On peut parler de rituel éducatif quand un acte (fait par l’éducateur) ou une expérience ( activité proposée par l’éducateur) symbolise un enjeu sans paroles explicatives : je fais quelque chose qui signifie que je te reconnais comme unique, ou bien je te propose de vivre une expérience significative, où tu vas te voir et voir les autres autrement. Le rituel éducatif cherche à dépasser une contradiction, une tension entre deux moments de la vie (rituel de passage d’un âge à l’autre), ou entre deux « mondes » séparés voire opposés au départ (institution/famille, enfant/éducateur, culture d’accueil/culture d’origine…). Il est fait parfois de paroles (plus ou moins codées), mais toujours et surtout de gestes, d’actions, d’expériences qui « parlent » : il s’agit de signifier que les places opposées au départ ne sont pas antinomiques. Un pont est jeté entre les deux mondes.
Exemples :
rituels individualisés :
Dans le travail avec les familles
un éducateur reprend « la méthode de la mère » pour une toilette, un repas, un lever… Il signifie ainsi qu’il reconnaît le lien filial.
Idem pour la culture : l’éducateur reprend des mots de ta langue, une chanson de chez toi, un plat de chez toi etc.
l’éducateur photographie parent et enfant ensemble : il se fait témoin du lien filial, il valide une histoire…)
Un éducateur chante à un enfant une chanson choisie, en y insérant le prénom de l’enfant : tu es unique, je te célèbre (cf. avec les polyhandicapés, même adultes) : voir dans Sortir de l’impasse (L’Harmattan) « Au détour d’une chanson » (repris ici dans Récits) et « »Une souris verte pour Olivia » », ainsi que dans Petites histoires de grands moments éducatifs (L’Harmattan), « Au détour d’une chanson, ton prénom te fait vivre »
Un éducateur invente un « check » personnalisé avec un enfant, un adolescent : il reconnaît ainsi symboliquement et concrètement la singularité de l’enfant, et le caractère unique de leur relation (ce qui est vrai de toute relation : entre A et B, A et C, B et C… !). (voir par exemple « Le code secret » dans Sortir de l’impasse, L’Harmattan : l’enfant, orphelin, déborde l’éducatrice par sa demande affective ; elle lui propose d’inventer ensemble un check, qui sera « leur secret » : la relation s’apaise durablement)
Un éducateur chante une chanson différente pour chaque enfant au moment du coucher (chacun ne manque pas de lui réclamer « la même » à chaque fois) : autre exemple de rituel individualisé
rituels collectifs : une équipe accompagne tous les moments de transition (accueil, départ, repas…) avec des musiques, des paroles, des gestes adaptés, qui chantent le moment (petite enfance, enfants adolescents voire adultes handicapés, autistes, etc., toutes personnes pour qui les changement de lieux peuvent être compliqués) : c’est ici un simple signal de changement d’activité, de lieux ; sa force tient à sa qualité poétique, sa fantaisie…
rituels de passage :
La réparation est un rituel : la personne fautive fait quelque chose pour les autres, et découvre ainsi le plaisir de donner, de faire plaisir aux autres : son acte permet la réintégration dans la communauté. Il s’agit bien d’une expérience, dont le sens est éprouvé dans l’action, parfois donné après-coup par la personne, non par nos discours « éducatifs ».
Les séjours, les voyages initiatiques : la personne vit une expérience qui est une « épreuve », où elle va se dépasser (dépasser ses peurs, certaines souffrances physiques parfois…), vivre avec les autres, apprendre des choses, découvrir un monde et se découvrir autre.
