L’association de prévention spécialisée est située dans un appartement au rez-de-chaussée, au sein de la cité. Aucun signe extérieur ne signale sa présence dans l’immeuble. Seules les trois initiales de l’association figurent au niveau de l’interphone. Des graffitis sur la porte, des panneaux d’information brûlés sont les traces laissées par certains jeunes…
Dans la salle d’accueil ou « bureau des éducs », les murs portent les marques de débordement de certains : quelques pseudonymes de tagueurs que les offres d’emploi ou des affiches ainsi que le tableau du « soutien scolaire » tentent de camoufler. Le bureau de la chef de service est la seule pièce qui ferme encore à clé, et c’est celle qui a le mieux résisté au temps. L’encombrement de la cuisine et de la salle de bains par du matériel abîmé ou cassé les rend difficilement accessibles, et pointe un certain laisser-aller.
Le soutien scolaire a lieu dans la salle d’accueil. Les cours sont assurés par des professeurs n’exerçant pas dans la ville. Le soutien scolaire est pour moi un outil précieux : il me permet de rencontrer les plus jeunes et d’entretenir une relation avec les parents. Il permet ensuite un suivi éducatif plus individualisé.
Madame K. arrive avec Mimoun, pour l’inscrire au soutien scolaire. Djamila, sa sœur cadette, y participe depuis la rentrée. Lors de l’inscription de sa fille, elle avait pris des renseignements pour son fils aîné. Elle avait accompagné sa fille afin de faire les démarches demandées et de signer l’autorisation parentale.
Aujourd’hui, c’est différent. L’année est commencée, Mimoun n’a pas obtenu les résultats escomptés. Madame K. amène ce fils qui pose des problèmes de scolarité et de comportement au collège. C’est une femme de forte corpulence, les traits de son visage sont fins, ses yeux verts, son regard vif. Elle impose le soutien scolaire à son fils. Elle me le dit, comme pour me convaincre : « Ça va pas l’école, il faut qu’il vienne ici. » Elle s’exprime avec difficulté, mais avec volonté, en français, et sa voix forte paraît vouloir pallier ses lacunes. Il me semble qu’en haussant le ton, elle essaie de mieux se faire comprendre.
Mimoun est là, adolescent comme tant d’autres, se fondant aux autres jeunes du quartier et de bien d’autres, avec son « uniformes » : jogging, tennis, casquette portée à l’envers, le tout de marque. Son attitude pourrait laisser à penser qu’il ne se sent pas concerné, qu’il subit. Son regard est fuyant. Il est là devant moi, semble maladroit, comme ne sachant que faire de sa personne, comme s’il s’ennuyait…. Je le sens malgré tout inquiet, obligé de venir.
L’entretien est bref. La maman parle vite, anxieuse face au comportement et aux résultats de son fils. Mimoun reste muet. La mère attend plein de choses, Mimoun ne veut rien. Je me dis que pour lui, ce seront des contraintes supplémentaires après l’école. J’écoute Madame K., puis je lui explique le déroulement des cours : petits groupes de dix, par niveau, professeurs diplômés n’exerçant pas dans la ville… ; les règles : ponctualité, assiduité, matériel nécessaire… Je leur dis que l’activité est mise en place en collaboration avec les collèges.
Je regarde Mimoun et m’adressant plus particulièrement à lui, sur un ton clair et franc, j’insiste sur le fait que le soutien scolaire n’est pas une obligation, que c’est une aide pour ceux qui le désirent. Par conséquent, nous demandons l’adhésion du jeune. S’il ne pense pas en avoir besoin ou si le soutien scolaire n’est pour lui qu’une contrainte et ne présente aucun intérêt, non seulement il peut, mais il doit le dire. Sans démarche volontaire de sa part, ça ne lui apporterait rien et ce serait une perte de temps pour lui comme pour nous. L’objectif, c’est que lui s’y retrouve, que l’on réponde à ses attentes. J’essaie de rassurer ainsi la mère et le fils qui ne doit pas se sentir pris au piège. Cette fois, Mimoun me regarde. Il paraît surpris, puis, plus attentif, comme s’il rentrait dans la conversation, comme s’il se faisait sa place. Détendu, il dit qu’il est d’accord pour essayer.
Je demande à la maman de me prévenir en cas d’absence de son fils. Le jeune étant mineur, je me permettrais de lui téléphoner si elle ne l’a pas fait ou si un cours est annulé. Elle peut, si elle le souhaite, rencontrer les professeurs, mon collègue ou moi-même. Nous remplissons ensemble l’autorisation parentale. Afin qu’ils se rejoignent dans leur démarche d’inscription, je demande à Mimoun s’il veut bien lire et écrire pour sa maman – elle ne sait ni lire ni écrire en français – et je tends un stylo pour qu’il remplisse la demande d’inscription. S’adressant à sa maman, Mimoun lit le document et ce qu’il a écrit d’une voix presque timide. La mère est moins agitée, elle parle moins et laisse son fils s’exprimer. Elle l’écoute avec attention, comme avec fierté. Mimoun lui tend le stylo pour qu’elle puisse signer. Ils semblent tous les deux rassurés.
