problème : comment apaiser tous les enfants au moment de l’endormissement ?
Un dimanche soir, dans un foyer qui accueille des jeunes placés sur décision judiciaire. Nous sommes Christophe et moi de permanence sur le groupe des plus jeunes, des enfants de 6 à 9 ans. Nous sommes deux jeunes éducateurs ; Christophe a un peu plus d’expérience, moi, je viens du monde de la petite enfance et je passe mon diplôme d’ES en alternance, tout en travaillant dans ce foyer.
Nous redoutons le dimanche soir. Parmi ceux qui ont pu rentrer dans leur famille, certains vivent difficilement cette séparation et le retour au foyer. Pour d’autres, c’est un soulagement de rentrer à l’abri car c’est ce qu’ils ont vécu durant le week-end qui blesse… Quant à ceux qui sont restés à l’internat durant ces deux jours, le départ et retour de leurs copains ravivent la souffrance de l’absence. Le dimanche soir est explosif !
Ce soir, ce dimanche soir, l’orage fait rage à l’extérieur. Le repas avec huit enfants a été difficile. Les enfants sont énervés, ne cessent de se lever, de crier… Et nous en attendons trois de plus pour le coucher. Ils doivent arriver vers 20h30. Mais pas d’éduc supplémentaire. Le travail du dimanche est plus onéreux pour l’institution, alors on réduit la voilure…
Le vent tempête derrière les vitres.
J’ai la boule au ventre, je hais le dimanche soir…
Les trois petits derniers arrivent enfin. Juste le temps de les accueillir, brossage de dents et pyjamas : il y a école demain.
Trois chambres de trois et une chambre de deux. Deux chambres de garçons, deux chambres de filles…
Nous sommes deux éducs… quatre bras, quatre yeux, pas plus !
Et l’orage qui crache sa colère qui fait écho à celles des enfants. Nous passons tour à tour dans chaque chambre, histoire, bisous, câlins, rituels…bonsoir.
Nous sommes à peine sortis des chambres que les premiers pleurs retentissent. Eva est en larmes et gémit qu’elle a peur. Je m’installe à ses côtés. Dans la chambre voisine, le chahut commence, j’entends Christophe s’y précipiter. Oh, je sens que ça va être très chaud ce soir… Je reviens vers Eva. Cette fois, c’est d’une autre chambre que j’entends fuser des rires nerveux. Je dis deux ou trois mots à Eva et vais voir ce qu’il s’y passe, mon collègue toujours occupé à calmer la chambre adjacente. Jasmine est debout sur son lit, pantalon de pyjama sur les chevilles et montre ses fesses rondes à la chambrée. Je la gronde un peu, remonte son pantalon, puis la prends dans mes bras pour la recoucher. C’est alors que la foudre tombe tout près, dans un fracas d’enfer ! Une grande partie des enfants se précipitent sur nous hurlant de terreur, d’autres courent en tous sens en criant et riant nerveusement. Nous sommes totalement débordés !
Peu à peu, nous parvenons à maîtriser la situation en rassemblant tout le monde sur le grand canapé d’angle de la salle de vie, parfois de force, il est vrai. Christophe lit une histoire aux enfants. Dehors l’orage s’éloigne un peu, mais reste bien présent. Visiblement, sa voix les rassure. Il est assis au milieu d’eux, deux sur les genoux, d’autres collés à lui, Je suis en face avec également un enfant sur chaque cuisse. Quelques-uns restent à distance. Le calme est revenu, mais comment allons-nous faire pour les recoucher ? Toujours cette boule au ventre… J’observe et réfléchis : La plupart des enfants cherchent notre contact pour se rassurer. Une fois dans leur lit, il nous est impossible de répondre à ce besoin à nous deux. Par ailleurs, la voix de Christophe a de toute évidence une action apaisante… Et si on chantait ? Peut être que nos voix pourraient remplacer nos bras ?
A la fin de l’histoire, je dis aux enfants : « Maintenant vous allez vous coucher et quand vous serez tous au lit nous vous ferons une surprise… » Mon collègue me regarde d’un œil interrogateur. Les enfants s’éparpillent comme une volée de moineaux en direction de leurs chambres respectives. J’en profite pour expliquer mon idée à Christophe. Ouf, il adhère ! Nous démarrons avec « Au clair de la lune ». Nous chantons fort pour couvrir le bruit de l’orage et pour que tous les enfants nous entendent. J’entends quelques « c’est ça la surprise ? pff, c’est nul ». Mais personne ne crie ou ne se relève. Ma propre « angoisse du dimanche soir » s’est volatilisée, le chant forçant ma détente en modifiant ma respiration. Toujours un léger brouhaha mais les enfants ne s’excitent plus, ils chuchotent. Je repense au film « trois hommes et un couffin » et à ce moment culte des trois « pères » entonnant cette comptine en canon au-dessus du berceau de l’enfant. Je fais signe à mon collègue de continuer à chanter, m’arrête et reprend en canon avec la deuxième voix. La magie opère, les enfants se taisent, le dernier mot est celui de Jasmine : « C’est beau ! ». Quinze minutes plus tard, tous les enfants dorment et Christophe et moi, nous sommes heureux de ce moment partagé. Finalement, il n’était pas si terrible que je craignais, ce dimanche soir….
Véronique D. (Educatrice de jeunes enfants et éducatrice spécialisée)
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