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le cahier de dialogue

    FONCTIONS ET INTERÊT DE L’ECRIT DANS LA PRATIQUE ÉDUCATIVE : l’éducateur instaure un dialogue quotidien par écrit avec un enfant handicapé (traits autistiques) ; on pratique parfois sur le même principe le cahier de placement : le référent (ou un substitut) a un entretien hebdomadaire avec un enfant (jeune) placé : on y fait le point sur la semaine (ce qui va, ne va pas…), sur ce que l’équipe veut dire à l’enfant et inversement ; l’enfant peut y écrire, dessiner ; le référent écrit le contenu du dialogue ; le cahier est gardé dans le bureau des éducateurs, il sera remis à l’enfant à son départ

    Je suis éducateur de jeunes enfants en pédopsychiatrie en hôpital de jour et j’ai travaillé auparavant en IME durant 1 an et demi. Je voudrais raconter ma rencontre avec Nael, un garçon de 11 ans que j’ai accompagné lorsque j’étais IME. Je vais le présenter avant de détailler son accompagnement par l’intermédiaire de l’écriture et d’expliquer les différentes fonctions qu’a eues le récit dans mon travail avec ce jeune et pour ce jeune.

    I-Une médiation peu mise en évidence dans notre pratique quotidienne :

    Nael est un jeune très attiré par la rencontre avec les personnes mais il se trouve aussi très empêché dans le langage et dans la relation à l’autre. Il lui arrive de temps en temps de verbaliser des mots qui semblent faire sens pour lui dans les conversations des adultes mais pas plus. Il me donne l’impression d’un jeune « adhésif » : lorsque vous détachez votre attention de lui, cela déclenche chez lui des cris aigus très intenses, une auto agressivité (il se mord la main) et il est extrêmement difficile de rétablir l’équilibre pour échanger avec lui. Ma stratégie a longtemps été alors d’éviter au maximum les contacts avec lui tellement nos moments de rencontres étaient explosifs et douloureux tant pour lui que pour moi. D’ailleurs, mes difficultés avec lui étaient loin d’être uniques au sein de mon équipe.

    En effet, Nael met souvent rapidement toute l’équipe éducative à mal et cela ne va pas beaucoup mieux à la maison (il a un frère atteint de la même pathologie mais ayant une déficience plus sévère). Une proposition d’essai d’internat lui est faite/imposée par l’institution (obligation budgétaire !). Le résultat de ces nuits d’essai est à l’image de l’état interne de Nael : chaotique (sa chambre est recouverte d’excrément sur les murs, etc.).

    Ce jour-là, l’équipe d’éducateurs de l’internat le sermonne sur son comportement, puis son éducateur référent prend le relais en lui reprochant à nouveau son comportement inacceptable. Comme à chaque fois dans ces moments-là, Nael est quant à lui dans une sorte de tension interne et d’épuisement manifestes. Pour une fois, je sens que le moment est opportun pour moi : je m’arme, comme pour me protéger, de mon cahier d’observation et lui dis d’un ton calme: « Viens Nael, on va aller discuter de ce qu’il s’est passé à l’internat ». Je lui explique que ce cahier, c’est pour l’aider et qu’on va écrire toutes nos conversations dedans. Nous nous asseyons, je lui pose une première question : « Comment ça va ? » Pas de réponse mais un énorme soupir. « C’était bien ou difficile cette nuit à l’internat ? » il me regarde alors et dit en levant la tête : « Difficile… » Je continue alors de lui poser d’autres questions plus légères sur sa famille, comment il dort, ce qu’il aime manger (Nael adore manger !). J’écris au fur et à mesure mes questions et ses réponses. Il ressort de ce moment serein, comme enfin soulagé d’avoir eu une écoute accessible et un échange.

    La première fonction de ce dispositif était là : un lieu de rencontre neutre permettant une expression et un espace de réappropriation de son vécu. Lécriture avait une fonction structurante pour l’enfant : un moyen de restreindre, filtrer et de rendre intelligible les flux d’information du quotidien. Un temps et un espace d’élaboration pour lui (je remarquais l’intensité de la concentration de Nael, malgré sa fatigabilité après ses séances). Une manière d’intégrer son histoire de vie et les émotions traversées dans sa vie quotidienne : comment faire avec son vécu.

    C’était un langage matérialisé, concret, intelligible, délimité, signifié et signifiant qui jouait le rôle de tiers régulateur émotionnel (on parle, j’écris, les silences s’inscrivent dans les cahiers par des blancs, quand on finit d’écrire ce qui est parlé). Je note tous nos dialogues, j’essaie de rebondir de manière ouverte aux mots qu’il propose et à la fin, je lui relis toute notre conversation et je relis à nouveau les parties qu’il souhaite réentendre.

