Aller au contenu
Accueil » Blog » « Je t’ai fait peur, Marie ? »

« Je t’ai fait peur, Marie ? »

    Problème : une enfant psychotique qui fuit tous les contacts entre en crise : comment l’approcher ?

    J’ai effectué un stage dans un SESSAD accueillant des enfants et des adolescents souffrant de « troubles du comportement et de la conduite ». La grande majorité des jeunes relevait du champ de la psychose. Notre chef de service nous disait souvent qu’ils étaient des « incasables » toujours «  sur le fil » et que notre travail était de leur éviter de se retrouver en prison ou en hôpital psychiatrique. J’ai pu ainsi me familiariser avec différents types de pathologies, et j’ai pu comprendre à quel point les médiations sont indispensables quand le dialogue semble rompu : les divers ateliers permettaient de retrouver un espace de dialogue, indirect, espaces de détente et de revalorisation.

    Parallèlement, j’ai travaillé trois ans dans un centre de loisirs pour maternelles dans une commune classée ZEP. Avec mon équipe, je devais m’occuper d’un groupe d’une trentaine de bouts d’choux âgés de 2 à 6 ans. Animatrice est une fonction très utile pour mieux comprendre la petite enfance, ce monde gorgé d’imaginaire, de craintes et de curiosité. La grande majorité de ces enfants vivaient dans des grandes tours délabrées, où le monde de l’enfance innocente est difficile à préserver… Notre rôle était donc, en plus de les distraire, de contribuer à leur éveil au monde, à leur épanouissement. Il m’a fallu ruser, me remettre en cause sans cesse afin de les ramener à l’imaginaire… Le rire, le jeu, les mises en scènes diverses faisaient ainsi partie de notre quotidien. Mais au bout de trois ans, j’ai eu envie de changer d’horizon et de tranche d’âge. C’est comme cela que je me suis retrouvée dans un petit centre de loisirs « primaires » aux portes de la campagne. Le train de vie des familles y est plutôt aisé, ce qui change mes repères du tout au tout. Avant, je devais me battre pour l’hygiène, la politesse, ou encore l’investissement des familles. Là, je me retrouve avec certains enfants au premier abord ingrat, qui ne jurent que par le matériel et qui nous croient à leur service. Mais sous cette apparence, se cachent bien souvent des enfants en mal d’amour : des parents absents, qui pour se donner bonne conscience sans doute, les couvrent de cadeaux.

     Mais au milieu de ces enfants, il y a Marie. Je la rencontre pour la première fois fin novembre. C’est une petite fille de 7 ans, aux cheveux toujours en bataille, et aux petits yeux noisette, malicieux. On me l’a présentée comme une véritable « enfant sauvage ». Ce qui me frappe en premier lieu, c’est sa solitude. Elle ne parle pas, mais crie comme un petit animal. On ne peut pas la toucher sans qu’elle devienne agressive. Elle semble parler seule ou avec des objets animés en chuchotant, dans une langue inconnue, comme pour garder ses secrets. L’équipe d’animation est excédée, la petite devient vite ingérable, elle peut se cacher pendant des heures parfois. Lorsque je demande à mes collègues si Marie a une pathologie quelconque, on me répond seulement : « Elle se fait suivre ». Certains animateurs sont particulièrement rejetants : « elle est bizarre faut l’ignorer ». Dans une structure ordinaire, il est rare de voir, même dans la direction, du personnel sensibilisé au handicap sous toutes ses formes ; en même temps, le cadre d’un centre de loisirs permet une grande liberté : il n’y a personne pour vous juger ou vous dicter votre conduite… .

    Je travaille ici tous les mercredis, les vacances scolaires, et même parfois en soirée. Pour moi, il est certain que cette petite fille a besoin d’une attention particulière. Je me considère officieusement comme une « référente » pour elle, son comportement me faisant penser à celui d’une enfant autiste ou psychotique.

    Mais mes premières tentatives d’approche aboutissent à un échec : agressivité, ignorance, rejet. L’humour, les jeux en tout genre ont toujours été mes armes favorites en cas de problèmes de communication, mais comment les adapter avec elle ? Et puis, comment préserver un accompagnement individuel, tout en amenant Marie à rejoindre le groupe ?