Par la suite, j’ai rencontré Mimoun, il venait pour consulter un livre, photocopier des documents… Nous échangions sur des sujets divers : loisirs (Mimoun aime le sport), collège (« Dès qu’il y a quelque chose, on dit que c’est moi »), famille (« Mes parents ne me font pas confiance, je n’ai pas de liberté »), ou simplement pour un petit bonjour. Mimoun semblait avoir besoin de parler et d’être accepté. Mais je sentais également une réticence à approfondir le dialogue. Aussi, je l’écoutais, j’essayais de saisir ce qu’il me disait. Nous en débattions, mais j’évitais tout jugement. Toutefois, lorsqu’il n’était pas ponctuel, je le lui faisais remarquer. Il n’y a jamais eu de problème de comportement ni de problème relationnel pendant le soutien scolaire. Mimoun semblait malgré tout un adolescent peu expressif, en retrait du groupe, qu’il avait l’air de considérer moins mûr que lui. Il disait avoir progressé en français et en mathématiques et en était satisfait. Les professeurs étaient du même avis et savaient valoriser ses résultats.
L’année suivante Mimoun ne s’est pas inscrit. Djamila venait toujours. Je lui demandais régulièrement des nouvelles de son frère. Les rares fois où je le rencontrais sur le quartier, nous échangions quelques mots, mais il se montrait un peu gêné, un peu distant.
Et voilà qu’au mois de mai, Mimoun vient au club pour me rencontrer. Il est suivi de sa mère. Je les accueille, prends de leurs nouvelles. Nous nous installons dans le bureau de la secrétaire. Mimoun semble nerveux, et sa maman désemparée. Il m’explique qui est en 3e et que ses parents sont convoqués au collège pour son orientation. Son père ne peut se rendre au rendez-vous, il travaille les après-midi. Il est disponible toutes les matinées.
Mimoun ne veut pas que sa mère rencontre le professeur principal : « Ma mère ne sait pas, elle parle trop fort. Elle ne comprend pas tout et eux, ils ne comprennent pas ce qu’elle veut dire. Quand elle y est allée, c’était pire. » Madame K. raconte qu’elle n’est pas été scolarisée ou pas très longtemps. Elle est venue rejoindre son mari en France, puis il y a eu la naissance des enfants. Pas le temps, ni les moyens pour apprendre. Et puis, quand on ne parle pas la langue et qu’on a quitté son pays et ses habitudes, on a tendance à rencontrer des personnes de même origine, avec qui on peut communiquer pour se sentir moins isolé.
Elle me parle de la vie, de leur vie. Et c’est difficile pour elle de s’expliquer. Les mots manquent, et souvent le ton de la voix monte dans les aigus. Alors c’est vrai, Mimoun dit ses craintes que « ce soit pire » : c’est déjà arrivé. On lui dit que sa mère s’emporte, quelle crie. Elle n’a pas l’attitude qu’on attend d’elle. Alors Mimoun a honte, il se sent gêné de ce qui est dit de sa maman, et en colère qu’on se permette de la juger. La mère comprend. Les larmes aux yeux, elle comprend ce que ressent son fils.
Je les écoute, attentive, me permettant parfois de faire répéter Madame K., lui demandant de parler moins vite. Je la sens désarmée, désirant « faire son devoir de mère », aller « défendre » son fils – puisqu’à chaque fois que les parents ont été convoqués au collège, c’est que quelque chose n’allait pas -, veiller sur son avenir, mais tenaillée par l’angoisse de faire plus de mal que de bien… Tout ce qu’elle dit sonne comme une excuse, excuse de ne pas bien maîtriser la langue, excuse de ce que son fils est parfois emporté, et elle aussi, mais c’est un gentil garçon… Cette femme est partie prenante de la scolarité, de l’avenir de ses enfants. Je valorise son implication. Il me semble indispensable qu’elle ne soit pas exclue des réunions et des décisions prises. La convocation au collège ne peut être reportée. Mais Mimoun souhaite la présence de son père, qui comprend mieux le français et saura donc mieux expliquer à la maman qui l’accompagnera. Je leur propose de rédiger ensemble une lettre au professeur principal, afin de solliciter un autre rendez-vous, le matin, en soulignant l’importance de l’orientation de Mimoun pour lui et sa famille. Un autre rendez-vous sera effectivement fixé. Mimoun s’y rendra accompagné de ses parents. Ainsi tous les trois se sont retrouvés pour envisager l’avenir.
Mimoun a quitté le collège et il n’est plus concerné par le soutien scolaire. Malgré tout, il est revenu au club de prévention à plusieurs reprises : pour être orienté ou accompagné dans certaines de ces démarches, et pour nous présenter d’autres collégiens qui rencontraient des difficultés…
Patricia, Educatrice spécialisée
Récit extrait de Petites histoires de grands moments éducatifs, L’Harmattan, p. 121-5, suivi d’une analyse et de citations en écho à l’histoire. On trouve dans ce même livre une autre histoire de soutien scolaire en prévention spécialisée, où l’éducateur met en scène la séance de maths par le jeu : « Questions pour des champions », p. 193
Pistes de réponses : Travail avec les familles, rituel, contrat