qui chaque fois que c’est possible, fait négliger, ignorer, refuser à l’enfant tout ce qui lui vient de l’extérieur ». Quasiment, toutes les mères des enfants qu’il a étudiés ont évoqué « l’échec de leur enfant à adopter une attitude anticipatrice », par exemple, lorsqu’il était pris dans les bras, alors qu’un enfant normal de 4 mois développe cette attitude, selon Gesell.
Selon Kanner, « La peur du changement et de l’incomplétude paraît être un facteur essentiel dans l’explication de la répétition monotone et de la limitation dans la variété de l’action. ». Il en était de même pour Benoît, qui remettait constamment tous les objets à « leur » place. « si la moindre chose est modifiée ou enlevée, c’est la situation toute entière qui n’est plus identique et ne peut donc plus être acceptée comme telle, ou qui est ressentie avec impatience voire même une réaction de profonde frustration. » « Les objets qui ne changent ni d’apparence, ni de position […] et ne menacent jamais l’isolement de l’enfant, sont volontiers acceptés par l’enfant autiste. » « Le mode de relation de ces enfants avec les personnes est totalement différent. Chaque enfant en entrant dans le bureau s’est précipité vers des cubes, des jouets ou d’autres objets sans prêter la moindre attention aux personnes présentes. » Florian, un jeune autiste de notre groupe, rentrait chaque matin dans la salle sans même porter un regard vers l’extérieur. Il filait « droit devant lui », puis s’asseyait sur son siège, « les yeux fixés sur le vide ». Pour Kanner, ces enfants « se révèlent inaccessibles et n’ont aucun contact affectif direct avec les gens » et recherchent « l’isolement toujours ardemment désiré » alors que « Sur le plan physique, ces enfants paraissaient normaux […] les électroencéphalogrammes étaient normaux »
Suite à son étude, l’hypothèse de Kanner est donc la suivante, que « ces enfants sont venus au monde avec une incapacité innée à établir le contact affectif habituel avec les personnes ».
Pour Denys Ribas[15], le trouble essentiel évoqué par Kanner porte sur la capacité à communiquer. « Bien que beaucoup des enfants qu’il a choisis pour faire cette étude parlent, ils ne se servent pas de ce langage pour communiquer directement avec leurs proches. Bien au contraire, ce langage leur permet de développer des bizarreries hermétiques, un monde à eux. » « Le langage est fait de nombreuses expressions dépourvus de sens apparent. » « L’incapacité de symboliser[…] est le véritable problème »
Kanner nous a ainsi montré des enfants « différents », pris dans l’autisme. Bruno Bettelheim[16], parlait lui de « Forteresse Vide » pour décrire ces enfants que l’on n’arrivait pas à atteindre et dont on ne savait pas vraiment s’il existait quelque chose derrière cette façade.
Denys Ribas, nous fait un portrait de l’enfant autiste au début de son livre. « un enfant autiste est souvent beau, rien ne le différencie physiquement des autres. Sa rencontre entraîne angoisse et perplexité. Il ne semble pas faire attention à l’autre. Apparemment indifférent, il est dans son monde. Vos efforts pour éveiller son intérêt restent vains. Il semble complètement absorbé par des gestes ou des activités répétitives : bouger ses doigts devant ses yeux, faire tourner sur eux-mêmes avec une extraordinaire dextérité tous les objets qui sont à sa portée, ou se balancer d’avant en arrière les yeux vides. […] Il ne pleure pas, il crie une douleur affreuse. Vous essayez de le prendre dans vos bras pour le calmer : c’est comme si cela redoublait sa souffrance. En un instant, vous vous sentez […] responsable, terrifié vous-même, et tragiquement impuissant devant cet être aussi vif qu’il était inaccessible auparavant. »
B) D’autres approches…
Cette question de la personne autiste « repliée sur elle-même », pour qui les autres n’existent pas, fut aussi traitée par les approches comportementalistes qui ont essayé par leur rigueur de trouver des réponses pragmatiques aux difficultés de l’enfant autiste.
Tout d’abord, la compréhension de l’environnement social est très difficile à appréhender. En général, elle a des « difficultés d’interprétation des actions d’autrui[17] ». « Des anomalies sont rencontrées au niveau de la compréhension des expressions ». Il lui est donc compliqué d’utiliser les mots. Beaucoup de personnes autistes n’ont pas l’usage de la parole. Elles peinent à « donner du sens » à ce qu’elles voient, entendent et ressentent. « Les manifestations émotionnelles […] n’étant pas intégrées », tout est très confus. Pour la personne autiste, l’usage et la sensation, la perception du corps sont souvent déformés, inhabituels. Paul Tréhin[18] évoque ainsi « la souffrance provoquée par certaines sensations ». Ainsi, toucher une personne autiste est parfois très compliqué.
La personne autiste se retrouve ainsi, complètement « perdue ». Elle n’a plus de repère, ni « d’emprise sur l’environnement ». « Les situations génèrent [de] la frustration et l’angoisse ». C’est de là « qu’émergent les troubles les plus graves du comportement ». La personne autiste se défend ainsi par différents moyens. La violence est parfois un moyen de réponse au désarroi vécu comme nous le montrait parfois Benoît à l’IME.
Beaucoup trouvent aussi la nécessité de se « créer » des repères. Les stéréotypies, mouvement répétitif, apporte ainsi la sécurité, le contrôle nécessaire et rassurant, sur ce monde où rien n’est compris, où rien n’est maîtrisé. « Au moins, ça, ça ne changera pas ! » Mais, en général, il n’y a plus que cela qui existe. Il s’agit là d’un moyen de se protéger, de se couper de l’extérieur. Je me rappelle encore de Florian qui sortait son doigt de sa bouche, faisant ainsi apparaître un « fil de salive ». Il contemplait celui-ci jusqu’à ce qu’il tombe puis recommençait sans pouvoir s’arrêter. Plus rien alors ne semblait compter.
« Stéréotypes et comportements stéréotypés. Ils donnent un sentiment de continuité. Les rituels, les gestes stéréotypés donnent l’assurance que les choses peuvent rester les mêmes assez longtemps pour avoir leur place incontestée au sein d’une situation complexe et mouvante autour de soi.[19] » « Se balancer, secouer les mains, se frapper la tête, donner des petits coups sur les objets, se tapoter le menton… Autant de gestes qui procurent un sentiment et relâchent la tension. Ces pratiques diminuent l’anxiété et la tension qui se sont accumulées à l’intérieur. Plus le mouvement est intense, plus la sensation à combattre est forte. »
II – Partir de la personne
A l’IME, notre « façon de travailler » avec Benoît ou d’autres jeunes semblait donc se heurter au « mur de l’autisme ». Leurs difficultés spontanées étaient d’autant plus présentes et nous n’arrivions pas à y répondre, à faire avec. Pourtant, cette « approche comportementaliste », me convenait au départ assez bien. J’avais en effet besoin de savoir où j’allais, ce que je faisais et notamment de maîtriser la relation à l’autre. Ces tableaux d’évaluation de comportements, ces « lignes toutes tracées » me rassuraient, je crois. Je pensais que notre rôle était de pouvoir transmettre à ces jeunes autistes comment vivre avec les autres, au travers de l’apprentissage de comportements, de connaissances pratiques. Mais, cela « ne marchait pas », je le voyais bien.
Puis, peu à peu, les retours en formation, la prise de notes dans un « journal » quotidien m’ont aidé à prendre du recul. « Ces jeunes nous emmènent à chaque fois là où nous ne maîtrisons rien. Ils sont constamment en confrontation avec nous ». Ce constat me permis de réfléchir sur ma pratique. Il fallait s’y prendre autrement…
- Se rencontrer autour d’une chanson
C’était le retour des vacances de février. Je revenais à l’IME, content de retrouver « le club des cinq » (surnom que je donnais au cinq jeunes du groupe). Pourtant, à peine la porte franchie, je tombais de mes belles illusions de « vacances réussies ». Le teint blême, Benoît était allongé sur le canapé, le visage recouvert de plaies et de pansements. Il se serait « auto-mutilé » selon ses parents. Au bout de quelques heures, Benoît nous montra combien il était perdu, paniqué. Il était complètement affolé, donnait des coups à gauche, à droite. Il réussit à prendre la cafetière encore bouillante et la lança à travers la salle, risquant ainsi de brûler quelqu’un. Il ne faisait pas de différence entre les jeunes et les adultes. Il frappait sans vraiment que l’on puisse le maîtriser. Parfois, il se posait, nous laissant supposer que la crise était finie, mais chacune de nos paroles semblait réactiver cette peur dans ses yeux, qui déclenchait alors son agressivité. Tout, à ses côtés, semblait être un danger qu’il lui fallait détruire. La journée fut très longue et elle se termina après beaucoup d’efforts et de temps passé à maintenir Benoît pour qu’il ne fasse pas de mal aux autres, ni à lui-même. Que pouvions-nous faire pour lui au point où il en était ? Comment lui apporter un peu de réconfort ? Sébastien nous dit le soir qu’à la maison, Benoît ne dormait plus vraiment et ne mangeait pas beaucoup. Il était très fatigué. Que s’était-il passé dans ce centre de vacances ?
Le lendemain, cela semblait aller un peu mieux. Nous avions même pu commencer à soigner ses plaies et Benoît se laissait faire. Mais dès que nous avons débuté l’accueil – moment permettant de visualiser l’emploi du temps de la journée grâce à des pictogrammes – Benoît explosa de colère. Il se leva, criant de toutes ses forces et fit tomber une grosse armoire, pleine de livres et de matériels.
Dans les moments de violence de Benoît, nous avions tenté beaucoup de choses. « Punir » Benoît, « travailler sur les règles de vie » avec un « panneau des interdits », verbaliser ce que nous pensions de ses actions, mettre des mots sur sa peur, reprendre avec le directeur. Rien ne semblait l’apaiser. Par défaut, nous avions opté pour mettre Benoît à l’écart du groupe dans la cour. Mais il fallait alors qu’un éducateur reste avec lui car Benoît ne pouvait rester seul. Notre équipe commençait vraiment à s’essouffler et à se décourager. Que faire ? Cette question trottait en chacun de nous. A tout moment, un objet pouvait voler dans la pièce ou quelqu’un être agressé.
Benoît était pris en charge depuis ses dix ans au sein de cet établissement. Cette salle qu’il connaissait très bien devenait un lieu difficile à investir. Il avait sûrement besoin de sortir, d’aller « ailleurs ». C’est pourquoi, ce jour-là, quand la crise s’estompa, nous sommes partis faire une ballade dans un parc des environs. Il fallait faire baisser la tension, pour que chacun puisse souffler un peu. Nous allions prendre l’air.
Célestin Freinet[20] s’est aperçu combien les enfants étaient différents lorsqu’ils sortaient lors de « promenades », avec des enfants normaux, il est vrai : « Ce n’est pour ainsi dire qu’accidentellement qu’il commença à accrocher vraiment les notions de calcul à l’intérêt vivant de ses élèves, quand il commença ses promenades. » Les sorties étaient « gratuites ». « La promenade, c’était le moment le plus attendu par les enfants. » « Rentré en classe, il fallait, bon gré, mal gré, retrouver les rangées de bancs qui maintenaient les enfants prisonniers, les immobilisaient dans leur corps et leur pensée. »
Nous nous promenions tous ensemble dans le parc. Je restais plus particulièrement auprès de Benoît. Je voyais à son regard que son angoisse perdurait. D’un seul coup, Benoît se retourna en criant et tenta de me donner des coups au visage. Je ne crois pas que cela m’était vraiment destiné, mais plutôt qu’il se dirigeait vers moi parce que j’étais la personne la plus proche de lui. Je fus alors obligé de lui maintenir les bras pour arrêter ses poings pour que cette violence cesse. J’essayais de lui parler, de dire ce qui était en train de se passer, mais il était « trop loin ». De son regard, se dégageait une détresse terrible. Petit à petit, ses attaques diminuèrent. Cela semblait le rassurer qu’il y ait quelqu’un qui réponde à ses agressions fermement et calmement, comme s’il savait que je n’allais pas le laisser se détruire. Sa colère s’éteignit ainsi peu à peu.
Nous continuions notre chemin et Benoît continuait de crier. Il avait cette habitude de crier de manière très aiguë quand il marchait. A ce moment-là, je ne sais pas pourquoi mais j’ai pensé pour la première fois : « On dirait qu’il chante!». Son cri continu avait successivement différentes intonations et Benoît semblait chaque fois répéter le même « air ». Toutes ses émotions m’avaient moi aussi bouleversé. J’étais moi-même assez tendu et je crois qu’il fallait, moi aussi, que j’arrive à m’évader. Alors, je me suis mis moi-même à chanter. Plus exactement, je répondais « en écholalie » au cri de Benoît. Je faisais exactement la même chose.
« Quand j’essayais de me faire comprendre par un jeu ou un geste symbolique, le mieux était de rester calmement à côté, sans me regarder avec insistance, en se contentant de reproduire ce que je faisais à quelques pas de moi, comme si de rien n’était. Cela confirmait la compréhension de ce que j’essayais de communiquer et me donnait le courage de continuer.[21] » Par l’imitation, nous rentrions dans un échange et son cri prenait alors une valeur communicative.
Tout de suite, Benoît m’a regardé. Il semblait surpris. Et c’est ainsi qu’un petit jeu commença à s’installer entre nous. Benoît se mit alors à chanter (ce n’était plus un cri mais bien un chant maintenant) et attendait que je lui réponde par mes « la, la, la, la ». Il me regardait d’un air malicieux et cela semblait beaucoup l’amuser. Chacun avait son « temps de parole » libre. Lorsque je variais mon chant, un sourire semblait doucement se dessiner au coin de sa bouche. Et le plus impressionnant, c’était qu’il me regardait, lui pour qui regarder un autre est si difficile. Pendant près de dix minutes, nous avons ainsi chantonné en écho. Nous nous sourions l’un et l’autre alors qu’auparavant, tout n’était que souffrance, destruction. Mais, au fur et à mesure, nos chants communs se sont éteints.
Je ne voulais pas en rester là. Je lui ai dit qu’à mon tour, j’allais lui « offrir » quelque chose. Et je lui ai chanté une chanson que j’aime tout particulièrement. Je la chantais avec mon frère, il y a quelques années. Cette chanson m’est très chère et me rappelle beaucoup de bons moments de complicité, de partage. C’est une chanson très calme et nostalgique que les esclaves noirs américains fredonnaient dans les champs de coton… Nous marchions doucement, l’un à côté de l’autre, sous les arbres du parc. Benoît me regardait et m’écoutait attentivement, peut-être comme jamais il ne m’avait écouté. C’était comme si je m’étais découvert et que maintenant, avec lui, nous pouvions partager autre chose. C’était une deuxième rencontre.
Parfois, on cherche, on tâtonne pour savoir comment créer une relation à l’autre. Ce jour-là, au travers de quelques intonations reprises en écho, d’une chanson où je m’étais impliqué, j’ai pu voir un peu de Benoît, de celui qui se cachait derrière cette violence. J’avais pu le rejoindre dans ce monde où seule la musique semblait compter pour lui, et ainsi réellement le rencontrer.
Dans son ouvrage, « Si on me touche, je n’existe plus », Donna Williams[22] montre comment il lui était difficile d’être avec les autres. Elle raconte la peur qu’elle avait d’être découverte réellement sous son vrai visage, sous ses réelles émotions, dans son univers. « Il ne serait pas dit que des inconnus puissent approcher ce que j’avais protégé des regards indiscrets depuis longtemps » Elle conseille à la fin de son livre de faire croire à la personne autiste que « celui qui l’écoute ne pourra pas l’atteindre, ni détecter ses intentions au travers des mots qu’elle emploie. » Elle insiste aussi sur l’impact de la musique auprès de personnes autistes. Benoît était fasciné par celle-ci. « je pouvais devenir mentalement sourde et aveugle à tout sauf à la musique, qui réussissait toujours à mettre mes sens en éveil. » « C’est au travers de la musique que je commençai à exprimer ma véritable personnalité. »
La chanson s’est terminée et nous avons continué à marcher. La violence a repris un peu plus tard. Son monde l’a rattrapé, mais pendant un court instant, nous étions sortis de ce qu’il ne pouvait plus supporter, de ce qui le faisait tant souffrir. Benoît avait besoin d’une vraie rencontre, d’une rencontre basée sur le plaisir, l’échange et non plus sur ces injonctions quotidiennes. Il nous fallait sortir de cela, de l’institution comme de notre quotidien, « aller ailleurs » pour enfin pouvoir se croiser.