     C’est à l’occasion des vacances de Noël que notre premier contact aura lieu. En période de fête, règne souvent un air de convivialité, on rit, on chante… Ce jour-là, soudain, un cri trouble cette chaleureuse ambiance. J’aperçois Marie qui tire les cheveux d’une autre fille. Mon premier réflexe est de les séparer. A mon contact, Marie se met à hurler et à me taper. Je tente de la contenir physiquement, rien y fait. Je lui dis que je vais la lâcher pour qu’elle se calme. Aussitôt fait, elle s’enfuit dans la salle d’activités. J’emboîte son pas et pars à sa recherche. Je la trouve assise dans un coin, recroquevillée sur elle-même, la tête entre ses bras. Elle semble vouloir s’isoler complètement du monde extérieur. Je m’assois très calmement près d’elle, presque au ralenti, et d’une voix la plus douce possible, je lui chuchote :

    • Je t’ai fait peur Marie ?
    • Marie peur, Marie peur… me répond-elle en boucle
    • Mais dis-moi, tu parles Marie ! Quelle cachotière ! dis-je d’un ton amusé. Pas de réponse…

    C’est la première fois que j’entends Marie employer des mots et pas seulement des sons. Mais ce qui m’intrigue, c’est le fait qu’elle parle d’elle-même à la troisième personne. Dans le but de me mettre « à sa hauteur » et d’ainsi me montrer moins menaçante, je décide d’adopter à mon tour la troisième personne.

    • Laura a eu peur !
    • Peur ? dit-elle avec étonnement.
    • Oui, Marie se bagarre ! Marie crie ! Alors Laura a eu peur. (Je théâtralise mon discours, et donc mes émotions, afin que Marie me comprenne mieux)

    Marie décroise ses bras, relève la tête et me regarde. Ce fut un regard intense et profond : quel bonheur de voir enfin une vraie expression sur ce visage ! J’avais voulu montrer ma peur et la lui dire, pour qu’elle se rende compte que je n’étais pas si différente d’elle, puisque j’avais moi aussi ressenti de la crainte. Je n’avais pas joué à l’éducatrice qui n’a peur de rien, j’avais donné un peu de moi.

    • Laura voulait pas faire peur à Marie Pardon ! (Elle rit)

    Alors Marie et Laura rentrent au centre ?

    • D’accord, me dit-elle en souriant
    • On fait la course ? C’est parti !

    Marie parle, elle est capable de vous regarder d’un regard expressif. Je me dis qu’elle n’est pas autiste, en tout cas pas à la façon des enfants de Kanner. Je pense que son mal se situe plutôt du côté de la psychose.

    Peu après, je propose aux enfants de confectionner des étoiles de papier étincelantes. Pour la première fois depuis son arrivée, Marie décide de participer à une activité de groupe. Elle s’installe près de moi, sans un mot. A la vue des paillettes, son visage s’illumine, ses yeux pétillent. Elle décore avec soin son étoile. Puis, le sol étant recouvert de ces paillettes, je m’active à les balayer. Soudain, la fillette se jette sur mon tas de poussière pailletée, et s’en recouvre le visage. Tout sourire, elle s’approche de moi et s’exclame :

    • Marie belle !
    • Marie, c’est de la poussière, c’est sale ! (mes réflexes d’hygiène reprennent le dessus !)
    • Marie belle ! insiste-t-elle.
    • Oui, Marie est belle !

    Plus tard dans la journée, je ne trouve plus Marie. Après une brève recherche, je la trouve allongée sous un sapin de noël, fixant les décorations. Il m’est impossible de communiquer avec elle : peu importe mes dires et mes gestes, elle ne décolle pas. Elle est ailleurs, comme extérieure au monde qui l’entoure.

    Le jour suivant, pleine de détermination et d’envie, je la retrouve :

    • Bonjour Marie, comment vas-tu ce matin ?

    Pas de réponse, pas même un regard. Quelle déception ! « Tu ne te souviens pas de moi ? C’est Laura ! »

    Je me rends compte de mon erreur : je l’ai abordée trop directement, j’ai abandonné la troisième personne. Cela m’a peut-être rendue intrusive à ses yeux, menaçante… Entre temps, je vais lire des écrits à ce sujet. Mon objectif est maintenant de continuer à communiquer dans ce registre, en invitant Marie à le laisser de côté lorsqu’elle sera plus confiante.

    Après cet échec cuisant, il fallait donc que je me fasse entendre autrement. Je retrouve Marie dans la cour en train de creuser un trou dans la terre.

    • Quel joli trou ! Que veut faire Marie avec ce trou ?
    • Marie se cache dedans.
    • C’est super, ça, se cacher ! Laura a une idée, Marie se cache où elle veut dans la cour et Laura doit la retrouver. D’accord ?
    • D’accord, répond la fillette avec entrain.