    II- Les vacances scolaires passent, et la chef de service insiste pour qu’il retente une nouvelle période d’essai de 3 mois (une fois par semaine) à l’internat. En journée, son quotidien ne s’améliore pas, son rapport avec nous est toujours « animé » par ses cris et ses morsures qui nous excédent ; bientôt les activités éducatives et les quelques prises en charges paramédicales sont abandonnées au motif qu’il n’est pas bien et que c’est trop difficile pour lui. Cela génère un isolement important pour l’enfant, et  accentue encore ses difficultés avec les adultes car de moins en moins de médiations lui sont proposées.  Mais c’est pour moi une ouverture : j’ai envie de retenter l’aventure du cahier.

    Je décide donc de lui proposer chaque jour un temps de « discussion sur cahier » de 30 min. Tout le monde est partant, si toutefois Nael ne s’y retrouve pas en crise. Cela durera 6 mois… Nous avons ainsi rempli deux cahiers de nos échanges. Pour faciliter ses initiatives dans les conversations, il avait à disposition des pictos illustrant 5 émotions ainsi qu’un trombinoscope des adultes et des enfants présents sur son groupe. Passé ce temps de rencontre, la mise en récit de nos dialogues a pris une nouvelle fonction : celle de médiation de ses relations sociales.

    Fonction de la mise en récit : Un espace de médiation des relations sociales de l’enfant

    1. Avec les professionnels de l’institution :

    Observation : « Je travaille de soirée ce jour là et j’arrive donc sur le groupe de vie en début d’après midi. L’ambiance est plus pesante que d’habitude, j’aperçois un de mes collègues rivé sur l’ordinateur, je le salue, n’obtiens pas de réponses, et je pars dire bonjour aux enfants. J’aperçois Nael seul dans un coin, en train de crier tout en se mordant la main. Je lui propose de venir discuter un peu. Aussitôt il se mobilise, prend le cahier, un crayon et tout le nécessaire  habituel (trombinoscope, classeur PECS avec ces pictos d’émotions).

    Nous choisissons une table dans une petite pièce isolée ; nous installons le cahier et nous nous asseyons. Après nos rituels habituels (Ecriture de la date du jour, intitulé de la conversation : «  Discussion entre Naël et Damien » ; objectif : pour grandir et discuter », nous entamons la conversation :

    « Comment ça c’est passé ce matin » ? Nael me signe avec la main « triste » en mimant qu’il s’essuie une larme.

    « Ah bon ? Et pourquoi ? »

     Nael me montre le picto « en colère »

    «D’accord, mais qui était en colère ? » Il me pointe alors Georges (son éducateur référent) et  me dit ensuite « Ali »

    J’écris ses propos mais je suis un peu perdu car il me pointe un éducateur en photo (Georges) tout en nommant le nom d’un autre éducateur qu’il ne croise quasiment jamais habituellement ce jour de la semaine…

    Je lui réponds alors : « Je suis désolé Nael mais là j’ai du mal à comprendre ce que tu me racontes, tu me montres Georges et tu me parles d’Ali… Est ce que tu veux qu’on demande à Georges de venir nous aider à mieux comprendre ?

    Nael répond d’une petite voix : « Georges »

    Je pars voir Georges qui était assis à l’ordinateur et lui demande s’il veut bien venir « discuter » avec nous parce que Nael essaye de me raconter une histoire mais je ne comprends rien. Georges accepte sans dire un mot et vient nous rejoindre en s’asseyant à côté de nous, je reprends ma place à côté de mon cahier et j’enchaîne (en regardant Georges) : « Alors nous discutions de la matinée avec Nael et il m’a dit « En colère ». Il t’a pointé, mais a ensuite parlé « d’Ali ». (Nael est très concentré et baisse légèrement la tête en regardant furtivement Georges)

    C’est alors que Georges commence à nous raconter sa matinée :

    « Oui ce matin ça c’est mal passé, j’étais énervé après Nael, il n’a pas arrêté de crier et moi je n’en pouvais plus alors j’ai bien dit à Nael que c’était pas possible de hurler comme ça. On est allé voir Ali parce que je sais que ça le calme rapidement et Nael a terminé la matinée sur son groupe. »

    Durant tout ce moment Nael est resté les yeux fixés sur son référent et l’écoutait avec une grande attention. Georges me semble plus léger dans sa voix après avoir lâché sa colère…

    Je reprends alors ses propos en disant à Nael : « C’était difficile pour Georges ce matin d’être avec toi Nael car quand tu n’arrives pas à parler avec nous et que tu cries, ça peut nous énerver très rapidement… Mais ça avait l’air difficile aussi pour toi Nael de ne pas te faire comprendre… ». (Je laisse ma phrase en suspens)

    Nael prend sa respiration et d’un souffle dit : «Difficile ».