Paradoxalement, c’est au travers des moments de crises qu’« un autre travail » put émerger. « La crise est un moment crucial, un carrefour ; elle désigne un point critique où l’avenir bascule dans l’inconnu.[…] Cette première définition de la crise est reliée à l’idée d’un changement brutal qui vient modifier un ensemble et la place occupée dans cet ensemble. Pour autant, penser la crise comme moment d’entre-deux fait appel à la notion de passage d’un état stable à un autre état ayant à nouveau un caractère de stabilité[23] ».René Kaës[24] nous dit aussi que souvent ce qui prédomine dans la crise, « c’est l’idée centrale d’une perturbation et finalement [sa] négativité » car elle est difficile à vivre, à supporter. Il suggère lui aussi que les crises « mobilisent les ressources individuelles nécessaires à la mise en place de nouvelles régulations. »
D) Sortir de la crise et s’engager dans le jeu
Chaque jour, la violence de Benoît nous épuisait un peu plus. Un midi où il renversa la table, les chaises, jeta les assiettes à peines finies, je le fis sortir de la salle. Cela ne pouvait plus durer. Il allait finir par blesser grièvement quelqu’un. Il sortit en courant, très énervé. Je le suivais de très près. Ses bras crispés montraient son énervement, comme si cette colère qui le rongeait de l’intérieur ne pouvait pas sortir. Nous nous retrouvions ainsi tous les deux dans la cour de l’établissement. Je ne pouvais pas le laisser seul car Benoît aurait « explosé ». Cependant, ma présence ne semblait pas l’apaiser : il allait de gauche à droite sans savoir quoi faire et son visage « traduisait » sa peur. La cour donnait sur trois espaces différents : la classe, la cuisine et l’escalier. Benoît tenta alors d’entrer par une des portes. Mais dès que j’arrivais, il se reculait, sachant déjà que je ne pourrais pas le laisser monter ainsi. Il courait alors vers les autres entrées et, sans pouvoir faire autre chose, je le suivais. Je tentais de rester calme mais il m’entraînait dans un cercle vicieux que je ne pouvais plus arrêter. Je ne voulais pas le prendre par le bras et le maintenir dans un coin. Je n’allais pas fermer l’ensemble des portes à clé et le laisser seul dans un tel état. Je continuais à le suivre sans vraiment savoir où cela allait nous mener. Voyant qu’il ne pourrait pas partir et que je restais plutôt calme, il commença à jeter des objets. Benoît n’avait pas les mots pour sortir sa colère, juste ses bras pour nous montrer à quel point il était « perdu ». Il prit une chaise en plastique qu’il me lança violemment. Je l’ai rattrapée et l’ai posée par terre. Je ne disais rien mais le fixait fermement dans les yeux. Je voulais qu’il comprenne que je ne me mettrais pas en colère et qu’il n’obtiendrait rien de cette façon.
C’est alors que me vint une idée. Il fallait l’intéresser, l’emmener vers autre chose. Or, Benoît aime suivre les autres. Dans la cour, lors des « récréations », beaucoup de jeunes autistes ont des déplacements répétitifs. Ils vont et viennent tournant chaque fois aux mêmes endroits. Benoît semble intéressé car il les suit, regardant précisément leurs pas, impatient de connaître ce que l’autre va faire de son parcours.
Mais là, il n’y avait personne. Juste lui et moi. Et autour, il n’y avait rien. Tout avait été rangé, sauf une trottinette. Je me suis dit qu’il fallait tenter le coup : Benoît était en pleine crise et je me mis à faire de la trottinette. A cet instant, Benoît s’arrêta de lancer les chaises qui jonchaient le sol. Il ne criait plus et me regardait.
F. Dodson[25] évoque le « hors jeu inverse ». L’éducateur sort physiquement du « face à face » dans lequel il se trouve et qui fait blocage. Il s’en va. Cette action a souvent pour effet de stopper le comportement problématique. Dodson insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas d’une punition. L’enfant n’a plus de raison de continuer puisque son interlocuteur est parti. Il passe donc à autre chose. Il s’agissait aussi d’utiliser les centres d’intérêts de Benoît pour repartir sur quelque chose de positif, de constructif. « L’idée centrale de ce terme (l’intérêt) paraît être que l’individu se sent engagé, subjugué, accaparé par une activité à laquelle il reconnaît une certaine valeur.[26] » Son intérêt pour les déplacements était « une des ficelles à tirer » pour l’aider à sortir de cette situation, où lui-même était peut-être « enfermé ».
Je me suis alors mis à siffler et je le regardais tout en faisant mes tours de cour. Cela faisait extrêmement longtemps que je n’avais pas fait de trottinette et je m’amusais beaucoup moi-même ! Benoît me regardait toujours fixement et, tout à coup, il se mit à me suivre.
Ce genre d’attitude est aussi évoquée par Paul Fustier[27] dans ce qu’il appelle l’« effet ricochet ». « effet de « changement » ou de « traitement » ou de « thérapie » que peut avoir cette liberté laissée à l’enfant de s’introduire dans une pratique qui ne le vise pas, mais qui reste ouverte s’il veut s’y engager », Dans une position énigmatique, c’est à dire sans s’occuper de son entourage, l’éducateur attire l’autre qui, curieux, vient librement se joindre à l’activité.
Benoît se mit bientôt à me courir après. C’était plutôt comique. Je tournais autour du poteau. Je me cachais. On faisait la course. On jouait au chat et à la souris. Eh oui, finalement, maintenant, on jouait, tous les deux, alors que, cinq minutes avant, déchaîné, il me lançait des fauteuils en plastique.
Paul Watzlawick[28] lui aussi a théorisé ce genre de stratégies. Il parle de « re-cadrage ». L’éducateur, au lieu d’agir sur le symptôme et donc ici, en l’occurrence, la violence de Benoît, agit sur la situation globale, sur le contexte. « re-cadrer signifie modifier le contexte conceptuel et/ou émotionnel d’une situation, en le plaçant dans un autre cadre […] le sens par conséquent change complètement» Le symptôme n’a alors plus de sens dans ce nouveau système et il disparaît. « le changement a pris place à la suite d’un changement tout à fait fortuit et apparemment sans importance ».
La crise était finie. Il me suivait, mais au bout d’un moment, peut-être un peu fatigué, je me suis arrêté. « Benoît, si tu veux que ça continue, il faut maintenant que tu me pousses ! ». Je lui montrais comment faire en mettant mes deux mains sur mon dos. A cet instant, Benoît posa ces mains et se mit à me pousser. C’est la première fois que Benoît me touchait de sa propre initiative, dans un but précis. C’était maintenant lui qui me faisait avancer, qui m’aidait à aller plus loin : tout un symbole.
Cet objet, la trottinette, a fait médiation. Elle permettait d’être ensemble sans que cela soit dangereux, intrusif. Elle évitait le face à face. « Communiquer par le biais des objets était sans danger. [29]».
Mon collègue qui était resté avec les autres jeunes du groupe descendit dès qu’il put pour m’aider. Lorsqu’il entra dans la cour, il fit de grands yeux. Je crois qu’il ne comprit pas tout de suite pourquoi je faisais de la trottinette et que Benoît me courait après. Mais il vit que tout se passait bien. Il me fit un grand sourire et repartit sur le groupe. Le jeu se poursuivit jusqu’à ce que d’autres jeunes arrivent dans la cour.
Temple Grandin[30] remarque que ce sont parfois les « fixations » qui font avancer. « On peut diriger les fixations vers quelque chose de constructif. Ecarter la fixation peut être imprudent. Souvent, on se débarrasse d’une mauvaise habitude en la remplaçant par une autre. Il en est de même pour les fixations. Mais transformer une fixation en une action positive peut être gratifiant. La fixation sur un sujet particulier peut mener vers une forme de communication, entre soi et soi peut-être, puis c’est au moins un pas vers la communication. Si un enfant autiste est bien dirigé, une fixation peut le motiver. » « Un autre professeur, Mr Carlock, […] a canalisé mes fixations vers des projets constructifs. Il n’a pas essayé de m’attirer vers son monde mais il est entré, au contraire dans le mien. Il semblait comprendre que je cherchais à être acceptée telle que j’étais. Je lui ai fait tacitement confiance. »
C’est aussi par le jeu que je pus rencontrer Benoît. Par ce « Tu me pousses ? », au travers d’un moment de plaisir, nous étions devenus « partenaires », « Jouer , c’est une expérience : toujours une expérience créative […] une forme fondamentale de la vie [31]» Pour Winnicott, le jeu se situe dans un « espace transitionnel », dans une aire intermédiaire entre l’espace interne de l’enfant et le monde extérieur. « Le jeu fournit un cadre pour le début des relations affectives et permet donc aux contacts sociaux de se développer [32]»
Avant cette expérience, il est vrai que je pouvais jouer quelques fois avec Benoît ou d’autres jeunes dans la cour. Je prenais le ballon, leur courais après, tentais de faire rire ou je disparaissais quelque fois derrière un poteau, et souvent Benoît venait me chercher. Je m’amusais beaucoup, et je crois que Benoît aussi. Mais je ne me voyais pas là « un vrai travail ». L’enfant « ne joue pas pour apprendre mais apprend parce qu’il joue[33] » Ce n’est qu’à partir de cette « aventure en trottinette » que je découvrais la portée et les enjeux de ces instants de jeu.
E) Entendre la souffrance pour rebondir
Au fur et à mesure, dans ces courts instants du quotidien, Benoît évoluait dans son rapport à l’autre même si cela semblait encore fragile. D’autres rencontres renforcèrent mes convictions quant à cette « autre façon de travailler ».
1) Thomas, pris par l’angoisse
Aujourd’hui, c’est ma rentrée à l’IME. Les vacances se sont bien passées pour moi et je suis très en forme. Les jeunes ont déjà repris depuis quelques jours et j’arrive assez impatient de les retrouver. Lorsque j’ouvre la porte de la salle, le climat est « tendu ». Benoît est allongé dans le canapé et est le seul garçon du groupe arrivé pour l’instant. La bouche ouverte, il balance comme à son habitude la tête de droite à gauche. Il ferme les yeux et plisse le front. Personne ne dit rien et, seul, « Laisse moi t’aimer » de Mike Brant « tourne en boucle ». Le temps semble figé. J’ai l’impression que mes collègues sont prêts à bondir afin de contenir une « future crise » de Benoît. « On va encore s’amuser aujourd’hui ! » me dis-je.
Mes deux collègues me racontent alors ce qui s’est passé durant ces quelques jours. Benoît avait plusieurs fois fait tomber les armoires, attaqué ses camarades et les éducateurs. La classe de Sophie, « l’instit », était « saccagée ».
La table, l’ordinateur, une vitre étaient cassés et, dans ce drame, Sophie, avait aussi été agressée. La lèvre ouverte, des bleus sur son visage ainsi que d’autres plaies sur les mains (griffures,…) témoignaient encore de ce moment tragique. Apparemment, le traitement de Benoît n’aurait pas été donné (ou pas complètement) pendant les vacances. Mais sa violence venait-elle seulement de cela ? Je m’installe alors dans un fauteuil du « coin loisir ». En face de moi, Benoît n’a pas bougé. Sa tête danse toujours et ses yeux sont encore fermés au monde extérieur.
C’est alors que je tourne la tête et que je vois Thomas arriver. Comme à son habitude, il s’arrête au pas de la porte et inspecte d’un regard l’ensemble de la salle. Ensuite, d’un pas élancé et vif, une main dans ses cheveux blonds et l’autre à sa bouche, il vient s’asseoir, toujours sur la même chaise. Puis, il croise les jambes et attend, regardant tour à tour chacun de ses camarades. Mais d’un seul coup, Thomas part comme une fusée en courant et en criant jusque dans le couloir.
Thomas est un jeune autiste très angoissé. Dans le groupe, il semble avoir un contact plus particulier avec Benoît, mais il est difficile de définir leur relation. Thomas, 16 ans, est assez « costaud » et, même s’il est sûrement plus « fort » physiquement, il a très peur de Benoît. Il ne gère pas très bien ces situations de violence quotidienne, ce que nous pouvons comprendre.
Je me lève alors pour voir ce qui se passe. Thomas est dans l’infirmerie, assis sur le lit, le regard plongé par terre. L’infirmerie, est-ce une coïncidence ? Ce n’est pas la première fois que Thomas réagit ainsi et, à chaque fois, il lui est très difficile de revenir dans le groupe. J’entre dans l’infirmerie et tente de le rassurer. « Ça va aller ! Ne t’inquiète pas ! Allez viens, on retourne dans la salle.» Je lui tends la main mais Thomas ne veut plus bouger. Il me fait non de la tête de manière très brève et saccadée. Je me dis : « Il peut rester là un peu pour reprendre ses esprits ! ». Mais 10 minutes après, la même scène et le même refus. Comment faire ?
Ma collègue arrive soudain, assez énervée. « Mais laisse-le ! De toute façon, il viendra quand il voudra et puis j’ai besoin de toi. Je suis toute seule ! » Je réponds alors à la demande de ma collègue, mais la question me reste en tête. Comment le rassurer ? A cet instant, je me suis souvenu des propos de Donna Williams. Elle explique combien il est important pour elle que l’autre ne vienne pas directement, n’attende rien d’elle. C’est à partir de là qu’elle peut commencer la rencontre à l’autre sans danger. « La meilleure façon de m’offrir quelque chose consistait à le placer près de moi sans attendre ni remerciement ni réaction d’aucune sorte. […] le contact indirect est toujours souhaitable,…[34] ». Il est vrai que nous venions trop souvent vers ces jeunes avec une demande précise, ou même un ordre. Quel choix leur laissions-nous ? Quelle liberté est-ce que je donne à Thomas dans ma question, « Tu viens ? » Quel respect pour sa peur ?
Je suis alors reparti. Dix minutes après, je retourne à l’infirmerie pour voir Thomas rien ne me semblant périlleux pour ma collègue dans le groupe. Son appel à l’aide me semblait un peu « disproportionné ». Il s’agissait de ma « référente » dans ce stage. Cela semblait l’autoriser à me donner parfois quelques ordres….
2)Venir indirectement à l’autre
Thomas est toujours assis dans l’infirmerie. Il n’a pas bougé et baisse encore la tête en regardant le sol. Je rentre mais cette fois-là, je ne dis rien. Je m’assois juste près de lui et baisse, moi aussi, la tête vers le sol. Je reste là sans le regarder. Deux bonnes minutes passent et, tout à coup, je sens que Thomas se tourne vers moi. Je me retourne. Il me regarde de son air triste. Je me mets alors à faire de même. Par mes yeux abattus, le teint affligé, je souhaite à cet instant « être le miroir de ce qu’il me présente ». Je joue finalement mes sentiments. « L’accordage affectif est l’exécution de comportements qui expriment la propriété émotionnelle d’un état affectif partagé [35] » Le regard de Thomas faisait « un peu surjoué », mais je crois qu’il tentait là de m’expliquer sa peur, à sa façon. Je lui dis alors : « Je sais que tu as peur et que ce n’est pas facile. Tu sais moi aussi, j’aime pas ça, quand Benoît n’est pas bien. Je suis pas bien. » Puis, plus rien. Je lui tends alors la main et Thomas me tend la sienne.
3) Jouer le contact
Mais d’un seul coup, je retire ma main furtivement et doucement tape la sienne. Je lui présente alors la mienne comme un appel de jeu. Il sourit et, à son tour, tape la mienne. « Pour percevoir le contact physique comme un plaisir, il fallait toujours que ce contact se fasse à mon initiative et à tout le moins, qu’on me donne le choix de le refuser ou de l’accepter[36]. » Par l’acceptation du jeu, Thomas venait adhérer à la rencontre. « Enfants en jeu, Adultes en jeu, Un dialogue au-delà des mots.[37] »
Je laisse un peu de temps et demande à nouveau à Thomas s’il voulait revenir. Mais pas de réponse. Je me lève alors en pensant « Il viendra un peu plus tard… » mais, d’un seul coup, Thomas se lève à son tour et, contrairement à d’autres fois, il rentre sans difficulté sur le groupe. Il n’y avait plus de problème. Nous étions devenus partenaires dans le jeu et Thomas était sorti de son enfermement et avait accepté que je vienne le chercher. Thomas n’est plus jamais parti en courant dans l’infirmerie.
La démarche de ma collègue, son raisonnement, me posèrent, aussi vraiment question. Quelle place et quelle importance avait-elle laissé à l’expression de Thomas ? Elle disait « le jeune doit venir car cela est dans l’intérêt du groupe. Le groupe doit fonctionner ! Si chaque jeune fait ce qu’il veut cela ne marche pas ! ». Au quotidien, nous étions très rigides, très fermes. L’éducateur sait-il déjà ce qui va être « bénéfique » pour le jeune, au point qu’il puisse décider à la place de l’autre, définir lui-même les axes de son travail, ou bien est-ce le jeune qui nous aiguille dans l’établissement du projet ? Toutes ces « découvertes » m’ont donc amené à réfléchir à notre démarche éducative.
F) Une approche « comportementaliste », mais pour quelles raisons ?