    Une superbe partie de cache-cache et de fou rire s’engage. Je m’applique à théâtraliser mes expressions pour rendre le jeu encore plus palpitant : je fais la voix du grand méchant loup, je ris très fort… C’est à ce moment que, pour la première fois, d’autres enfants se sont mélangés à nous, sans rejeter Marie.

    Marie est capable d’échanger avec les autres enfants. Il est probable que son isolement provient de ses propres angoisses mais aussi de l’incompréhension des autres enfants et adultes du centre : ils pensent qu’elle est « folle et bête ». Je me rappelle d’un goûter d’anniversaire : Marie est enrhumée, et son nez coule régulièrement. Cependant, elle refuse de se moucher, ce qui amuse et dégoûte à la fois les enfants ; comme par provocation, elle s’empare de sa morve jaunâtre avec les doigts pour la déguster goulument, le tout avec un grand sourire. Plus les enfants montrent leur écœurement, plus elle s’amuse. Ne pouvant plus supporter la scène, je m’empare d’un grand mouchoir pour l’essuyer de force. La réaction des enfants ne se fait pas attendre : « Quelle folle celle-là ! Elle est dégoûtante ! Gogol ! ». Je me mets alors en colère et fais asseoir tout le monde :

    « Marie est différente, c’est vrai. Mais elle n’est ni bête, ni fêlée ! Je ne veux plus entendre de telles moqueries à son sujet, c’est inacceptable ! ». Le silence règne. Puis, mon discours se fait plus calme : « Marie ne voit pas les choses comme nous, elle est dans son monde à elle. Elle est comme ça depuis toujours, mais ne la voyez pas comme une bête de foire, c’est une petite fille comme vous. Si vous preniez le temps de la connaître, vous vous rendriez compte qu’elle peut être intéressante. »

    Les enfants sont bouche bée. Ils semblent culpabiliser…

    Par la suite, les moqueries se sont raréfiées, elles ont été remplacées par de la curiosité et une pointe de tolérance.  Je pense que pour tous, il était temps que les choses soient expliquées. Certains animateurs m’en remercieront, car ils ne savaient pas quoi répondre aux enfants à propos de Marie.

    Je me suis dit aussi que lors de ces scènes écœurantes, Marie cherchait le regard de l’autre, une réponse. Alors je mis en place « les spectacles de Marie » Je disposais les fauteuils de façon à créer une scène avec ses gradins. La fillette se mettait alors en scène, elle produisait des spectacles de magie et de clown. Elle semble adorer provoquer le rire chez les autres. Ses prestations ont quelque chose d’artificiel ; j’ai l’impression qu’elle imite un personnage, elle manque de spontanéité. Qui est vraiment Marie ?

    Une semaine plus tard, je retrouve Marie affaiblie par une infection urinaire. En effet, cette petite ne boit presque jamais, il faut la forcer à boire un misérable verre à table. Elle a régulièrement des difficultés à retenir son urine, et ne prévient pas lorsqu’un accident survient. Ce jour-là donc, elle se repose sur un matelas, serrant très fort un petit poney en peluche rose bonbon, à la crinière bleu ciel. Je prends grand soin d’elle en attendant sa maman. Je la borde, je la change, et lui raconte des histoires. Je lui montre une image, elle m’arrache le livre des mains et me fait la lecture. Son ton est posé, sa lecture fluide, je sens une grande fierté dans son regard. Je découvre qu’elle lit très bien : c’est incroyable que personne ne m’en ait parlé avant. Elle se laisse aller, détendue, et accepte même que je lui caresse les cheveux. C’est la première fois qu’elle accepte un contact physique, et c’est un grand pas. Le fait d’être ainsi présente quand elle est vulnérable est peut-être pour elle une preuve de ma fiabilité. M’absentant un moment, je vais faire une grande découverte à mon retour : Marie discute avec ce fameux petit poney :

    • Le petit poney est malade aussi ? demande-t-elle.
    • J’ai très mal au ventre et ça brûle la nénette quand j’ai fait pipi ! Répond le poney avec une petite voix perchée.

    Elle est donc capable de parler d’elle à la première personne, par l’intermédiaire de ce jouet. Il faut saisir cette perche. Je tente de parler directement au poney :

    • Oh, mon pauvre petit poney, tu es malade ? dis-je d’un air désolé.
    • Oui, me répond-elle d’un ton tout triste.
    • On va faire un jeu, petit poney : quand tu auras envie de faire pipi, tu me préviens tout de suite, et je te ferai voler jusqu’aux toilettes. D’accord ?
    • Ok, ça marche, Laura !