les ateliers peuvent constituer des épreuves initiatiques qui ont des effets similaires (exemples : l’atelier théâtre est une épreuve, où on doit travailler la technique, faire avec les autres dans le groupe, affronter le regard du public etc. ; l’escalade est souvent vécue comme une épreuve initiatique où il s’agit de « s’élever », de dépasser ses peurs, avec les autres qui « m’assurent » et que « j’assure »)
CITATIONS
« Nous pouvons faire des rites une métaphore de nos vies. (…) Pour nous permettre de réenchanter l’univers d’une génération désenchantée, l’aider à mieux trouver sa place dans le nouveau monde, on ne pourra sans doute plus trop longtemps faire l’impasse sur ces rites qui fabriquent de l’humain. » Fabrice Hervieu-Wane, Une boussole pour la vie, les nouveaux rites de passage (Albin Michel), p. 17-8
« Aussi bien le quotidien, n’est rien en soi, s’il n’est pas mis pour chacun en perspective, si ne s’y tricote pas du sens. il existe par exemple une idée fort répandue suivant laquelle la personne fragile ou supposée telle ne doit pas faire le deuil, doit les éviter ou en être protégée, doit pouvoir être éloignée des cérémonies qui permettent l’élaboration psychique des vivants. Face à cette idée reçue il faut réserver la place des rituels, les fêtes, les cérémonies, leur importance si considérable pour faire des nœuds du temps, démarche si essentielle à l’accompagnement des personnes handicapées mentales. Une pensée trop axée sur le quotidien, sans un travail de construction, sans la production d’actes de passages qui donnent à chaque vie une voie singulière d’accès au symbolique ne peut conduire qu’à un grave déficit de sens. » Jean-François Gomez, Handicap, éthique et institution, Dunod, p. 5
Le temps des rites, Handicap et handicapés, Québec, Les Presses de Laval, 2005, p.20
« Nous (l’équipe/l’institution) avons su que le respect des êtres et de leur parcours de vie supposait « une écologie de la relation » très élaborée. Nous avons compris que dans la pratique d’éducation spécialisée, le rituel se trouvait au cœur de ce qui pouvait ramener les sujets vers ce qui pouvait avant tout le nourrir ; la fonction symbolique dont ils étaient comme tous hommes, et sans doute, plus encore que les autres privés. » Jean-François Gomez, ib., p.20
Il est impossible de ne pas remarquer dans les éléments biographiques que le grand pédagogue Fernand Deligny a donné lui-même dans son œuvre abondante, combien la symbolique de l’entrée, de la porte, de l’espace intermédiaire, et de l’interaction rituelle joue un rôle important y compris dans sa vie personnelle…..toutes les portes. ib., p. 40
« Le rituel est une procédure qui permet de gérer les ruptures et les bifurcations. Dans ce sens il est un formidable organisateur psychique », ib., p. 59 chapitre 9
« Le rituel ne cherche ni le compromis, ni le juste milieu. Il permet un équilibre (…) » Boris Cyrulnick, Les nourritures affectives, O. Jacob, p. 125
« Le rituel est conjonctif, car il institue une union (on peut dire ici une communion), ou, en tout cas, une relation organique, entre deux groupes (…), et qui étaient dissociés au départ. (…) On pose une asymétrie préconçue et postulée entre profane et sacré, fidèles et officiant, morts et vivants, initiés et non-initiés, etc. [ici entre éducateur et usager, adulte et enfant] et le « jeu » consiste à faire passer tous les participants du côté de la partie gagnante (…) ». Claude Lévi-Strauss, La pensée sauvage, p. 48-9
Geste souvent anodin en apparence, le rituel éducatif tire sa force de sa portée symbolique (on parle parfois en ethnologie d' »efficacité symbolique ») :
« Le mot « symbole » est issu du grec ancien sumbolon (σύμβολον), qui dérive du verbe συμβάλλεσθαι (sumballesthaï) (de syn-, avec, et -ballein, jeter) signifiant « mettre ensemble », « apporter son écot », « comparer ».
En Grèce antique, un symbole était au sens propre et originel un tesson de poterie cassé en deux morceaux et partagé entre deux contractants. Pour liquider le contrat, il fallait faire la preuve de sa qualité de contractant (ou d’ayant droit) en rapprochant les deux morceaux qui devaient s’emboîter parfaitement. Le symbolon était constitué des deux morceaux d’un objet brisé, de sorte que leur réunion, par un assemblage parfait, constituait une preuve de leur origine commune et donc un signe de reconnaissance très sûr. Le symbole est aussi un mot de passe. »
Article « symbole », wikipédia