Comment travaillions-nous dans l’IME ? On cherchait en quelque sorte à agir sur les « comportements inadaptés » de l’individu, à les corriger afin que la personne puisse être au mieux au sein de la société. Comme je l’ai dit précédemment, je me retrouvais très bien au départ dans cette « façon de faire ». Cela me rassurait beaucoup et je pensais « savoir où j’allais ». Mais lorsque j’ai découvert autre chose, que notre action pouvait se baser sur des instants de jeux, de partage, non « quantifiables », il m’a fallu réfléchir, comparer ces pratiques.
1) Une demande implicite
Ces comportements bizarres dans la rue, cette personne qui crie… L’autisme dérange. Il fait peur… Et tout ceci a de grandes conséquences. La demande implicite de la société est que nous puissions en tant qu’éducateur « faire en sorte que l’autre, celui que nous accompagnons, puisse se comporter normalement ». Cette question de la « norme » est très présente et elle conditionne souvent notre façon de travailler au sein des institutions. « [38]La compréhension construite à partir de l’observation des comportements des populations (enfants, jeunes et adultes en difficulté) rencontrées par les éducateurs spécialisés, dans le champ de leur pratique professionnelle, découle implicitement de la comparaison avec les comportements habituels, considérés comme normaux. Cette approche conduit les institutions éducatives à mettre en place des dispositifs de changement pour que les personnes accompagnées s’approchent le plus possible d’une normalité » « Cette démarche comparative participe à un renforcement des répétitions alors que la visée des dispositifs éducatifs est d’en permettre la sortie. 14 »
Cette demande implicite de la société tend à agir comme une « référence » suprême dans nos actions et il est tentant pour l’éducateur de s’y loger : Il répond à ce vers quoi « on l’appelle ». J’entends encore cette éducatrice qui clamait haut et fort comment elle avait appris à un jeune de son groupe à bien « se tenir », notamment lors des réunions. Les parents étaient très fiers. En effet, cet enfant ne disait, ni ne faisait plus rien. Il pouvait maintenant rester des heures sans bouger, sans « broncher ». J’ajouterais même sans « déranger » personne.
2) La volonté de maîtrise
Devant les situations difficiles, comme celle de Benoît l’éducateur ne sait souvent pas comment réagir. Ces situations « impossibles » mettent en exergue notre incapacité « à faire face ». C’est une des raisons de l’avènement de cette approche « comportementaliste » car elle rassure, semble donner des réponses, des « façons de faire ». Il existe ainsi une impression de « réussir ». L’aspect visible et rapide des répercussions de cette pratique apaise l’éducateur dans sa pratique.
D’une certaine manière, cette approche induit que l’éducateur « sait » déjà ce qu’il faut pour la personne accompagnée. Il existe ainsi tout un programme prédéfini, ponctué par des étapes « nécessaires », classifié dans des tableaux, mesuré… Le sujet doit alors suivre son programme et « est conduit dans son évolution ». Le chemin est déjà tracé. « si l’éducateur « sait » ce qu’il faut pour autrui et propose une solution que la personne en difficulté ne peut refuser, cette proposition se transforme en imposition. Cela induit chez autrui une place de dominé, d’assisté, ou une attitude de refus mis en acte qui conduit à la rupture. Si, à l’inverse, renonçant à l’illusion d’un pouvoir de changer autrui, l’éducateur interroge les possibilités et les ressources de la personne, celle-ci, à partir de la reconnaissance de ses points d’appui et de sécurité, peut alors dévoiler ses points de fragilité, se projeter dans l’avenir et organiser ses actes. [39]»
Nos jugements de valeurs, notre anticipation sur le désir d’autrui, nos envies d’avoir une place privilégiée envers l’autre… Tout ceci peut parfois nous emmener très loin. Mais laisse-t-on vraiment la place au désir de l’autre ? Il est souvent difficile de ne pas capturer l’autre dans nos propres désirs.
3) La peur de ne pas savoir
Mais cette façon de maîtriser la rencontre avec l’autre, ne serait-ce pas une façon de contrer la peur de ne pas savoir ? La personne autiste met un mur entre elle et le monde et cela est vraiment déroutant ! J’ai souvent entendu des éducateurs dire d’une personne autiste qu’« elle nous échappe ». L’approche « comportementaliste » permet de se retrouver, de donner des repères à l’éducateur. Mais cette approche « rassurante » participe-t-elle réellement au changement de ce qui fait blocage à l’évolution de la personne autiste ? « L’insécurité de l’éducateur face au risque de démaîtrise des situations peut le conduire à renforcer ses attentes de changement chez autrui, et ainsi à participer à la reproduction des processus de blocages relationnels dans lesquels se crispent les partenaires de la relation.[40] »
Cette volonté de maîtrise, cette peur de ne pas savoir, cette demande implicite de la société, sentiments par où je suis passé, participent ainsi à l’avènement de ce que j’appellerais « une pédagogie parfois dominatrice ».
4) Une pédagogie « dominatrice » ?
« Comme pour prouver qu’elle avait raison, elle m’amena à une première leçon de musique. Le professeur, très sûre d’elle me demanda d’oublier tout ce que je « croyais » savoir de la musique. Sa fonction semblait-il, consistait à me défaire de toutes mes habitudes passées afin de m’inculquer la discipline voulue pour jouer correctement. Comme on pouvait s’y attendre, je me gardais de suivre ses conseils et ne me montrais pas très coopérante. […] Cinq ans plus tard,
j’ achetai mon propre piano et commençai à composer.[41] » Donna Williams nous montre ainsi à sa façon combien si on la « forçait », nos actions « ne réussissaient pas ». Cette « façon de faire » enferme finalement le sujet dans « ce que l’on veut pour lui » et non dans ce qu’il désire réellement.
Si nous imposons à l’autre, la personne va peut-être nous donner ce que nous attendons, mais quelle sera réellement son implication ? « La pression sociale de normalisation confirme la personne aidée dans une relation à autrui basée sur un rapport dominant/dominé. Cette confirmation conduit l’individu, soit à l’organisation d’escalades symétriques conflictuelles dans ses rapports à autrui, soit à un effet d’inhibition ou à un rapport de soumission par l’organisation d’un faux self lui interdisant la construction d’une identité distincte des attentes d’autrui.[42] »
Toutes ses rencontres avec Benoît, Thomas ne se sont passées que dans des moments informels. Bien que la démarche de l’éducateur ait des conséquences dans l’accompagnement du sujet, ne serait-ce pas le « cadre » de nos actions qui permet l’ouverture vers les autres ?
III – Construire notre cadre de rencontre …
L’éducateur, au quotidien, agit au centre d’une « institution ». La situation de Benoît nous a bien montré comment ce « cadre de travail » peut parfois « enfermer » la personne, par son propre fonctionnement. Il me semble alors intéressant de réfléchir aux modalités de notre accompagnement et aux conséquences de celles-ci.
Comme le souligne J. Marpeau, ce cadre participe aux « ouvertures » ou aux « captations » pour le sujet. Je pus réellement en prendre conscience lors de la construction de mon projet au sein de l’IME, l’atelier « Corps accord ».
- Atelier « Corps accord »
Benoît semblait aller mieux en cette fin d’année. Durant le mois d’avril, personne n’avait été agressé. Benoît participait maintenant aux activités et son visage retrouvait quelquefois le sourire. Les moments de jeux, de plaisir semblaient petit à petit « payer ». Pourtant, nous restions vigilants. Les « souvenirs des temps passés » avaient laissé en nous beaucoup de traces.
Cet après-midi là, comme chaque semaine, le groupe participait à l’atelier « Corps accord ». Cet atelier était le projet que j’avais mis en place lors de ce stage. Nous nous servions ici du sport et de la psychomotricité comme support d’un travail éducatif personnalisé. C’était quelque chose avec quoi je me sentais « à l’aise ». (En effet, à côté de ma formation, je travaillais déjà avec un adulte autiste autour du trampoline.) La salle, que nous utilisions, regorgeait de matériels divers. Des ballons multicolores, un fil, un trampoline, un miroir, de grandes tentures, toutes sortes de cubes de mousse nous permettaient ainsi de construire, de jouer et d’échanger. La séance était implicitement découpée en cinq temps : l’échauffement, le parcours de psychomotricité, le jeu avec le ballon, le temps libre puis la relaxation. Cet atelier était « basé » sur la « mise en jeu de son corps » au sein d’une activité. Connaître son corps, ses « limites », se dépenser mais aussi apprendre à se détendre, à se poser un peu sont des axes essentiels dans le travail auprès de jeunes autistes. Mais, la richesse de cet atelier se trouvait aussi dans sa « forme ».
Même si certaines situations étaient construites dans l’optique du projet individuel du jeune, il s’agissait avant tout d’un espace de liberté. Chacun avait sa place et pouvait créer, imaginer, prendre des initiatives. Je voulais que ces jeunes puissent amener quelque chose de personnel. L’objectif était de partir d’eux et de leurs envies : à tout moment, le cadre pouvait changer ; ils pouvaient modifier l’action proposée, s’arrêter, trouver une autre idée,…. Par exemple, si quelqu’un prenait le ballon, nous tentions de « construire un jeu » ensemble et de nous amuser. Nous essayions d’accompagner le jeune dans sa démarche. Tout était disponible et chacun pouvait faire ce qu’il voulait. C’était une façon de respecter les souhaits, les choix de ces jeunes qui n’ont pas « les mots pour le dire ». Il s’agissait de créer un cadre structuré mais offrant des possibilités, un cadre « ouvert ».
Il régnait, dans ce groupe, une ambiance particulière. Il y avait moins de tension, moins de règles préétablies, pas d’exigences, d’apprentissages et surtout plus de plaisir. Les éclats de rire devenaient « contagieux ». Nous, les adultes, nous venions nous-mêmes avec l’idée que nous allions passer « un bon moment ». Je revois encore Florian, s’allongeant sur un énorme ballon. Un peu par surprise, mon collègue lui prit les deux jambes, et moi, ses deux bras. « Waou ! Waou ! », nous faisions « rouler » son corps d’avant en arrière, ce qui déclenchait son rire malicieux. Florian ne voulait plus arrêter. Il nous prenait de lui-même les mains pour que l’on continue, alors que d’habitude, il était difficile d’être en contact avec lui. Il repoussait souvent les personnes avec ses bras dès que l’on s’approchait trop près. Mais, là, il fallait recommencer, encore et encore… Petit à petit, chaque jeune, à sa manière, put se saisir de ce moment.
J’avais aussi souhaité qu’ils participent à la construction de cette séance. Ceux qui le voulaient m’aidaient par exemple à monter le trampoline, à mettre en place le fil ou à construire le parcours. Benoît m’aidait souvent à la construction de cette activité. Il portait les gros cubes de mousse et les apportait à l’autre éducateur. Nous construisions ainsi ensemble cet instant. Nous étions tous responsables de ce qui se passait.
Ce jour-là, nous étions donc avec nos cinq jeunes au sein de cet atelier. Benoît semblait bien. J’étais content pour lui. Il m’avait aidé à échafauder l’ensemble d’un parcours. Il était « présent », écoutait ce que je disais et semblait avoir envie de faire…
D’habitude, à chaque début de séance, je montrais moi-même ce que je proposais de faire dans le parcours et, par la suite, j’accompagnais les jeunes qui le désiraient un par un. Mais à cet instant, Benoît se leva précipitamment avant même que je ne propose quoi que ce soit. Assez surpris, je le laissai continuer en le félicitant de son initiative. Il fit alors le parcours d’un seul trait, sans aucune difficulté. A la fin, je l’applaudis devant les autres. Tout le monde regardait attentivement. Mais il ne semblait pas vouloir finir là-dessus. Il me tira le bras et me poussa gentiment sous le dôme qui symbolisait l’entrée du parcours. Je compris qu’il voulait que je fasse moi-même ce qu’il venait de faire. Benoît avait inversé nos rôles et ça le faisait beaucoup rire. Malgré sa souffrance, il nous montrait sa propre capacité à jouer de la situation. Appliqué, il me regardait faire le parcours, suivait chacun de mes gestes et restait à côté de moi comme je pouvais le faire moi-même dans les séances précédentes. Benoît devenait le professeur et j’étais son élève.
J’arrivais alors au fil. Benoît avait l’habitude d’en faire depuis plusieurs années. Il prenait deux bambous comme des cannes pour avancer. Mais, ce jour-là, Benoît ne me donna pas les bambous. Il me proposa sa main. Cette main, je la lui avais offerte un jour où il n’était pas bien lors d’une ballade. Il l’avait prise, la serrait fortement et s’en était ainsi servi pour contenir sa colère. Ce jour-là, c’est lui qui me donnait la sienne pour que je puisse avancer sur le fil. Il faisait cette démarche de lui-même et me servait d’appui.
Ce moment fut pour moi l’aboutissement d’un travail que nous avions fait au jour le jour avec Benoît au travers de beaucoup de « petites choses », de rencontres parfois anodines, autour des chansons ou de la trottinette. Ce n’étaient donc pas des petits moments pour rien. Tous ces jeux, toutes ces rencontres, prenaient ici toute leur importance. Je compris alors combien ils pouvaient être fondamentaux dans notre travail au quotidien.
Je crois que la souplesse de cet atelier permit cette rencontre. Si nous avions imposé notre propre manière de faire au travers d’une relation, quelle chance aurions-nous laissé à sa personne, à ses souhaits, ses envies ? Cette
main offerte m’encouragea à approfondir ma réflexion. « Il ne faut pas préconcevoir des activités figées, parce qu’à ce moment-là, c’est notre désir à nous. Cela n’a rien à voir avec le désir de l’enfant. Il faut tenir compte évidemment et susciter la parole, les suggestions de l’enfant. Autrement dit, il ne faut jamais diriger, ne jamais réduire un projet d’activité, sans qu’on ait au moins, à un moment donné, réfléchi aux besoins des groupes d’enfants et de chaque enfant lui-même. [43]»
H) Réflexions autour du « cadre de travail »
1) Le cadre conditionne la démarche de l’éducateur
Ce cadre de l’institution influence notre propre manière d’appréhender l’accompagnement éducatif. Il véhicule des « messages » et il est parfois difficile parfois de « prendre de la distance ». Notre rapport à la famille de Benoît put nous montrer ce « phénomène ». « Ainsi, telle institution […] restreint les espaces de liberté des jeunes et crée un rapport de places assignées. Une telle assignation induit des comportements de soumission ou des violences réactionnelles, dans lesquels l’éducateur se trouve enfermé. Lui-même, alors insécurisé, veut contenir les réactions des jeunes par la contrainte et alimente ainsi le processus de répétition des rapports de violence.[44] »
Pourtant, Jacques Marpeau insiste sur le fait que ce cadre peut « ouvrir des possibilités » « En ouvrant aux désirs du jeune des espaces d’investissement possibles par la créativité, l’institution peut permettre la sortie du face-à-face des positionnements enfant-éducateur, la prise en compte de la réalité et l’instauration de la loi dans les rapports interpersonnels. » Le cadre peut donc, à la fois, « enfermer » la personne et le professionnel dans ce qu’il appelle les « captations », mais aussi créer des « ouvertures ».
2) Un cadre pour créer des occasions
Laisser la possibilité à la personne accompagnée est un gage de qualité de notre travail. J’irais même jusqu’à dire que la « non-directivité » est le « moteur » de nos actions. « Une conception de l’acte éducatif reposant sur une démarche d’autorisation est radicalement différente. Elle consiste à permettre au sujet le passage du possible unique qui s’impose à lui aux multiples possibles l’amenant au choix.[45] » Ne serait-ce pas là notre place d’éducateur ? De pouvoir permettre à l’autre de faire un choix, de se positionner et ainsi d’exister en tant que « sujet »? « c’est à partir de l’analyse des situations de crise et d’enfermement dans les répétitions que s’impose la notion de « possibles multiples » ouvrant, pour un sujet, à la nécessité, mais aussi à la difficulté de choisir, afin d’accéder à une posture d’auteur lui permettant de se vivre comme étant à l’origine de ses actes. [46]»
J. Marpeau insiste sur le fait que nos actions et notre cadre peuvent être mouvants, souples. C’est en les adaptant que nous pourrons répondre et construire au plus près de la personne accompagnée. C’est ce qui a pu se passer avec Benoît. Au départ, il n’y avait pas de place pour sa propre personne, pour ses désirs, pour ce qu’il était. « Les phénomènes de captation fonctionnent par l’imposition d’un cadre vécu comme prioritaire et interdisant la mobilité vers d’autres cadres. C’est ce que l’on constate dans une attente de socialisation qui, implicitement, tente d’imposer la primauté du cadre collectif institué au mode d’existence de chaque individu. » Petit à petit, il m’avait fait passer de « metteur en scène » à participant, « acteur » de la situation. Nous pouvions ainsi tous les deux nous impliquer dans cet atelier, y mettre de nous-mêmes. « Il n’y a changement que si l’éducateur introduit de la mobilité dans les jeux d’assignation de places dont lui-même est objet et dont, en réponse, il rend l’autre objet. »
3) Le cadre est nécessaire
Le terme de « cadre » implique souvent dans le langage courant l’idée de « carcan ». Mais, nous avons vu comment dans cet atelier, il permit finalement d’ouvrir des possibilités de rencontre, de jeu. Pourtant, le cadre implique un fonctionnement, des règles qui « borneront » automatiquement nos actions. Mais ces règles sont-elles contradictoires à cette notion de « non-directivité » ? Les règles sont des repères essentiels pour chacun des protagonistes. Par exemple, dans l’atelier Corps accord, la violence n’était pas permise. Nous avions posé ces règles fondamentales de respect d’autrui. « La liberté de l’un s’arrête là où celle de l’autre commence ». Nous veillions que chacun puisse avoir son propre espace.