    Georges est étonné (c’est le premier mot que Nael prononce en sa présence) puis reprend d’un ton enthousiaste : « On a besoin que tu puisses nous dire des choses comme ça, c’est important pour qu’on puisse t’aider à grandir, de dire que c’est difficile pour toi »

    Nael alors esquisse un sourire en coin et répète à tue tête « à gandir » (« grandir », Nael le prononçait de cette manière) et Georges reprend en souriant : « Oui ç’est ça, à grandir Nael parce que tu es grand maintenant !»

    Georges part quelques instants plus tard, comme soulagé lui aussi d’avoir pu transmettre le récit de son vécu à Nael…

    • Avec les autres jeunes que l’enfant côtoie au quotidien :

    Le récit, un tiers régulateur dans les conflits et un lieu de reprises à froid des évènements importants du quotidien de chacun (éducateur et enfant)

    ( Texte non inséré  pour la conférence – si tu veux, je peux te le pré-rédiger , on s’en parle demain  )

    III- LA MISE EN RECIT DE LA PAROLE DE L’ENFANT : RECONNAITRE L’ENFANT ET SES CHOIX DANS L’ELABORATION DE SON PROJET DE VIE AU SEIN DE L’INSTITUTION

    Plus concrètement dans le cahier de vie de Nael, cela s’est traduit par l’écriture de cette phrase percutante de l’intéressé « Nael, Dodo, A Maison !».

     Observation : « Après un essai d’internat d’une nuit par semaine durant de 3 mois, une coordinatrice demande à l’éducateur référent de l’enfant de lui donner son avis sur le maintien ou non de l’internat pour Nael. L’éducateur référent me demande mon avis et me dit, d’un ton assuré : « Ca a l’air moins pire qu’avant j’ai l’impression, je pense que ce serait bien pour lui de continuer». Je lui réponds : « Ecoute, dans mon cahier avec Nael, j’ai un tas de conversation où il me parle de l’internat, si tu veux je te fais un petit rapport où je te réécris tout ce qu’il m’a dit et après je te donnerai mon avis personnel : on a qu’à tous mettre les nôtres ». » « Ce serait super » me dit-il. Je replonge alors dans le cahier, extrais chaque propos concernant l’internat en signalant la date et commence à monter ce petit dossier. Les autres éducateurs de l’équipe le lisent et prennent connaissance des avis de l’enfant sur ses moments d’internat et chacun y expose son interprétation.

    Nous montons alors un écrit de 5 pages relatant l’évolution du vécu de l’internat pour ce jeune et les hypothèses sur ces évolutions selon chaque membre de l’équipe (ex : la présence de tel éducatrice lors de soirée, la manière d’accompagner le sommeil et le repas du jeune, existence de veillée ou non). Nous apercevons que ses impressions sont assez fluctuantes en fonction des périodes et des personnes lors de ces nuits.

     « Il ne nous manque plus qu’une chose dis-je à son référent pour envoyer ce dossier à la commission de l’internat : demander l’avis à l’intéressé ». Le lendemain, lors de notre temps de « conversations cahiers », j’explique à Nael que dans quelques jours, la coordinatrice, la chef de service et ses parents vont réfléchir pour voir s’il continue ou non l’internat. Je lui demande alors : « Et toi Nael, tu voudrais faire quoi ? Dormir à l’internat ou à la maison ?»

    Nael relève le torse et dit avec une certaine tension dans la voix « Nael , DODO, A MAISON ». Je note ces propos surpris de leur clarté et je me rends compte que c’est la première fois qu’il prononce une succession de 3 mots. « Très bien, je lui dis, c’est noté, je vais donner ta réponse « Dodo à la maison » à la coordinatrice, comme ça elle connaitra ton avis et je te dirai ce qu’ils ont décidé ». 

    Quelques jours plus tard, la commission, après avoir eu connaissance de notre dossier et de l’avis de la famille, a décidé de suivre l’avis de l’enfant. Son éducateur référent vient alors me voir et me dit : «Tu te rends compte, depuis que je suis là (15 ans), c’est la première fois qu’on a porté la parole d’un enfant aussi haut ».

    Une alliance éducateur-enfant qui engage : L’éducateur doit se positionner au service de l’écrit, et porter la parole de l’enfant au vu du pacte de confiance : retranscription exacte et du non jugement des propos de l’enfant

    Observation 3 : « Je me préparais à quitter l’institution pour changer de travail, j’en avais parlé aux enfants et soudain, durant un temps informel d’un jeudi matin, Nael se met à chercher et fouiller dans toute la pièce de vie sans raison apparente. Il cherche, cherche et va même fouiller sur le bureau des éducateurs (ce qui lui était interdit et qui lui a coûté plusieurs fois quelques réflexions bien senties) et finalement, sort d’une pile de documents en désordre  son cahier de conversation. Il le brandit en l’air et s’écrie d’une voix forte en me fixant du regard avec un large sourire :  » Discuter, Discuter !!! » » .

     Damien L., éducateur de jeunes enfants.

    voir wiki : médiation (activité) ; écriture

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