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L’enfant, sa mère… et son père

    Sophian, deux ans et demi, insulte, frappe sa maman… On travaille le rapport entre l’enfant et sa mère, quand un jour...

    Nous attendions Sofiane et sa maman. Nous étions en train de discuter quand nous entendons Sofiane parler à l’accueil. Ils étaient finalement venus. A peine étions-nous dans le couloir que Sofiane court et me saute dans les bras. Il semblait plutôt content d’être là. Mais à l’accueil, se trouvait un monsieur, assez jeune. C’était le père de Sofiane. Il était venu aujourd’hui car la maman était « malade ». Nous étions assez surpris par sa venue : nous n’aurions jamais pensé qu’il viendrait. Après quelques présentations, nous les faisons tous les deux entrer dans la salle.

    Sofiane se dirige vers les jeux que j’avais posés : les briques de mousse, les animaux,… Et petit à petit, son choix se porte sur le garage et les voitures. Je m’assois alors près de lui. Ma collègue propose au papa de s’installer et se met à discuter. Avec Sofiane, nous sommes juste à côté et nous entendons très bien ce qu’ils disent. Le papa commence par dire qu’il ne savait pas très bien ce que l’on faisait ici : « l’hôpital, c’était pas pour moi ! ». Puis, il nous révèle qu’il était mécanicien. « J’ai des mains en or, vous savez ! ». En fait, il réparait des voitures « au noir » dans des garages. Il n’avait pas de papiers et semblait avoir très peur d’être expulsé du pays. Mais les voitures, c’était sa vie, c’était ce qu’il savait faire. Or, à chaque fois qu’il venait, Sofiane jouait avec le garage, les voitures. Nous n’avions jamais fait le rapprochement : au CMP, à sa manière, Sofiane était avec son papa qui n’était pas souvent présent à la maison. Cependant, il n’en avait jamais dit un seul mot…

    Tandis que son père nous parle de ses activités, les yeux de Sofiane s’illuminent. Il fait beaucoup de bruit et nous entendions les « Vroumm !!! »  des voitures vombrissant sur le tapis. A ce moment-là, Sofiane est plutôt calme, il n’y a plus de « va et viens incessants ». Je vois bien qu’il écoute son père, mais il ne le montre pas vraiment. Quelques regards furtifs passent parfois sur le côté… 

    Sofiane sort soudain de la boîte une voiture cassée. Elle n’a plus de capot. Les années faisant, les écrasements, les jets des enfants ont quelque peu entamé la qualité de la carcasse. Il y a là une occasion à saisir. Je dis alors à Sofiane : « Tu sais, apparemment, c’est ton papa qui est le spécialiste des voitures ici. Va lui montrer ! » Avec un grand sourire mais aussi avec beaucoup de timidité, il se lève et montre la voiture à son père en disant : « Elle est cassée ! » Son père se tient droit. Je crois que Sofiane le craint beaucoup. La bouche serrée, le visage fermé, il dégage l’image d’un homme fort, fier et qui ne doit pas montrer ses sentiments. Je ne sais pas quel rapport Sofiane avait avec lui mais ils ne devaient pas jouer souvent ensemble…

    Le père se saisit de la voiture cassée et l’emmène près du garage. Il la pose sur le pont élévateur et commence à lui expliquer comment il travaillait. Sofiane le regarde avec attention, mais il part, puis revient, semblant très excité. Son père lui demande alors s’il veut acheter la voiture. Sofiane ne sait pas vraiment quoi répondre. Je lui dis à l’oreille que j’ai quelques billets dans l’armoire. Après avoir sorti quelques billets de Monopoly, Sofiane, avec un sourire lumineux, s’empresse de les donner à son papa. Mais celui-ci fait durer le plaisir. Il n’accepte pas les billets tout de suite et tente de « négocier » avec son fils. Ils se mettent alors d’accord sur un prix. « Moi, je veux trois billets » dit le père ; mais Sofiane n’en a que deux. Obligé de retourner à la « banque », Sofiane court jusqu’au placard, prend un autre billet et assez nerveux le donne à son papa qui le prend dans ses bras en riant. Sofiane peut enfin recevoir le cadeau tant attendu : la voiture  réparée…

    Petit à petit, ma collègue et moi-même, nous nous étions retirés du jeu. Il n’y avait plus alors que Sofiane et son père. Nous étions témoins de ce qu’il se passait entre eux deux, témoins des capacités ludiques, éducatives de ce père auprès de son fils. Les voitures, le garage devenaient « lieu de rencontre » entre Sofiane et son père. En lui donnant la voiture cassée, Sofiane interpellait son père dans sa compétence. Le jeu permettait la reconnaissance de cette transmission père/filsIl s’établissait un nouveau rapport entre eux deux.

     « J’ai appris que vous avez bien joué la semaine dernière. » Ce sont les premiers mots de la maman lorsqu’elle vint la semaine suivante avec Sofiane. Cette phrase posait le début d’une accroche entre eux deux. Nous avions ce jour-là, préparé les mêmes jeux et la mère commença elle aussi à jouer au garage. Il était devenu l’objet central de nos temps de jeu. Par ce biais, nous pouvions parler de ce qu’il se passait à la maison, de son angoisse pour ses filles au pays. Et Sofiane ne réagissait plus pareil, il était plus posé, calme. Ils prenaient à leur tour beaucoup de plaisir ensemble. Les rires prenaient petit à petit la place des réprimandes. Elle m’expliqua la semaine d’après qu’elle avait acheté un garage et qu’ils y avaient joué tous les deux à la maison. Le sourire de Sofiane, lorsqu’elle nous l’annonça, nous montrait à quel point il était heureux. Peu après, Sofiane eut une crise d’asthme. Ses parents l’emmenèrent tous les deux à l’hôpital et restèrent près de lui. La maman put dire à la séance d’après qu’elle ne l’abandonnerai jamais et qu’elle l’aimait. Ces mots avaient leur importance. Peut-être qu’il ne les avait jamais aussi clairement entendus.

    Guillaume, éducateur spécialisé

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