Poser un cadre souple, offrant des possibilités, ce n’était pas tout accepter. Justement, le cadre ce n’est pas le néant. Nous étions présents pour jouer. C’était là déjà un grand objectif avec ce public. Nous avons besoin du cadre pour vivre ensemble et c’est celui-ci qui induira la possibilité de se rencontrer. Il ouvre le « champ des possibles ». La « non-directivité n’est pas synonyme de laisser [mais plutôt d’un] refus d’influencer[47] ». Elle permet de laisser une place au désir de l’autre.
4) La personne autiste peut-elle adhérer au projet ?
Cette notion de « place pour la personne » induit aussi le principe d’adhésion du sujet dans l’action menée. Celle-ci est d’ailleurs inscrite dans les textes fondamentaux régissant nos actions. Ainsi, la Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 [48] rénovant l’action sociale et médico-sociale l’évoque clairement comme un principe fondamental de nos actions. «L’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé : 3) Une prise en charge et un accompagnement individualisé de qualité favorisant son développement, son autonomie et son insertion, adaptés à son âge et à ses besoins, respectant son consentement éclairé qui doit systématiquement être recherché lorsque la personne est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. A défaut, le consentement de son représentant légal doit être recherché […] 7) La participation directe ou avec l’aide de son représentant légal à la conception et à la mise en oeuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui la concerne »
La loi n° 2005-102 du 11 février 2005[49] pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées revient aussi sur ce principe d’adhésion. « Les besoins de compensation sont inscrits dans un plan élaboré en considération des besoins et des aspirations de la personne handicapée tels qu’ils sont exprimés dans son projet de vie, formulé par la personne elle-même ou, à défaut, avec ou pour elle par son représentant légal lorsqu’elle ne peut exprimer son avis.»
Comme le soulignent les textes, il est essentiel que la personne accompagnée soit partie prenante du projet dans lequel elle est inscrite. Pourtant, quand on a affaire à un enfant autiste, on peut se demander légitimement ce qu’il comprend de nous et donc de son projet. Mais, cette adhésion ne peut-elle pas implicitement résider dans le mode de rencontre avec l’autre ? N’oublions pas l’essentiel. La notion de plaisir ne peut-elle pas être ce baromètre de l’adhésion, si souvent difficile à capter dans ce monde de l’autisme ?
IV – Travailler avec les parents, une nouvelle perspective
D’autres moments particuliers me permirent de mieux comprendre combien notre lien avec la famille peut être moteur dans l’évolution de l’enfant.
- Les parents d’enfants autistes
Dans quelles difficultés peuvent se trouver des parents ayant un enfant autiste ? La situation de Benoît nous montre bien comment ils peuvent se sentir démunis parfois devant leur enfant si « étrange ». « [50]Ses réactions […] sont exagérées disproportionnées. Il ne se situe jamais dans le contexte » « Il est toujours seul, il ne s’intéresse à personne » « ses gestes sont comme mécaniques » Quand on l’appelle, « il ne se retourne pas ». Il « reste impassible » « Il n’y a personne »
Judy Barron[51] nous montre comment, petit à petit, émerge « le doute d’être une bonne mère », comment sa capacité à être avec l’enfant est constamment remise en question. « J’étais déconcertée par la réaction de Sean, quand je le prenais dans les bras ; il se tortillait dans tous les sens et s’arcboutait comme s’il était pris au piège. Jamais il ne se blottissait contre moi, ainsi que le font généralement les bébés. » « C’est toi, dit soudain une voix en moi. Tu ne sais pas t’y prendre.» « c’est à peine s’il me voyait. Il préférait fixer bêtement des jouets qui tournoyaient, des ombres mouvantes, des rideaux soulevés par un courant d’air. Il ne me regardait presque jamais. » « Une idée commença à germer en moi pour devenir finalement une certitude : il ne m’aimait pas. Avec la terrible perspicacité des petits enfants, il sentait que je n’étais pas une bonne mère, que je faisais n’importe quoi, que j’avais complètement échoué. »
Pour Maud Mannoni[52], le « refus de l’autre va marquer cruellement la mère de l’enfant autiste. Elle se sent démunie face à ce nourrisson (et plus tard à cet enfant) qui refuse tout jeu, et le plaisir de l’interaction mutuelle. L’enfant en vient à modeler une « mère d’enfant anormal ». Sa conduite d’autodestruction, ses paniques induisent chez l’adulte angoissé des réponses inadéquates ».
Cette image de « la mauvaise mère » est d’autant plus mise en avant au quotidien que la personne autiste ne passe pas inaperçue. Pour les parents, le regard d’autrui est souvent difficile à supporter. Judy Barron[53] en témoigne : « Les grands repas de famille, avec tantes, oncles et cousins, étaient un supplice. Sean se mettait à hurler dès l’arrivée ; rien ne pouvait le calmer. Nous prétextions qu’il était difficile, fatigué, qu’il avait peur en voyant tant de gens à la fois. Ils étaient tous compréhensifs, parlaient doucement pour ne pas l’effrayer, souriaient, essayaient d’être utiles. Voyant que ça ne servait à rien, ils faisaient semblant de trouver normal de dîner en compagnie d’un bébé qui hurlait et de ses parents au visage moite de sueur. Tout le monde était gêné, nous à cause du comportement de Sean, de notre impuissance à deviner ce qu’il voulait, et eux, pensions-nous, parce que nous n’avions aucune autorité sur notre enfant. »
De plus, l’autisme a longtemps été relié à une « défaillance parentale ». « un autre fait ressort de façon très marquée. Dans tout le groupe (d’enfants observés par Kanner), très rares sont les pères et les mères réellement chaleureux (cette remarque annonce d’autres travaux écrits ultérieurement par Kanner où il dénonce les traits pathologiques des parents d’enfants autistes) […] La question se pose de savoir si, ou jusqu’à quel point, ce fait a contribué à l’état de l’enfant [54]». Simone Sausse[55] évoque le sentiment de culpabilité difficilement vécu pour les parents. « Quelle est la cause de cette anomalie ? » Comment « concevoir qu’un phénomène entraînant de si lourdes conséquences atteigne ma famille par un effet de pur hasard ? » Cette pensée est insupportable et laisse place à de nombreux fantasmes.
La place des parents d’enfants autistes n’est donc pas très « confortable ». Ils ont souvent besoin d’être soutenus. Cependant, dans l’IME où je travaillais, il était difficile de les rencontrer, de leur parler, sauf parfois quelques minutes sur le pas de la porte, quand ils amenaient leur enfant. Cela n’était pas suffisant.
Mais il est arrivé que l’on puisse passer quelques moments particuliers avec certains parents….
J) Les premiers liens parents-professionnels autour d’une photo (Il est beau mon fils !)
Au fur et à mesure de l’année, Benoît semblait aller un peu mieux. Pourtant, les crises de violence étaient réapparues un après-midi du mois de mai sans que l’on sache vraiment pourquoi.
Entre temps, l’ensemble du groupe avait visité un établissement pour adultes autistes en Belgique. Le cadre de l’institution était magnifique. Il y avait de grands espaces, une petite ferme avec des cochons, des chevaux, une basse-cour. Les adultes du centre s’occupaient des animaux. Chacun allait où il voulait, ce qui laissait l’impression d’une grande liberté. Durant la journée, nous avions même participé aux activités avec les « résidents ». Benoît avait été très attentif et il faisait tout ce qui était proposé. Il était réellement présent et semblait beaucoup apprécier ce lieu. Quand nous sommes repartis, il nous fit comprendre qu’il aurait aimé rester, car, une fois rentré dans la voiture, la violence reprit.
A l’IME, j’aimais prendre des photos des jeunes dans les activités, dans la cour,…. Un de mes projets était de faire un « album » pour que chaque famille puisse garder une « trace » du parcours de l’enfant. Cela devait être la surprise en « fin d’année ». La photo est un « support d’émotion et de remémoration [56]». Je n’avais pas oublié l’appareil photo ce jour-là en Belgique. Je prenais les visages, les sourires de Florian lors du repas, des moments partagés quand nous courions
autour du stade… J’avais essayé de capter le plaisir d’être ensemble qui semblait émerger dans ce lieu. Tout ce que nous avions fait ce jour là était ainsi « enregistré » dans notre ordinateur, à l’IME.
Un jour que nous étions tranquillement en train de prendre le goûter, la mère de Benoît arriva à l’IME. Elle venait pour la visite médicale annuelle de son fils. Le docteur n’était pas encore présent et il fallait attendre un peu. Le goûter terminé, ma collègue proposa aux jeunes de descendre dans la cour. Madame G, quant à elle, s’était précieusement installée. Elle regardait à droite, à gauche, et paraissait s’ennuyer. On lui demanda alors si elle voulait voir les photos que nous avions prises de son fils. Elle acquiesça et vint me rejoindre devant l’ordinateur allumé…
Elle regardait l’album de Benoît avec une très grande attention. Elle posait des questions et semblait « étonnée ». Elle me confia qu’il lui était très « difficile d’avoir des photos de Benoît, notamment des gros plans ». Leurs rapports compliqués ne devaient pas le permettre. Je revois encore le matin où Benoît montait les escaliers, la main agrippant les cheveux de sa mère qui suivait la tête baissée. J’entends encore les mots remplis de tristesse de cette maman quand enfin nous avons pu la décrocher : « Ce n’est plus possible ! »
Je passais une par une les photos, quand, d’un seul coup, de sa petite main, elle pointa l’écran. Benoît était debout à côté d’un poulailler. Il regardait l’objectif et avait un grand sourire. Madame G. dit alors : « Oh, il est très bien ici ! ». (« Nos critères de qualité d’une photographie sont en fait très marqués par notre appréhension subjective [57]») Cette phrase me surprit énormément. Elle me parlait pour la première fois de son fils, alors que lors de nos rencontres, c’était impossible : elle évitait le sujet, évoquant les difficultés à son travail, ce qu’elle allait faire à manger le soir,…. (« l’important est que cette image nous intrigue souvent plus que d’autres et nous amène à parler de ce qu’on voit et de nous-mêmes [58] ») Sur cette photo, on voyait Benoît dans l’établissement pour adultes en Belgique. Je profitai alors de cette occasion pour lui parler un peu de cette
institution et lui montrai dans quel cadre ces adultes vivaient. Quand elle vit l’espace, la ferme, elle fut très surprise. « Cet endroit a l’air très bien ! » La mère de Benoît me remercia de lui avoir montré ces photos puis partit rapidement à la visite médicale car le médecin était arrivé.
Je crois que ce fut le départ d’une réelle réflexion pour Madame G. Elle avait vu ce que vivait son fils au quotidien, à l’IME ou ailleurs. Lorsqu’elle m’a dit qu’il était « bien » sur cette photo, ses mots dégageaient une certaine fierté. Elle me disait en fait « Regardez, c’est mon fils ! » Cette phrase était venue d’elle. (« Il vaut mieux respecter le silence de la photographie et “écouter le regard” [59]»). Elle me prenait à témoin que son fils pouvait être heureux, qu’elle n’avait pas tout raté. Ainsi, il était important de reconnaître ce lien affectif mère/enfant. C’était aussi la première fois que je l’entendais dire « merci ». Ces photos étaient pour elles. Nous lui faisions un « cadeau ». Le conflit avec l’institution n’avait pas permis auparavant de se rencontrer sur un terrain d’entente. Mais, par ces photos, s’initiaient les premières relations authentiques, « non défensives ». Nous nous accordions à cet instant sur une même façon de voir Benoît.
Finalement, peu de temps après, les parents firent les démarches pour visiter cet internat en Belgique. Ils remplirent même un dossier de préinscription. Pourtant, quand nous la recevions, la mère de Benoît refusait d’évoquer l’idée que son fils puisse un jour partir du domicile familial. Sans un cadre formel, ces photos nous permirent d’évoquer implicitement son avenir.
Un autre événement vint aussi débloquer la situation. Suite à sa visite en Belgique et à la démarche des parents, Benoît avait obtenu une place « potentielle » au sein de cette structure pour adultes. Il avait la possibilité d’y aller prochainement, après une période d’essai. Son enthousiasme et son bien-être lors de cette journée avait joué en sa faveur. Dans cette situation si difficile, la solution était finalement venue de lui.
Cette chance fit retomber la tension dans nos rapports avec Benoît et sa famille. A l’IME, Benoît était maintenant beaucoup mieux. Il n’était plus violent, il écoutait. Nous faisions plus de choses ensemble. Je le renvoie encore se mettre à la peinture en riant, ou se lever pour servir les autres lors d’un « apéro ». Benoît prenait même des initiatives. Cela n’aurait jamais été possible avant. Il n’était plus le même. Les échanges avec la famille étaient aussi différents. Il y avait beaucoup moins de méfiance entre nous. Cette dame venait maintenant aux entretiens. Elle était plus souriante, plus soignée. Elle semblait plus confiante en elle. Nous pouvions maintenant travailler ensemble, nous parler. Benoît n’était plus au milieu d’un conflit « destructeur » Il sentait que nous faisions alliance et cohérence derrière lui. « Le bonheur d’une personne peut lui devenir complètement insupportable s’il exclut des gens qui comptent pour elle. C’est ainsi que « son intérêt » pensé pour elle se renverse en paradoxe funeste. C’est ainsi qu’échouent un certain nombre de projets établis avec les usagers, d’où la nécessité d’inscrire tout projet dans l’environnement –et notamment familial- de l’enfant ou de l’adolescent [60]»
Tout n’était pas gagné pour autant. Benoît restait quand même souvent « dans sa bulle ». Il écoutait toujours sa musique pendant de longs moments. Il restait parfois figé, sans intérêt pour le monde extérieur. Mais il semblait heureux, et c’était là tout ce que l’on pouvait espérer. Il y avait autour de nous du positif et nous pouvions maintenant construire, aller de l’avant. Cette photo permit aux parents de se projeter vers un ailleurs pour leur enfant. La photo « semble s’inscrire dans un temps pluridimensionnel, celui qui inclut dans le passé […], celui qui inclut le présent de la vision de l’image et celui, par réaction, qui induit une projection dans l’avenir. [61]»
Le mieux être de Benoît et de cette maman étaient liés. C’est dans le regard de ses parents que Benoît pouvait maintenant s’autoriser à avancer de lui-
même. M.C. Jeanjean évoque ce lien dans son analyse sur les rapports entre la famille, l’enfant et l’école. « Il faut des trésors de tact et d’intuition pour que dans
le groupe de référence de l’enfant, l’enseignant développe des contacts personnels avec un ou plusieurs de ses membres et leur propose indirectement, sans pression, sans contrainte, de participer à la vie de l’enfant, à l’école, par une visite ici ou là, par un petit temps de discussion, par de menus travaux pour l’école. De manière légère, l’enseignant associe ainsi la famille à l’école, permettant à l’enfant d’être rassuré sur l’autorisation implicite qu’il a à vivre et à grandir à l’école. […] Le premier pas étant ainsi réalisé, l’enfant est bien « accompagné » par sa famille et il a le droit symbolique de s’y développer en dehors d’elle.[62] »
Peu après, pour la fête des mères, madame G. reçut en cadeau cette photo qu’elle avait tant aimée et qui nous avait fait faire tant de chemin. « Les photos sont facilitatrices de la communication […] car elles nous sollicitent, nous parlent au-delà des mots […] lorsqu’une photo s’impose à nous, c’est que de son état de photo elle est devenue pour nous une image et qu’elle s’adresse à nous avec force, en référence avec nos images intérieures. Alors, si nous acceptons de nous laisser entraîner dans l’au-delà des mots, le langage des images peut permettre à chacun d’entre nous […] d’accéder à un espace de liaison, un lieu de mise en sens générateur de changement, de nouvelles représentations, voire même d’un véritable travail thérapeutique. [63]» Benoît reste encore à ce jour à l’IME et son départ pour l’internat se fera progressivement l’année prochaine.
Partager des moments de rencontre authentique avec les parents permet d’établir un lien indispensable pour le bien être de l’enfant. « Les relations avec les familles sont fréquemment vécues comme difficiles par les professionnels. Les enjeux et les logiques de ces partenaires sont nécessairement différents. Néanmoins, il est crucial de passer d’une position de rivalité à une position de
complémentarité : les uns comme les autres doivent se retrouver sur une préoccupation commune : l’intérêt et l’avenir de l’enfant. [64]» Dès le départ, nous
avons travaillé sur la distanciation de Benoît avec son entourage (séjour de rupture, transfert,…), mais nous avons bien vu qu’une « séparation forcée » ne marche pas. Ce n’est que par ce moment heureux que madame G pu, elle-même, autoriser Benoît à « partir ». « Il n’y a pas de séparation possible sans rencontre heureuse préalable [65]»
Mais cette rencontre avec les parents ne fut pas la seule dans ce stage. Une autre situation, celle de Maxime, vint me persuader de l’importance du travail de l’éducateur avec la famille et de ses conséquences dans l’accompagnement du jeune autiste.
K)La piscine : L’éducateur témoin de la rencontre mère/enfant
Maxime est un jeune autiste de notre groupe. Du haut de ses 18 ans, ce grand « gaillard » aux cheveux roux est un jeune qui « ne pose pas de problèmes ». En effet, Maxime n’a pas de troubles de comportement. Il est calme, semble serein. Et c’est bien là toute sa difficulté : Maxime ne fait rien ! Peut-être pourrions-nous l’expliquer par son importante myopie ? En effet, malgré des lunettes aux verres très épais, il ne semble pas voir ce qui est à quelques mètres de lui. Mais cela va plus loin ! Maxime est « dans son monde ». Il passe son temps la tête en l’air, donnant l’impression de ne pas savoir ce qu’il fait là. Il peut rester assis toute une journée et si on ne va pas le chercher, il ne vient pas vers vous, même s’il a faim ou envie d’aller aux toilettes. Le problème est qu’il peut très vite se faire oublier par rapport à d’autres jeunes. Il reste là dans son coin, sans un mot, indifférent à tout ce qui se passe.
Par son manque d’énergie, sa nonchalance, Maxime « décourage » totalement ses proches, et notamment ses parents. Quand nous les voyons le
matin, ils nous racontent combien ils sont épuisés de l’accompagner, le pousser, le solliciter à chaque instant. L’âge de Maxime n’est pas non plus anodin. 18 ans, c’est l’âge adulte et Maxime est encore « un gros bébé ». Ils disent aussi qu’ils n’arriveront plus à tirer leur enfant vers « le haut ». La preuve en est que dès le début de l’année, ils ont pratiquement refusé certaines prises en charge : « Ce n’est pas la peine que Maxime ait une institutrice. Ça ne servira à rien ! ».
Pourtant, Maxime est capable de faire beaucoup de choses. Il est fort et musclé. Mais il est vrai que, pour l’instant, il faut qu’il soit accompagné. Et c’est dans ce sens que nous avons tenté de parler aux parents de Maxime. Nous leur disions tout ce qu’il avait fait dans la journée. Nous essayions de mettre en évidence ses capacités, ses progrès, aussi infimes soient-ils. Mais la mère semblait extrêmement méfiante à nos propos. J’avais l’impression qu’elle ne nous croyait pas vraiment. Pourtant, nous « pesions » nos mots. Nous savions aussi que ce n’est pas facile d’entendre que certaines choses « marchent » parfois avec nous, alors qu’avec le parent ça ne fonctionne peut-être pas.
Un matin, comme tous les matins, madame J. amène son fils à l’IME. L’après-midi, nous allions à la piscine. Peut-être était-ce un signe mais le véhicule qui nous y amenait avait une place de libre. Ma collègue commence à discuter et d’un seul coup lui dit : « Et, si vous veniez avec nous cet après-midi ? » Nous lui avions souvent parlé combien Maxime était « étonnant » à la piscine. Il venait, depuis une semaine, d’apprendre à nager sur le dos et se débrouillait très bien. Comme elle ne travaillait pas, c’était l’occasion.
La maman accepta. En début d’après-midi, nous sommes donc partis à neuf à la piscine, les cinq jeunes dont Maxime, l’éducateur sportif, la maman de Maxime, ma collègue et moi-même. Pour tout dire, je ne me sentais pas vraiment à l’aise dans cette voiture. J’étais assis à côté de madame J et plus nous avancions, plus montait en moi une appréhension. Qu’allait-elle dire de ce que nous faisions ? Petit à petit, je m’apercevais combien il est délicat, « dangereux » peut-être pour nous même, d’inviter des parents au sein d’une activité. Nous avions plus l’habitude qu’ils restent en dehors de l’établissement. Pourtant, ce voyage avait déjà permis de mieux se connaître. Nous discutions de choses et d’autres. Il y avait là un autre cadre. Nous n’étions plus chacun d’un côté de la porte, comme tous les matins. Dans la voiture, nous pouvions enfin parler.
Fernand Deligny dit qu’il faut savoir créer « les circonstances[66] ». « Le principe de la Grande Cordée est simple : l’occasion fait le larron. Autrement dit : il suffit de mettre en place des circonstances favorables à certaines tendances ou aspirations pour qu’elles se développent. [67]»
Dès que nous sommes arrivés, les jeunes se mirent rapidement en maillot et « direction, la piscine !». Maxime a mis du temps à se changer. Il a des difficultés pour bouger. En effet, son corps est comme « recroquevillé sur lui-même » et ses bras souvent pliés, ses jambes raides semblent ne pas vouloir se détendre. Mais dans l’eau, Maxime est beaucoup plus à l’aise. Il « avale les longueurs » et son sourire montre à quel point il est heureux. Dans le bassin, chaque jeune est accompagné par des étudiants en « Licence sport adapté ». Maxime était donc entouré de « deux professeurs ». Sa mère ne le quittait pas des yeux. Madame J. observait le moindre geste de Maxime : la brasse, la nage sur le dos, mettre la tête sous l’eau, les jeux de ballon… Elle faisait même des « allers retours » sur le bord de la piscine pour le suivre. Avait-elle déjà vu Maxime ainsi ? En tout cas, ses yeux montraient combien elle était impressionnée. Je me rapproche petit à petit et lui demande ce qu’elle en pense. Elle me répond que « c’est très bien » et qu’elle est assez « étonnée ». Je lui propose de se baigner car elle était déjà en maillot de bain. « Vous savez, vous avez le droit d’y aller ! ». Elle me dit non car elle ne voulait pas interrompre le travail de Maxime. Je m’éloigne alors mais je trouvais pourtant important qu’elle puisse partager ce moment avec son fils. De loin, je lui faisais signe de la tête, en lui disant tout bas « Allez-y, vous pouvez ! ».
Et d’un coup, madame J. descend dans la piscine. Elle fait d’abord quelques brasses, restant à distance mais je la vois, petit à petit, se rapprocher de Maxime. Je crois qu’elle en avait très envie. Elle nageait maintenant près de lui et commençait timidement à lui parler. C’est alors qu’un petit jeu commença. Elle le suivait, passait d’un côté, puis ensuite de l’autre, un peu devant, puis ensuite plus derrière. Maxime la suivait du regard et avait l’air de beaucoup s’amuser. Il ne s’agissait plus seulement d’un temps de piscine dans une activité dans le cadre
de l’IME. C’était un moment de partage, de plaisir, de jeu entre la mère et son fils et c’était ça le plus important. « Quand vous jouez aux échecs avec votre enfant, quand vous vous promenez avec lui, quand vous l’emmenez acheter une glace, vous favorisez les rapports personnels, et vous consolidez du même coup les liens sentimentaux qui font de vous la personne aimée[68] ». Peut-être allait-elle envisager maintenant de faire des choses avec son enfant. La piscine par exemple. Pourquoi pas ? Et puis, l’eau a aussi un certain côté « maternel ». Elle enveloppe, détend, protège. Il y avait là un lieu d’échange « idéal ».
Petit à petit, les étudiants se sont intelligemment effacés et ont laissé la mère seule avec Maxime. Il lui était alors possible de retrouver toute sa place, cette place de maman : c’est elle qui devrait être là à lui apprendre à nager. La laisser seule avec son fils, c’était reconnaître pleinement le lien mère/enfant. Dans la piscine, Maxime réussissait avec elle. Ils vivaient ce moment ensemble et nous étions témoins de sa réussite. Cela ne dura que quelques instants car il était déjà l’heure de partir. Pourtant, cette rencontre fut essentielle dans la relation entre madame J et Maxime.
A partir de ce jour, cette maman fut complètement différente. Lorsque nous la voyions le matin, elle était souriante. Son discours avait changé. Elle parlait de son fils de manière plus positive. Ce n’était plus « Il s’est encore passé cela hier soir…. », « C’est un vrai bébé », « Il me désole » tout cela dit avec une expression de dépit, de désespoir. Elle nous demandait maintenant comment cela se passait à la piscine. Dans l’eau, elle s’était bien aperçu que des cinq jeunes du groupe, c’était Maxime qui nageait le plus vite. C’était quasiment « le meilleur ». Aurait-elle espéré un jour dire cela de son fils ? Maintenant, le matin, elle nous racontait ce que Maxime réussissait, ses « petites victoires » à elle. Elle nous faisait partager son quotidien. Madame J. nous ramena des photos et une cassette des vacances en famille. Elle proposait même des idées pour mettre en commun les pictogrammes qu’utilisait Maxime à la maison et à l’IME.
Elle semblait plus épanouie, s’intéressait à ce que nous faisions et, petit à petit, devenait partie prenante de la vie et du projet de Maxime[69]. Elle avait envie de voir son fils progresser. Elle était « métamorphosée ».
Les quelques mois suivants, Maxime fit aussi des progrès surprenants. Bien sûr, il n’était pas sorti de l’autisme, loin de là. Il était encore souvent sur sa chaise, l’air « béat ». Pourtant, au quotidien, il prenait beaucoup plus d’initiatives. « Ravi de voir que sa maman joue avec lui, parce qu’elle est heureuse d’être avec lui, et qu’elle désire qu’il rentre dans le jeu, il le fait. C’est ainsi que débute le processus de communication par lequel il [découvrait le lien aux autres] [70]». Il commençait à se lever seul, comme un jour lors de l’atelier Corps Accord. Et hop, Maxime se mit debout, alla s’asseoir sur une grosse boule. Il resta ensuite planté là, mais aurait-il même fait cette démarche auparavant ? Il était aussi plus expressif. On l’entendait parfois rigoler avec sa grosse voix rauque. Il devenait plus « taquin », tentait de nous « embêter ». Je le revois encore en train de taper la fenêtre pendant cinq minutes en me regardant avec un grand sourire. Oui, ça m’était bien destiné. Quelque chose s’était déclenché. Et je pense que le changement d’état d’esprit de sa mère ne fut pas pour rien dans sa réussite. « Les parents demeurent les parents, et en l’absence de toute implication de leur part, un projet éducatif ou thérapeutique a-t-il réellement des chances d’aboutir ? [71]»
Cette maman avait aussi vu que nous ne lui cachions rien. Sa méfiance s’était dissipée car elle avait enfin pu mettre une image sur ce que nous lui disions depuis le début de l’année. Nous lui avions donné cette place de mère et elle nous donnait maintenant sa confiance. Elle voulait avancer et se battre encore pour son fils. Elle s’impliquait à nos côtés.
Ainsi, quelques instants peuvent parfois complètement changer la situation. Il faut savoir tirer sur les fils, saisir les occasions qui se présentent à nous, mais aussi parfois prendre des risques. Ce n’était pas si facile d’amener cette mère avec nous. Cela aurait pu se passer tout autrement. Mais le pari fut gagné et je crois qu’il en valait vraiment le coup car ce lien parents/professionnels fut essentiel dans l’évolution de Maxime.
« Croire en son enfant, […] C’est créer une embellie et donner dimensions à ce qui n’aurait pu n’être qu’amenuisé, c’est permettre le déploiement de ce qui n’aurait pu être que comprimé, amoindri, amputé, c’est faire que cet enfant advienne par lui-même, devienne prophète pour lui-même et développe cette capacité d’interpeller l’autre pour éveiller en lui ce qu’il y a de meilleur [72]»
TROISIEME PARTIE :
A LA RECHERCHE D’UNE AUTRE APPROCHE
A la fin de mon stage en IME, mon regard sur la pratique et la place de l’éducateur avait changé. Il ne s’agissait moins de « maîtriser » la relation et d’apprendre à l’autre que de pouvoir l’accompagner à partir de médiations sur son propre terrain. « L’éducateur travaille avec l’énigme de l’autre et le « non savoir » qu’elle lui renvoie.[73] » Le jeu, les petites choses partagées dans des moments de plaisir peuvent être des portes d’entrée sur son monde et des chemins pour l’en sortir, ce qui suppose une implication de l’éducateur. « La compétence de l’éducateur spécialisé réside dans sa capacité à accepter, à assumer et à signifier la part de démaîtrise et d’insu que représente toute relation à autrui dans un jeu créatif d’interactions nouvelles, ouvrant sur un futur indéterminé » Le cadre de notre travail peut favoriser cette ouverture s’il laisse la possibilité de partir de la personne. Impliquer la famille dans nos actions « autorise » aussi l’enfant à aller de l’avant. Benoît, Maxime avaient pu avancer, grâce au travail commun des professionnels et de leurs parents. Cette rencontre avec ces jeunes autistes m’avait donc fait entrevoir, un autre travail, une autre place de l’éducateur que celle que j’imaginais avant…. Mais cela ne restait que des « découvertes » ponctuelles.
J’ai entamé un autre stage dans un Centre Médico Psychologique au sein d’un service de pédopsychiatrie. L’unité où je travaillais recevait des enfants de 0 à 4 ans pour des motifs extrêmement variés, « allant de simples variations de la normale à des troubles très graves ». Nous accueillions aussi des enfants avec leurs parents pour « lesquels des difficultés de relation pouvaient gravement entraver le développement de l’enfant », selon le psychiatre référent du service. Travailler autour de cette relation parent/enfant était aussi un choix de ma part. Ici d’ailleurs, la pratique de l’éducateur était principalement basée sur l’utilisation du jeu, des chansons…, afin d’étayer le lien à l’autre….
I – De la stéréotypie au jeu… (Ça tourne, ça tourne !)
Tous les jeudis matins, je participe au groupe « Eveil et jeu » du CMP. Avec trois éducatrices, nous y accompagnons des enfants ayant de grandes difficultés à « être avec les autres ». Certains sont autistes, psychotiques, d’autres simplement très timides, mais tous à leur manière semblent « fermés » sur eux-mêmes. Par l’intermédiaire de médiations, comme le jeu (voiture, quilles,…), la musique (instruments, tam-tam, cloches,…), nous essayons alors d’établir une réelle relation à l’autre…
Adrien, deux ans et demi, fait partie de ce groupe. Le médecin psychiatre l’y a orienté car il présente certains « traits autistiques ». En effet, Adrien reste constamment seul. Quand il vient au groupe, il regarde attentivement ce qui se passe autour de lui, mais il n’a pas vraiment de demande, ni de réelle intention vers l’autre. Il ne joue jamais avec les autres enfants. « Il ne va jamais avec les autres, ni vers les autres.[74] » Pourtant, ce « petit bonhomme » parle, mais il « jargonne » et les adultes ont beaucoup de mal à comprendre véritablement ce qu’il dit. On ne sait pas très bien s’il s’adresse à quelqu’un ou s’il se parle pour lui-même. Ses mots semblent délibérément apporter la confusion, sans que l’on sache vraiment pourquoi.…
La seule chose qui l’intéresse, ce sont les « objets qui tournent ». C’est d’ailleurs à propos de ses « comportements bizarres » et récurrents que la crèche avait contacté le CMP. Au quotidien, Adrien fait tourner n’importe quel objet sur lui-même, et reste fasciné, en disant « Ça tourne, ça tourne ! ». Et dans ces moments de « jubilation », rien d’extérieur (nos appels, la proposition d’autres jeux,…) ne semble pouvoir retenir son attention. Ce genre de stéréotypies est caractéristique des états autistiques. « Donald et Charles ont commencé au cours de leur deuxième année à exercer ce pouvoir (de toute puissance et de contrôle) en faisant tourner tout objet susceptible de le faire et il sautaient à pieds joints, en extase, en regardant les objets tourner tout autour. [75]»
De plus, la « recherche d’objets tournants » augmente dès que la situation devient trop compliquée (ou angoissante) pour Adrien (trop de monde, de bruit, ou une demande non comprise). Adrien se réfugie alors dans son « manège ». On voit là la portée défensive de la stéréotypie par rapport à l’angoisse et à la difficulté relationnelle. Cette « fixation » inquiète et décourage beaucoup ses parents ainsi que la crèche qui, ne sachant plus quoi faire, lui ont retiré les « objets tentateurs ».
Un jeudi matin, Adrien arriva au groupe accompagné d’une éducatrice. A peine entré dans la salle, il se « jeta » à corps perdu sur un instrument de notre fameuse « boîte à musique ». Il s’agissait d’un objet cylindrique transparent contenant des centaines petites billes de couleurs en plastique. Durant dix minutes, sans pouvoir faire autre chose, il regardait attentivement le parcours de chaque bille qu’il prenait soin de faire vivre par un mouvement d’ondulation appliqué. Mais soudain, peut-être un peu lassé par ce bruit monotone, Adrien partit explorer l’espace de la salle et laissa son jeu de côté.
Il se faufila derrière un banc, et en sortit avec un cerceau à la main. Bien sûr, Adrien commença à le faire tourner. A ce moment-là, je pris à mon tour un cerceau dans la « cachette mystérieuse ». Adrien tourna la tête. J’avais le même objet que lui entre les mains. En un instant, je lui lançai le cerceau… Lorsque j’étais enfant, le soir en attendant le retour à la maison, je lançais les cerceaux dans la cour de l’école. Avec ma main, je donnais un mouvement arrière au cerceau, si bien qu’il revenait vers moi. Cela m’amusait beaucoup. « Le premier instrument d’action dont dispose l’éducateur est sa propre personnalité[76] (il se met lui-même en jeu) » Ce matin-là, mon cerceau envoyé revint « magiquement »
vers moi. Adrien, qui n’avait rien manqué de la scène, se mit à rire et à sauter de joie en criant et levant ses petits bras. Il dit « Ça tourne, ça tourne ! » (« L’individu confère du sens à ce qui pour lui présente une valeur. [77]»)Devant un tel « succès », je recommençai mon geste. Le cerceau fit son chemin juste devant Adrien, puis repartit, ce qui déclencha à nouveau le même enthousiasme.
A chaque « aller-retour », Adrien me regardait et attendait impatiemment de pouvoir rééditer l’expérience. Mais lorsque je lançai à nouveau le cerceau, il lui arriva tout droit dans les bras. Etonné de recevoir l’objet tant convoité, il essaya de me le renvoyer, mais le cerceau tomba à terre. Pourtant, son rire éclata à nouveau. Son visage exprimait sa joie, et ses petits yeux noirs étaient illuminés. Il me regardait, et attendait la suite. Mon jeu d’enfance devenait maintenant le nôtre. « C’est sur la base du jeu que s’édifie toute l’existence expérientielle de l’homme [78] ». Adrien n’était plus seul dans son « obsession », nous étions tous les deux à rire de nos envois spontanés. Durant dix minutes, nous avons joué ainsi. Parfois, je faisais revenir le cerceau. En variant mon geste, je captais son attention. C’était la première fois que je voyais Adrien accepter nos propositions…
Ici encore, il a fallu partir de l’intérêt d’Adrien, cet objet qui tourne, pour qu’il puisse aller vers l’autre. « Ces intérêts sont relativement incultes, instables, transitoires. Pourtant, ils représentent tout ce qui est important pour l’enfant ; ils sont les seules puissances auxquelles l’éducateur puisse s’adresser ; ils sont les points de départ, ce qu’il y a chez l’enfant d’actif, d’initiateur[79].» « Nous croyons encore que c’est en partant de l’expression de l’enfant que nous partons effectivement de l’état exact où il se trouve au moment où il s’exprime et que c’est de là que s’établiront les meilleures motivations, que se dessineront les meilleures trajectoires[80] »
Si nous avions nous aussi interdit la stéréotypie, aurions-nous pu entrer en relation avec Adrien ? Si nous ne nous étions pas impliqués dans son monde, aurions-nous pu aller le tirer de sa solitude ? Il s’agissait là d’un premier pas, d’une première pierre dans la construction d’une relation à l’autre. Adrien, dans cette obsession de faire tourner les objets avait certainement besoin de se rassurer. C’est là-bas qu’il était nécessaire d’aller le chercher, là où il était en sécurité, là où il n’y avait pas de danger pour lui. Sa stéréotypie, si difficile à vivre pour ses proches, devenait alors le moyen d’entrer en relation avec les autres.
Il fallait entrer sur son terrain, s’y impliquer et le surprendre. « Il faut apprendre à mériter leur attention. A nous de trouver une façon d’être qui nous rende intéressant à leurs yeux, une façon d’être qui doit se modifier, se réinventer, chaque fois en fonction de la personne qui se trouve en face de nous. [81] »
La rencontre avec Adrien ne pouvait se faire qu’après avoir « entendu » son propre moyen de réagir au monde. L’« écoute empathique conduit à la compréhension de l’autre à partir de son système de référence[82] ». Celle-ci introduit alors « une acceptation inconditionnelle » de l’autre. Barbara Donville explique aussi comment des parents étaient en difficulté avec leur enfant autiste qui ne faisait qu’allumer et éteindre la lumière. Mais, un jour, ils acceptèrent de rentrer dans son « monde », et ont commencé leurs « parties de lumières [83]». Les parents jouaient aussi à éteindre, allumer sur des rythmes différents. L’enfant petit à petit entra en relation avec eux et put « communiquer », à partir de ces moments de plaisir et de jeu.
Adrien se cachait certainement de notre monde qui n’était pas à sa portée. Jouer permettait alors d’apporter la sécurité nécessaire pour aller vers l’autre. « Il ne faut jamais oublier que jouer est une thérapie en soi. Faire le nécessaire pour que les enfants soient capables de jouer, c’est une psychothérapie qui a une application immédiate et universelle [84]»
II – Les enjeux du jeu…
- Utiliser le « symptôme » pour établir le jeu éducateur/enfant
Tous les mardis après-midi au CMP, nous recevons des enfants et leurs parents lors du groupe « Parents-enfants ». Ce temps de soin hebdomadaire a été construit, à partir des hypothèses de Margaret Mahler, pour travailler autour des difficultés de « séparation » et d’« individuation » de l’enfant.
Il s’agit principalement de parent et d’enfant « fusionnels ». Beaucoup « ne peuvent pas se quitter » même physiquement. Je revois encore un enfant « collé » à sa mère, la tenant par la jambe sans pouvoir la lâcher. Quelques minutes plus tard, la mère entourait son fils de ses bras, ne lui laissant pas non plus la possibilité de partir et, par la-même, de « grandir »… Ils semblaient se complaire ainsi tous les deux à ce « collage », mais l’enfant avait de gros retards de développement (langage, physique,…).
Le groupe « parent enfant » tente ainsi de faciliter une « séparation psychique ». Nous utilisons deux salles, une accueillant un groupe de parents animé par un psychologue et une éducatrice, et une autre salle pour les enfants accompagnés d’éducateurs. Un couloir, « séparation symbolique », les distancie. L’enfant peut aller voir sa mère quand il le veut. Il n’y a pas d’obligation. « L’enfant explore des secteurs de plus en plus larges de la réalité. Il se sépare physiquement de sa mère dont il s’éloigne…pour lui revenir. La séparation physique active que l’enfant opère est génératrice d’angoisse […] contre-épreuve rassurante par le retour à la présence physique de la mère[85] » Il s’établit ensuite une « distance optimale […]qui lui permet d’explorer le monde tout en restant à « proximité » de sa mère ».
Il y a plusieurs enfants dans le groupe. En général, chacun finit petit à petit par bien jouer avec ses pairs et n’a plus vraiment besoin de se réfugier « dans les bras maternels ». Le jeu favorise la séparation. Il permet de faire transition avec
l’absence de la mère. Au fur et à mesure, se formalise « une consolidation de l’individualité[86] ». En effet, « un enfant qui joue en présence de sa mère et préfère poursuivre son jeu plutôt que de la suivre quand elle part, a acquis la permanence de l’objet libidinal ». Mais ce scénario n’aboutit pas toujours…
C’est sur cette hypothèse de difficulté de « séparation » que nous recevions Sofiane et sa maman.
Une tête d’ange, les cheveux bruns, la « malice » dans ses petits yeux noirs, Sofiane, 2 ans et demi, est un enfant qui attire le regard. Il est beau, « plein de vie » et semble très intelligent, à tel point que lors de notre première rencontre, je lui aurais donné 1 à 2 ans de plus. Son vocabulaire est déjà très riche. Il parle extrêmement bien et sa vivacité d’esprit nous étonne chaque jour.
Mais toute son « énergie » semble aussi quelque fois le dépasser. Lorsqu’il est dans le groupe, Sofiane est tout le temps « en mouvement » et passe d’une chose à une autre sans s’y attarder. Il court, saute, crie. Ses gestes sont rapides, excités, « dispersés » : c’est une vraie « boule de nerf ». Il semble ne plus pouvoir se repérer, ni se maîtriser. Sofiane n’arrive pas à s’investir dans un jeu, ni même dans une relation avec les autres enfants. Il est assez solitaire et ne se préoccupe pas vraiment de ce qui est autour de lui. Dans son excitation, Sofiane devient même assez « violent ». Les jouets volent contre les murs peu après leur utilisation. Il casse par sa force les « playmobils », donne des coups de pieds dans les voitures et personne ne peut l’arrêter. Nos paroles ne font rien. Elles restent en suspens sans avoir vraiment d’effets sur ses actes. Si nous le prenons dans nos bras, il se tortille en criant « NON !!!, NON !!! », son visage grimace, ses dents se serrent. Il parle aussi beaucoup de « casser », de « donner des coups », de « tuer », … Il semble empli d’une colère, d’une rage qu’il doit sortir à tout prix. Certains pourraient dire que c’est un enfant « hyperactif »…
Dans le groupe, Sofiane veut aussi maîtriser les choses et il commande les adultes. « Ramasse la voiture ! » « Range ! » « Non, c’est moi ! ». A la maison, la situation est un peu la même, Sofiane est un vrai « tyran ». Malgré ses deux ans et demi, il fait ce qu’il veut. C’est lui qui décide et les autres doivent exécuter ses
ordres. Il fait bêtises après bêtises et sa maman passe son temps à crier. Assez déprimée, elle n’arrive pas à faire face à la situation : son mari n’est que très peu à la maison et elle doit s’occuper seule des trois enfants. Ils vivent à cinq dans une chambre d’hôtel en région parisienne. Sofiane réagit à sa manière et ses rapports avec sa maman sont constamment conflictuels. Il lui crache dessus, l’insulte, lui donne des coups de poings dans le ventre…
Un mardi, Sofiane et sa maman viennent au CMP comme à leur habitude. Mais aujourd’hui, il sont seuls. Les autres familles avaient prévenu qu’elles ne seraient pas là. Sofiane vient dans le groupe et rapidement commence son « show ». Enervé, les lèvres serrés, il jette tous les jouets, court d’un bout à l’autre de la pièce. En peu de temps, tout est au sol, les animaux et le garage renversés, les poupées à terre,…. Nous ne comprenons pas ce qu’il se passe. Il réussit toutefois à s’installer sur la table et commence à jouer avec la dînette se préparant un repas. « Enfin », me suis-je dit. Mais, d’un seul coup, comme si cela ne pouvait durer plus longtemps, un grand geste de la main renverse la « tablée ». Son regard noir s’était figé devant ce « tableau » et il lui avait fallu « l’effacer ». Un tel plaisir, préparer un repas, nous avions l’impression que ça lui était insupportable.
Les éducatrices, avec lesquelles je travaille, utilisent énormément la parole. Elles tentent de mettre en mots ce que peut-être l’enfant veut nous montrer, veut nous faire comprendre. Ce jour-là, l’une d’elle dit « Je vois ou je crois que tu as besoin de casser Sofiane. » La séance s’est finie là-dessus. Sofiane est reparti avec sa colère en lui et nous ne savions pas très bien quoi en faire…
Cependant, lorsque je suis rentré chez moi, la phrase de l’éducatrice me trottait dans la tête. Je me disais « Elle a raison. Il tente de nous dire quelque chose. Cette destruction doit servir à quelque chose. Donnons-lui un cadre où enfin on laisserait à Sofiane cette possibilité de casser !». « Sur le plan éducatif, c’est de ce besoin de la personne de se sentir exister qu’il faut partir, pour lui permettre de s’ouvrir à d’autres modes de fonctionnement possibles et souhaitables.[87] »
« On ne peut être éducateur sans d’abord tout faire pour comprendre le besoin des enfants [88]»
La semaine d’après, quelques minutes avant la venue de Sofiane et de sa maman, je préparais des grandes tours de briques de mousse, trouvées dans un placard et dont personne ne se servait. Dès son arrivée, Sofiane, toujours dans son élan non modéré, court dans la salle. Mais il s’arrête brusquement au pas de la porte quand il voit le nouveau décor de son espace de jeu. Je voyais ses petits yeux s’ouvrir à la vue des tours multicolores à tailles humaines. Mais Sofiane retourne chercher ses voitures habituelles, puis commence à les faire rouler. J’étais à coté de lui, j’entendais les « Vvvvv… ! », mais il ne me regardait pas. Puis, comme s’il ne s’autorisait plus à y jouer encore, il repart vers autre chose. Le château, puis très vite les animaux, … Nous voyions bien que quelque chose l’énervait, le tenaillait. Sofiane recommence alors à jeter les jouets qui lui passait sous la main…
Mais, par hasard, une des tours s’écroule. Sofiane tourne la tête et s’arrête assez surpris. Il me regardait sur le côté pour savoir s’il avait fait une bêtise. Je lui dis « Tu sais, c’est pas grave. » Je me lève et donne un grand coup de pied dans ce qu’il restait de la construction. Un sourire se dessine alors sur son visage et Sofiane vient près de moi. Me suivant toujours du regard, il se met à casser la 2ème tour, ce qui déclenche un grand éclat de rire. Nous faisions pour la première fois quelque chose ensemble. Mais Sofiane repart très vite à ses occupations. « Tu sais, on peut les reconstruire ces tours ! ». Je remets les cubes les uns sur les autres et, à nouveau, je fais tout tomber. A cet instant, Sofiane me regardait avec envie. Il vient me rejoindre et se met à faire de même. A chaque dégringolade, je poussais des « Oh là, là ! ». Je théâtralisais chaque « fracas ». Nous y mettions du suspens. « Allez, attention, un, deux, trois ! Boum…»
Nous nous amusions tous les deux et enfin Sofiane était présent. Nous devenions maintenant partenaires. « C’est le mouvement de retour ludique amusé, inspiré par l’adulte co-créateur […] qui « anime » en vérité le jeu moteur d’un au-delà de sa simple effectuation jubilatoire, qui va déborder de toute part la pure gestualité explosive [89]»
Sofiane avait besoin que nous partions de ses propres gestes. « Il ne s’agit pas de les amener vers notre jeu, mais de les accompagner vers ce qui pourrait être leur jeu, ce qui suppose l’existence d’une certaine empathie à leur égard [90]» Durant une demi-heure, c’est devenu notre jeu. « La relation éducative apparaît ainsi comme une stratégie de déplacement à l’intérieur d’une situation souvent paradoxale. Elle vise à permettre à un enfant une ouverture à des perspectives de places nouvelles, possibles, jusqu’alors impensables, et enfin une sortie des processus de répétition et de reproduction.[91]» Je prenais aussi beaucoup de plaisir à casser ces tours, à voir ses éclats de rire dès que nous nous apprêtions à renverser nos constructions. « La relation éducative se produit dans les interactions de la singularité de tel enfant et de tel adulte[92] » « il est possible que ces enfants progressent vers un vrai jeu, en s’appuyant sur notre propre capacité ludique [93]»
Sofiane commence alors à parler. Nous choisissons de construire la Tour Eiffel, la Tour Montparnasse… Il me dit brièvement « T’es gentil, toi ! », sur un ton un peu gêné. Nous avons ensuite construit sa propre maison. Il me parle alors de son frère, de sa sœur, de son papa… Nos constructions éphémères devenaient petit à petit lieu d’échanges.
« L’expression libre peut-elle être plus qu’un point de départ, autre chose que ce moment où accueilli et sécurisé, un individu peut laisser apparaître en même temps ses forces et ses aliénations, sa volonté de grandir et ce qui l’en empêche, ou bien encore, comme on le dirait aujourd’hui, sa place exacte entre le désir et le pouvoir ? [94] »
Notre « création commune » permettait à Sofiane de parler, mais aussi de rire et de se poser tout simplement. De son besoin de « tout balancer », nous avions fait un jeu. Il est nécessaire de « découvrir l’intérêt profond de chaque individu et de suivre cet intérêt, de le nourrir pour lui conserver appétit et vigueur, et de le diriger pour qu’il soit bénéfique, comme devient bénéfique pour l’arbre la branche maîtresse que le jardinier a exaltée [95]». Nous construisions et dé-construisions ainsi notre terrain de rencontre.
La séance se terminait tranquillement. A aucun moment, Sofiane n’était retourné voir sa maman. Il ne semblait pas le moins du monde préoccupé par celle-ci. Etait-ce un vrai problème de séparation ? Que cachait cette violence ? Ce petit garçon si mignon aux « mots qui font mal », semblait plutôt avancer sans vraiment être accompagné. Après discussion avec l’équipe, nous nous étions aperçus que notre travail devait plus particulièrement se situer autour du lien entre Sofiane et sa maman. Entre cette mère et son fils, il n’y avait plus de plaisir réciproque. « Ils donnent souvent des ordres ou font une demande sans se soucier d’établir ce contact (bons rapports basés sur le plaisir). Ils croient que leur enfant doit obéir en vertu du principe que les enfants doivent obéissance aux parents [96]» Elle passait son temps à lui courir après, à le réprimander sans que cela ait vraiment d’effets. Notre but était que Sofiane puisse exister autrement que comme « dictateur » pour ses parents. Le groupe « parents-enfant » n’avait plus vraiment de raison d’être. C’est pourquoi, avec l’accord de la maman, le dispositif de soin s’orienta vers des temps de jeu communs mère/fils. Nous voulions favoriser des moments de plaisir partagés…
M) Le jeu comme étayage de la relation parent-enfant
Une éducatrice et moi-même allions assurer ce suivi mère enfant. Je connaissais bien Sofiane grâce au groupe jeu et l’éducatrice côtoyait la maman au groupe des parents. Les vacances scolaires étaient passées et il n’y avait pas eu de séance depuis deux semaines. C’est avec une certaine impatience que j’attendais Sofiane et sa maman pour le « temps de jeu ». Nous pensions que le nœud de la problématique se trouvait au cœur de leurs propres relations. J’avais préparé quelques jeux dans la salle mais je ne savais pas comment cela allait se passer….
1) Une famille en crise
Sofiane et sa maman arrivent soudain au CMP. Ma collègue étant au téléphone, je prends alors l’initiative de les accueillir dans notre salle pendant qu’elle termine. Sofiane entre et court vers les jeux tandis que la maman s’installe sur une petite chaise. Elle paraissait assez fatiguée. Elle baissait la tête, entourant son propre corps de ses deux bras. Son visage était sombre, triste. Voulant redonner un peu d’entrain, je lui dis, d’un ton enjoué « Alors, comment les vacances se sont-elles passées ? ». Elle me répond « Ma mère est décédée ! ». Cette annonce me fait un vrai choc. Je ne la connaissais pas beaucoup et je ne savais pas comment réagir. Ma collègue arrive soudain et entame la discussion. La maman dit alors combien ce moment de sa vie était difficile puis commence à nous raconter son histoire. Elle explique que son mari, à un moment de sa vie avait été lié à certains groupes terroristes. Ils étaient partis du Maroc car la vie de son mari était en danger. Mais ils avaient laissé là-bas deux enfants que sa propre mère gardait au pays. C’est pourquoi elle ne pouvait y retourner pour dire « au revoir » à sa mère. Elle s’inquiétait aussi pour ses enfants (« Que vont devenir mes deux filles ? ») Elle ne savait plus s’il fallait qu’ils reviennent là-bas ou non. Elle fond alors en larmes, ne sachant plus quoi faire, ni quoi dire…
Pendant ce temps, Sofiane était complètement « perdu ». Il cassait, jetait tout ce qu’il trouvait. Son visage mêlait panique, tristesse, colère… La situation était très difficile à vivre pour lui. Nous essayions de jouer, de mettre des mots sur ce que pouvait être la mort mais cela ne changeait rien. C’était encore trop « frais ». Et la séance se termina sans que nous puissions faire grand chose. Cependant, la situation familiale s’était peu à peu éclaircie. Sofiane avait finalement très peur que ses propres parents le laissent, comme ils l’avaient faits avec leurs autres enfants. De plus, à deux ans et demi, il faisait l’expérience qu’il était possible que sa propre mère puisse mourir. Nous comprenions alors que par sa violence, il exprimait une grande détresse…
2) La transmission père/fils (Répare ma voiture, papa !)
La semaine suivante, un peu plus préparés, nous attendions Sofiane et sa maman. Nous étions en train de discuter quand nous entendons Sofiane parler à l’accueil. Ils étaient finalement venus. A peine étions-nous dans le couloir que Sofiane court et me saute dans les bras. Il semblait plutôt content d’être là. A l’accueil, se trouvait un monsieur, assez jeune, maghrébin. C’était le père de Sofiane. Il était venu aujourd’hui car la maman était « malade ». Nous étions assez surpris par sa venue : nous n’aurions jamais pensé qu’il viendrait. Après quelques présentations, nous les faisons tous les deux entrer dans la salle.
Sofiane se dirige vers les jeux que j’avais posés : les briques de mousse, les animaux,… Et petit à petit, son choix se porte sur le garage et les voitures. Je m’assois alors près de lui. Ma collègue propose au papa de s’installer et se met à discuter. Avec Sofiane, nous étions juste à côté et nous entendions très bien ce qu’ils disaient. Le papa commence par dire qu’il ne savait pas très bien ce que l’on faisait ici, que « l’hôpital, c’était pas pour lui ». Puis, il nous révèle qu’il était mécanicien. « J’ai des mains en or, vous savez ! ». En fait, il réparait des voitures « au noir » dans des garages. Il n’avait pas de papiers et semblait avoir très peur d’être expulsé du pays. Mais les voitures, c’était sa vie, c’était ce qu’il savait faire. Or, à chaque fois qu’il venait, Sofiane jouait avec le garage, les voitures. Nous n’avions jamais fait le rapprochement : au CMP, à sa manière, Sofiane était avec son papa qui n’était pas souvent présent à la maison. Cependant, il n’en avait jamais dit un seul mot…
Tandis que son père nous parlait de ses activités, les yeux de Sofiane s’illuminaient. Il faisait beaucoup de bruit et nous entendions les « Vroumm !!! » des voitures vombrissant sur le tapis. A ce moment-là, Sofiane était plutôt calme, il n’y avait plus de « va et viens incessants ». Je voyais bien qu’il écoutait son père, mais il ne le montrait pas vraiment. Quelques regards furtifs passaient parfois sur le côté.
Sofiane sort soudain de la boîte une voiture cassée. Elle n’avait plus de capot. Les années faisant, les écrasements, les jets des enfants avaient quelque peu entamé la qualité de la carcasse. Il y avait là une occasion à saisir. Je dis alors à Sofiane : « Tu sais, apparemment, c’est ton papa qui est le spécialiste des voitures ici. Va lui montrer ! » Avec un grand sourire mais aussi avec beaucoup de timidité, il se lève et montre la voiture à son père en disant : « Elle est cassée ! » Son père se tenait droit. Je crois que Sofiane le craignait beaucoup. La bouche serrée, le visage fermé, il dégageait l’image d’un homme fort, fier et qui ne doit pas montrer ses sentiments. Je ne sais pas quel rapport Sofiane avait avec lui mais ils ne devaient pas jouer souvent ensemble.
Le père se saisit de la voiture cassée et l’emmène près du garage. Il la pose sur le pont élévateur et commence à lui expliquer comment il travaillait. Sofiane le regardait avec attention, mais il partait, puis revenait et semblait très excité. Son père lui demande alors s’il voulait acheter la voiture. Sofiane ne savait pas vraiment quoi répondre. Je lui dis à l’oreille que j’avais quelques billets dans l’armoire. Après avoir sorti quelques billets de Monopoly, Sofiane, avec un sourire lumineux, s’empresse de les donner à son papa. Mais celui-ci fait durer le plaisir. « Et plus les parents s’impliquent émotionnellement dans le jeu, plus le jeu bénéficie à l’enfant et à leur relation[97] » Il n’accepte pas les billets tout de suite et tente de « négocier » avec son fils. Ils se mettent alors d’accord sur un prix. « Moi, je veux trois billets » dit le père ; mais Sofiane n’en avait que deux. Obligé de retourner à la « banque », Sofiane court jusqu’au placard, prend un autre billet et assez nerveux le donne à son papa qui le prend dans ses bras en riant. Sofiane pouvait enfin recevoir le cadeau tant attendu : la voiture réparée…
Petit à petit, ma collègue et moi-même, nous nous étions retirés du jeu. Il n’y avait plus alors que Sofiane et son père. Nous étions témoins de ce qu’il se passait entre eux deux, témoins des capacités ludiques, éducatives de ce père auprès de son fils. Les voitures, le garage devenaient « lieu de rencontre » entre Sofiane et son père. L’intérêt qu’ils y portaient tous les deux permit ainsi d’établir une relation positive.
« La signification de l’intérêt réside toute dans ce à quoi il tend dans les nouvelles expériences qu’il rend possibles, dans les pouvoirs nouveaux qu’il crée.[98] ».
En lui donnant la voiture cassée, Sofiane interpellait son père dans sa compétence. Le jeu permettait la reconnaissance de cette transmission père/fils. Il s’établissait un nouveau rapport entre eux deux. « Le jeu fournit un cadre pour le début des relations affectives et permet donc aux contacts sociaux de se développer [99]»
3) L’enfant joue avec la mère (Vous avez joué au garage ?)
« J’ai appris que vous avez bien joué la semaine dernière. » Ce sont les premiers mots de la maman lorsqu’elle vint la semaine suivante avec Sofiane. Cette phrase posait le début d’une accroche entre eux deux. Nous avions ce jour-là, préparé les mêmes jeux et la mère commença elle aussi à jouer au garage. Il était devenu l’objet central de nos temps de jeu. Par ce biais, nous pouvions parler de ce qu’il se passait à la maison, de son angoisse pour ces filles au pays. Et Sofiane ne réagissait plus pareil, il était plus posé, calme. Ils prenaient à leur tour beaucoup de plaisir ensemble. Les rires prenaient petit à petit la place des réprimandes. « Il est essentiel que les parents consacrent une partie de leur temps rien qu’au plaisir d’être avec leur enfant, sans rien exiger d’eux. Aucun ordre, aucune leçon, aucune morale, en ces moments où les parents et l’enfant sont ensemble pour une promenade, un jeu, pour manger un gâteau ou regarder un film à la télévision [100]»
Elle m’expliqua la semaine d’après qu’elle avait acheté un garage et qu’ils y avaient joué tous les deux à la maison. Le sourire de Sofiane, lorsqu’elle nous l’annonça, nous montrait à quel point il était heureux. Peu après, Sofiane eut une
crise d’asthme. Ces parents l’emmenèrent tous les deux à l’hôpital et restèrent près de lui. La maman put dire à la séance d’après qu’elle ne le laisserait pas et qu’elle l’aimait. Ces mots avaient leur importance. Peut-être qu’il ne les avait jamais aussi clairement entendus.
Plus l’on avançait, plus nos temps de rencontres se concentraient autour du jeu. Mais Sofiane, de temps en temps, testait les adultes par de petites provocations. Il avait pris l’habitude de « roter » ce qui énervait beaucoup sa maman. Elle essayait alors de nous montrer qu’elle était une « bonne mère » et qu’elle avait de l’autorité, comme si nous étions les « juges » de ses actions. « Non, Sofiane, arrête, pourquoi tu fais ça ? Tu ne recommences pas ! » Mais cela ne l’empêchait pas de roter à nouveau. « limiter ainsi le rôle du père ou de la mère à cette fonction « autoritaire », c’est négliger complètement cette nécessité importante : maintenir et consolider les rapports affectifs à chaque étape du développement de l’enfant[101] »
Ce jour-là, je lui explique avec un sourire en essayant de détourner la situation : « Cela peut arriver, surtout quand on a très mal au ventre. Mais quand on rote, on dit… » A ce moment, Sofiane me dit un mot en Arabe. Je ne comprenais pas. La mère m’explique alors que cela signifie « pardon ». « Ah, donc vous lui apprenez l’arabe, c’est très bien ! » « Oui, on chante même des chansons ». Je ne pouvais m’empêcher de demander à Sofiane ce qu’ils chantaient tous les deux. La maman commence la chanson mais Sofiane un peu timide baissait la tête et ne faisait rien. C’était « Frères Jacques ». Je dis à Sofiane que je la connaissais mais en Français. Je lui chante alors la chanson et lui demande s’il veut bien me la chanter lui aussi. Madame Z recommence. A ce moment, Sofiane se lève et vient se blottir dans les bras de sa mère. Je voyais le plaisir qu’ils avaient tous les deux dans ce moment de partage et de tendresse. Sofiane et sa maman s’étaient retrouvés. « Quelle que soit la famille […], elle est, primo, incontournable au plan affectif (elle est présente dans la tête de l’enfant et de l’adolescent) et, secundo, elle possède des compétences et un système de valeurs qu’il faut utiliser pour faire de la famille un co-auteur éducatif.[102] »
Quand nous la rencontrions à nouveau, madame Z ne nous parlait plus des crachats, des insultes de son enfant, elle évoquait qu’elle l’avait emmené au salon
de l’agriculture voir les animaux. Cela n’aurait jamais été possible auparavant.
Aujourd’hui, madame Z, nous a annoncé qu’elle avait trouvé un travail. Elle fait des ménages pour des particuliers. Elle nous a amené un gâteau qu’elle a préparé. Elle est apprêtée, a mis une belle robe, s’est coiffée. Sofiane est aussi très bien habillé. Ils commencent eux-mêmes à s’installer autour du garage et des animaux. « On a prévu d’aller au zoo, bientôt ! » me dit-elle. Le plaisir d’être ensemble est retrouvé. Sofiane vient de rentrer à l’école. Tout se passe très bien. Il prend plaisir à y aller et à « y jouer »…
« L’importance de bons rapports comme préalable à tout ce que vous voulez apprendre à votre enfant peut se résumer dans les paroles du poète John Masefiel : « Les jours qui font notre joie font aussi notre sagesse ».[103] »
Nous avons vu les différentes étapes de cet accompagnement. Il a tout d’abord fallu aller au-delà des mots et s’impliquer dans la relation pour instaurer un jeu en partant du symptôme de Sofiane, sa propre violence. Il fallait ensuite pouvoir autoriser le jeu parent- enfant, et donner ces places de « père et mère » au travers du jeu et non plus des réprimandes. Nous nous sommes ensuite retirés pour devenir témoins de leur relation, témoins de leurs capacités éducatives. Passé par cette phase de plaisir partagé avec ses parents, Sofiane peut maintenant jouer seul. Il a trouvé la sécurité nécessaire pour aller vers les autres. Le poète Khalil Gibran[104] dit aux parents « Vous êtes les arcs à partir desquels vos enfants, telles des flèches vivantes sont lancées. »
CONCLUSION
Cette formation d’éducateur spécialisé fut ponctuée de questionnements sur ma pratique au quotidien. En effet, ces rencontres avec de jeunes autistes, nos confrontations m’ont fait comprendre que nous avions souvent tendance à vouloir maîtriser ce qu’il se passait dans la relation à l’autre. Une telle pratique, rigide, plaquée, ne permettait pas à l’enfant de s’ouvrir aux autres. Au contraire, elle l’enfermait dans ce que nous avions décidé pour lui. Mais, petit à petit, certaines « découvertes » firent émerger une autre démarche….
Aujourd’hui, il me semble que la première étape est de pouvoir s’impliquer dans la relation à l’autre en tant que partenaire, notamment sous un mode ludique. « Si tu veux les connaître vite, fais les jouer. Si tu veux leur apprendre à vivre, laisse les livres de côté. Fais les jouer. Si tu veux qu’ils prennent goût au travail, ne les lie pas à l’établi. Fais les jouer. Si tu veux faire ton métier, fais les jouer, jouer, jouer.[105] »
Le jeu laisse à la personne accompagnée la possibilité de « conduire la barque ». Par sa souplesse, sa créativité, nous pouvons ainsi partir réellement de la personne, de ce qu’elle exprime, de son histoire et de ses intérêts… « C’est la personne accueillie qui doit mener le jeu [106]». Il n’est plus question de corriger les « comportements inadaptés », mais bien de prendre en compte les moyens de défense de l’enfant, d’aller le chercher là où il est sécurisé afin de l’accompagner vers un mieux être. « Toute action sera considérée comme légitime si dans sa motivation comme dans sa visée elle prend autrui non comme une chose mais comme une personne. Ainsi la responsabilité envers autrui comme personne est le principe fondamental qui légitime l’action morale ; c’est la question que l’éthique doit poser et poser sans cesse à l’activité personnelle et collective »[107]. Les « petits » moments quotidiens de plaisir, de partage et de jeu deviennent alors les graines de notre travail éducatif. Ils sont fondateurs de la relation, aidant l’enfant en difficulté à s’ouvrir aux autres.
En ouvrant des possibilités à la personne accompagnée, le cadre de notre travail peut devenir terrain d’expériences partagées entre l’éducateur et l’enfant. Il devient « cadre de confiance », donnant ainsi l’opportunité de créer et de s’impliquer sans danger …
Il peut aussi être une « porte ouverte » aux parents… Les situations que j’ai rencontrées me firent comprendre combien il est important d’associer les parents à notre travail. Intégrer la famille à nos jeux, nos temps partagés aide l’enfant de s’investir dans ce qu’il fait et limite ainsi le conflit de loyauté si souvent destructeur. En cherchant une alliance des adultes autour de l’enfant, l’éducateur peut devenir témoin et reconnaître la valeur essentielle du lien entre l’enfant et ses parents.C’est souvent à partir de ce moment que l’enfant est autorisé à avancer, à grandir et à franchir les obstacles de la vie.
Mais, aujourd’hui, ce mémoire n’est que le début d’une recherche ouvrant des pistes de réflexion dans l’accompagnement de l’enfant en difficulté. Bien des questions sont encore présentes pour moi.
Mes lectures et mes rencontres professionnelles actuelles m’interrogent sur les limites du travail avec les parents ? Certains ne mettent-ils pas parfois leur enfant en danger ? Est-il alors vraiment possible de les associer à des temps de rencontre avec l’enfant, sans que cela ne soit néfaste à l’épanouissement à ce dernier ?
Ces temps de jeux, ces petites choses, bien que souvent essentielles à l’enfant, restent momentanés, éphémères. Comment pouvons-nous nous en servir, les faire perdurer afin qu’elles soient à l’origine d’un véritable projet autour de l’enfant ? Comment aller plus loin ?
Cette notion de projet individuel m’amène aussi à l’importance du travail d’élaboration en équipe. Ces moments si précieux n’auraient peut-être jamais pu être « perçus » si une réflexion commune n’était pas à l’œuvre. Mais comment créer une culture, un partage et, encore une fois, une expérience commune de ces petits moments, pour faire émerger un véritable processus d’accompagnement pluridisciplinaire ?
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- GRANDIN (Temple) ;Ma vie d’autiste ; traduit de l’américain ; Edition Odile Jacob ; Paris ; 1986 ; 198 pages.
- GIBRAN (Khalil) ; Le prophète ; Editions Gallimard ; Paris ; 1992 ; 111 pages.
- GOLSE (Bernard), (Sous la direction de); Le développement affectif et intellectuel de l’enfant ; Edition Masson, 3ème édition ; Paris ; (Collection Médecine et thérapie) ; 1994 ; 303 pages.
- HEBERT (François) ; Cours dans le cadre de la formation d’éducateur spécialisé « UF 7 Culture générale professionnelle ».
- HOUSSAYE (Jean) (Sous la direction de) ; Quinze pédagogues ; Edition Armand Collin ; Paris ; 1999 ; 273 pages.
- JEANJEAN (Marie-Christine), JEANJEAN (Marie-Françoise), MASSOUNET (Jacqueline ; Oser, Parler, Pouvoir écrire ; Edition Nathan ; Paris ; 1994 ; (Collection Les pratiques de l’éducation n° 6) ; 95 pages.
- JOLY (Fabien) ; Jouer…Le jeu dans le développement, la pathologie et la thérapeuthique ; In Press ; Paris ; 2003 ; (Explorations psychanalytiques) ; 262 pages.
- KAES (René), (Sous la direction de) ; Crise, rupture et dépassement ; Edition Dunod ; Paris ; 1990 ; (Collection Inconscient et culture) ; 324 pages.
- LOUBAT (Jean-René), Parents et professionnels, Tome 2, CREAI Rhône-Alpes, Mars 1992.
- MANNONI (Maud) ; D’un impossible à l’autre, Ces enfants que l’on appelle autistes ; Editions le Seuil ; Paris ; 1982 ; (Collection Le Champ Freudien) ; 188 pages.
- MARPEAU (Jacques) ; Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes ; Editions Erès ; Paris ; 2005, 232 pages.
- MOREAU (Pierre-François) ; Fernand Deligny ou les idéologies de l’enfance ; Editions Retz ; Paris ; 1978 ; (Collection Divergences) ; 208 pages.
- PEETERS (Theo) ; L’autisme, De la compréhension à l’intervention ; Edition Dunod ; Paris ; 1996 ; 229 pages.
- Projet pédagogique de l’IME X
- RIBAS (Denys) ; Un cri obscur, L’énigme des enfants autistes ; Editions Calmann-Levy ; Paris ; 1992 ; 222 pages.
- SAUSSE (Simone) ; Le miroir brisé, L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste ; Editions Calmann-Levy ; Paris ; 1996 ; 192 pages.
- STERN (Daniel) ; Le monde interpersonnel du nourrisson, une perspective psychanalytique et développementale ; Presses Universitaires Françaises ; Paris ; 1989 ; (Collection Le fil rouge) ; 381 pages.
- TREHIN (Paul) et LAXER (Gloria) ; Les troubles du comportement ; Editions Autisme France Diffusion ; Mougins ; 2000 ; 96 pages.
- WATZLAWICK (Paul), WEAKLAND (John), FISCH (Richard) ; Changements, Paradoxe et psychothérapie ; Editions du Seuil ; Paris ; 1975 ; (Collection Points) ; 184 pages.
- WILLIAMS (Donna) ; Si on me touche, je n’existe plus ; Editions J’ai lu ; Paris ; 1992 ; 311 pages.
- WINNICOTT (Donald Woods) ; Jeu et réalité, l’espace potentiel ; Editions Folio Essais ; Paris ; 1971 ; 269 pages.
- WINNICOTT (Donald Woods) ; L’enfant et le monde extérieur : Le développement des relations ; Editions Payot, 2001 ; Paris ; 177 pages.
LOIS :
- Annexes XXIV , décret n ° 89-798 du 27 octobre 1989
- Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
- Loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées .
REVUES :
- LAINE (Tony), L’agir, in « Vers l’éducation nouvelle », revue « Des centres d’entraînements aux méthodes actives », n° 277, Novembre 1973.
- KLEIN (Jean-Pierre) , VIARME (Edith), Photographier, rendre visible le regard, Revue Art et thérapie N° 52-53, Mars 1995, 126 pages.
MEMOIRE :
- Abchiche Garot (Liliane) ; Jeux et enjeux en hôpital de jour ; Mémoire dans le cadre de l’obtention du DEES ; IRTS Paris ; 2004 ; 86 pages.
[1] Symboles, dessins ou photos utilisés pour représenter une action ou un objet souvent dans son aspect fonctionnel, ex : la musique est symbolisée par le dessin d’une mini-chaîne
[2] Sébastien est un « fils au pair », au sein de la famille de Benoît. Il est étranger et fait ses études en France. Ainsi, en compensation d’un logement offert et d’une rémunération, il s’occupe de Benoît au quotidien
[3] BATESON, Gregory, Vers une écologie de l’esprit, Tome 2, p 14, p 16
[4] BATESON, Gregory, Vers une écologie de l’esprit Tome 2, p 19
[5] CLEMENT René, Parents en souffrance, page 204
[6] CLEMENT René, Parents en souffrance, page 142
[7] DAVID, Myriam , Le placement familial, de la théorie à la pratique, p 91, p 93
[8] LOUBAT, Jean-René, Parents et professionnels, Tome 2, CREAI, Rhône-Alpes, Mars 1992
[9] Cf, le projet pédagogique de l’IME X
[10] RIBAS Denys, Un cri obscur, l’énigme des enfants autistes, p 133 à 143
[11] RIBAS Denys, Un cri obscur, l’énigme des enfants autistes, p 135
[12] BRAUNER, A et F, Vivre avec un enfant autistique, p 51
[13] RIBAS, Denys ; Un cri obscur, l’énigme des enfants autistes ; p 41
[14] KANNER Léo, Les troubles autistiques du contact affectif, Traduction de Leo Kanner « autistic disturbances of affective contact », parue dans la revue Nervous Child, Volume 2, p 217-250 en 1943, ARAPI (Association pour la Recherche sur l’Autisme et la Prévention des Inadaptations), spécial Kanner, juin 1995.
[15] RIBAS, Denys ; Un cri obscur, l’énigme des enfants autistes ; p 39, p 12
[16] BETTELHEIM, Bruno ; La forteresse vide, L’autisme infantile et la naissance de soi.
[17] PETTERS, Théo ; L’autisme, De la compréhension à l’intervention ; préface de Bernadette Rogé, p XI, p XII, pXIII, p 27.
[18] TREHIN Paul, LAXER Gloria, Les troubles du comportement, p 49, p 10-11.
[19] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 302, p 304
[20] FREINET, Elise, Naissance d’une pédagogie populaire, p 24-25
[21] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 310.
[22] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 95, p 298, p 123, p 197.
[23] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 69
[24] KAES, René, Crise, rupture et dépassement, p 14 , p 17
[25] DODSON, F., Aimer sans tout permettre, p 55.
[26] HOUSSAYE, Jean, Quinze pédagogues, (chap. L’intérêt de DEWEY John, L’école et l’enfant), p 118.
[27] FUSTIER, Paul, Repères pour des pratiques, l’enfance inadaptée, p 14
[28] WATZLAWICK, P., Changements, Paradoxe et psychothérapie, p 116, p 100
[29] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 23
[30] GRANDIN Temple, Ma vie d’autiste, p 61, p 121-122
[31] WINNICOTT Donald, Jeu et réalité, p 103, p 90.
[32] WINNICOTT Donald, L’enfant et le monde extérieur, p 126
[33] EPSTEIN, J ; RADIGUET, C ; L’explorateur nu, Plaisir du jeu, Découverte du monde
[34] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 308.
[35] STERN, D ; Le monde interpersonnel du nourrisson, p 185
[36] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 309
[37] EPSTEIN Jean, Le jeu enjeu, Editions Armand Collin, p 87
[38] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 18
[39] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 48
[40] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 49
[41] WILLIAMS, Donna, Si on me touche, je n’existe plus, p 125
[42] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 174.
[43] LAINE Tony, L’agir, in « Vers l’éducation nouvelle », revue « Des centres d’entraînements aux méthodes actives », n° 277, Novembre 1973.
[44] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 50
[45] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 189
[46] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 46, p 66, p 181
[47] COPFERMANN, Emile ; La pédagogie Freinet, par ceux qui la pratiquent, malgré tout, p 75
[48] LOI n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale ; Chapitre Ier : Principes fondamentaux ; Section 2 : Des droits des usagers du secteur social et médico-social ; Article 7.
[49] LOI n° 2005-102 du 11 février 2005[49] pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ; Titre III Compensation et Ressources ; Chapitre Ier ; Article 11
[50] DONVILLE Barbara, Vaincre l’autisme, p 18, p 15, p 13, p 10.
[51] BARRON, Sean, BARRON, Judy, Moi, l’enfant autiste, De l’isolement à l’épanouissement, p 20, p 22, p 23.
[52] MANNONI, Maud, D’un impossible à l’autre, Ces enfants que l’on appelle autistes, p 94
[53] BARRON, Sean, BARRON, Judy, Moi, l’enfant autiste, De l’isolement à l’épanouissement, p 24
[54] ARAPI, Spécial Kanner, juin 1995, Léo Kanner, Les troubles autistiques du contact affectif, p 27.
[55] SAUSSE, Simone, Le miroir brisé, L’enfant handicapé, sa famille et le psychanalyste, chap. 7 l’énigme de l’origine, p 107, p 108
[56] PERRIOT, Gilles, Photographier rendre visible le regard, La photographie comme support de fantasmes et d’imaginaire, p 31
[57] PERRIOT, Gilles, Photographier rendre visible le regard, La photographie comme support de fantasmes et d’imaginaire, p 32
[58] PERRIOT Gilles, Photographier rendre visible le regard, La photographie comme support de fantasmes et d’imaginaire, p 32
[59] PERRIOT Gilles, Photographier rendre visible le regard, La photographie comme support de fantasmes et d’imaginaire, p 34
[60] LOUBAT, Jean-René, Parents et professionnels, Tome 2, CREAI, Rhône-Alpes, Mars 1992 (Souligné par moi)
[61] PERRIOT Gilles, Photographier rendre visible le regard, La photographie comme support de fantasmes et d’imaginaire, p 33
[62] JEANJEAN M.C.; JEANJEAN M.F.; MASSOUNET J; Oser, Parler, Pouvoir écrire, Edition Nathan.
[63] VACHERET Claudine, Photographier rendre visible le regard, Photolangage ou comment utiliser la photo en formation et en thérapie, p 95
[64] LOUBAT, Jean-René, Parents et professionnels, Tome 2, CREAI, Rhône-Alpes, Mars 1992.
[65] Citation empruntée à François HEBERT lors de l’UF 7 Culture générale professionnelle
[66] DELIGNY, Fernand, Les vagabonds efficaces, p 148
[67] MOREAU, Pierre-François, Deligny ou les idéologies de l’enfance
[68] DODSON, F, Aimer sans tout permettre, p 17.
[69] Loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale
Section 2 :Des droits des usagers du secteur social et médico-social ; Article 7 ; L’article L. 311-3 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé : « Art. L. 311-3. – L’exercice des droits et libertés individuels est garanti à toute personne prise en charge par des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Dans le respect des dispositions législatives et réglementaires en vigueur, lui sont assurés : « 7o La participation directe ou avec l’aide de son représentant légal à la conception et à la mise en oeuvre du projet d’accueil et d’accompagnement qui la concerne.
Annexes XXIV , décret n° 89-798 du 27 octobre 1989
Titre I Dispositions générales ; Article 3 : La famille doit être associée autant que possible à l’élaboration du projet individuel pédagogique, éducatif et thérapeutique, à sa mise en œuvre, à son suivi régulier et à son évaluation.
[70] BETTELHEIM, B ; Pour être des parents acceptables, Jeux premiers et interaction précoces, (souligné par moi).
[71] LOUBAT, Jean-René, Parents et professionnels, Tome 2, CREAI, Rhône-Alpes, Mars 1992
[72] DONVILLE Barbara, Vaincre l’autisme, p 260.
[73] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 21, p 21
[74] DONVILLE, Barbara ; Vaincre l’autisme ; p 14
[75] KANNER Léo, Les troubles autistiques du contact affectif, p 25.
[76]FUSTIER, Paul, Les Corridors du quotidien, p 24
[77] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 88
[78] WINNICOTT D. W., L’enfant et le monde extérieur : développement des relations, p 126
[79] HOUSSAYE, Jean, Quinze pédagogues, (chap. L’intérêt de DEWEY John, L’école et l’enfant), p 119.
[80] COPFERMANN, Emile ; La pédagogie freinet, par ceux qui la pratiquent, malgré tout, p 17
[81] BUTEN Howard, Il y a quelqu’un là-dedans, p 184
[82] COPFERMANN, Emile ; La pédagogie freinet, par ceux qui la pratiquent, malgré tout, p 75
[83] DONVILLE, Barbara ; Vaincre l’autisme ; p 204
[84] WINNICOTT, D.W., L’enfant et le monde extérieur : développement des relations, p 102
[85] GOLSE, Bernard, A propos de Margaret Mahler, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, p 99, p 99, p 102, p 102
[86] GOLSE, Bernard, Le développement affectif et intellectuel de l’enfant, p 102, p 102
[87] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 82
[88] LAINE Tony, L’agir, in « Vers l’éducation nouvelle », revue « Des centres d’entraînements aux méthodes actives », n° 277, Novembre 1973.
[89] JOLY, Fabien, …Jouer…Le jeu dans le développement, la pathologie et la thérapeutique,
p 163.
[90] ABCHICHE Liliane, Jeux et enjeux en hôpital de jour, DEES 2004, IRTS Paris, p 85
[91] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 53-54
[92] MARPEAU Jacques, Le processus éducatif, la construction de la personne comme sujet responsable des ses actes, p 17
[93] ABCHICHE Liliane, Jeux et enjeux en hôpital de jour, DEES 2004, IRTS Paris, p 85
[94] COPFERMANN, Emile ; La pédagogie freinet, par ceux qui la pratiquent, malgré tout, p 17
[95] FREINET, Elise, Naissance d’une pédagogie populaire
[96] DODSON, F, Aimer sans tout permettre, p 15
[97] BETTELHEIM, B ; Pour être des parents acceptables, p 256
[98] HOUSSAYE, Jean, Quinze pédagogues, (chap. L’intérêt de DEWEY John, L’école et l’enfant), p 119.
[99] WINNICOTT Donald W., L’enfant et le monde extérieur, p 126.
[100] DODSON, F, Aimer sans tout permettre,, p 16.
[101] DODSON, F, Aimer sans tout permettre, p 16.
[102] LOUBAT, Jean-René, Parents et professionnels, Tome 2, CREAI, Rhône-Alpes, Mars 1992
[103] DODSON, F, Aimer sans tout permettre, p 17.
[104] GIBRAN, Khalil, Le prophète, p 39
[105] DELIGNY, Fernand, Graines de crapule, p 22.
[106] FUSTIER, Paul ; Les corridors du quotidien, p 62
[107] FUCHS Eric, Comment faire pour bien faire ?, Genève, Labor et Fides, 1995