    J’ai l’impression de rêver.

    Je vais donc continuer à saisir cette opportunité pour mieux la connaître. Plus tard, elle me dira à l’aide de son poney qu’elle fait des rêves inquiétants, tout en prenant une voix tout aussi inquiétante : « Il y a le feu dans la maison ; il y a du sang partout sur les murs ; il ya maman qui brûle aussi et ça fait très peur ! ». Je comprends alors que cette fillette est submergée par l’angoisse ; la piste de la psychose semble se confirmer.

    Ce poney va devenir mon meilleur ami. Grâce à lui, les accidents urinaires, c’est fini ! Marie se révèle. Protégée par ce personnage, elle n’a plus à craindre pour elle-même. Elle s’ouvre petit à petit aux autres adultes, et se montre taquine et espiègle. Un matin, en me voyant, elle me saute dans les bras en me criant : « Bonjour Laura ! », et elle me fait un gros bisou. Je ne cache pas mon émotion.

    Nous sommes au printemps, Marie accepte maintenant que je lui parle sans détour : sans le poney et sans la troisième personne. Elle vient au centre de loisirs avec le sourire, salue toute l’équipe et participe aux activités de groupe. Les animateurs sont plus sereins, et partage eux aussi des moments privilégiés. J’aurais aimé travailler avec la famille de Marie, mais dans ce centre de loisirs, nous n’avons malheureusement que très peu d’occasions d’échanger avec les parents. Je n’ai pu qu’apercevoir sa maman : elle paraît âgée, ses traits tirés révèlent une grande fatigue. Elle a confié à notre directrice que Marie la fatigue beaucoup. Mais dès qu’on essaie d’approfondir à propos de Marie, elle dit qu’elle est juste « trop active ». Marie n’a jamais fréquenté d’établissement spécialisé, elle suivrait une thérapie, je ne sais pas de quoi il s’agit exactement. En ce qui concerne son père, c’est le vide, je ne sais rien du tout.

    Une belle relation s’est donc établie avec Marie. Cependant, j’ai parfois l’étrange impression que si elle pouvait entrer en moi, elle le ferait. Son regard est pénétrant, et quand elle s’agrippe à moi, elle a beaucoup de mal à me lâcher. Il faut que je l’oblige en douceur à se séparer, et qu’elle ait envie de s’ouvrir aux autres. C’est lors d’une sortie que tout va se déclencher.

    Pendant les vacances de Pâques, une sortie « bowling » et « parc floral » est organisée. J’arrive à 9h et trouve la fillette en pleurs dans son coin. Je m’approche doucement, la salue, et lui demande ce qui ne va pas. Elle me répond des sanglots dans la voix :

    • N. (la directrice) veut pas que Marie vienne à la sortie. Marie pas un bébé ! (la troisième personne réapparaît, elle régresse, preuve de son mal-être).
    • Bien sûr que tu n’es pas un bébé ! Sèche tes larmes, je vais voir N. pour lui rappeler que tu es une grande fille !

    Je comprends parfaitement les craintes de la directrice, mais je me porte garant : Marie a beaucoup évolué, et l’équipe d’animation la gère mieux, j’insiste car il faut lui donner sa chance. Le « deal » conclu, je peux annoncer la bonne nouvelle à ma petite protégée, qui me saute au cou et hurle de joie. Je la mets en garde contre les dangers, et insiste : elle doit rester près de moi.

    Dans le car, Marie se met ainsi à l’avant à mes côtés. Cela fait à peine cinq minutes que nous sommes assises qu’elle se met à gigoter dans tous les sens ; Je prends la barre devant nous dans mes bras et lui dis :

    • Alors, capitaine, où on va ? Marie prend la barre à son tour et me répond :
    • Dans l’espace !
    • Conduis, alors, c’est toi le capitaine du vaisseau !

    Une lutte intergalactique s’engage : « Attention, des martiens !!! Piou ! Piou ! »

    Lors d’un feu rouge, un jeu me traverse l’esprit : « Allez, Marie il faut faire de la magie : à chaque feu, tu souffles de toutes tes forces pour que le feu devienne vert ! ». Qu’est-ce que nous avons ri ! Et puis d’autres enfants nous ont suivies, la fillette semblait ravie, un large sourire éclairait son fin visage…

    Nous arrivons au bowling. Marie me pose une foule de questions : « C’est où ? » « Il y a des loups là-bas ? » Elle est comme agrippée à moi : elle n’est pas habituée à sortir du centre de loisirs, et cela l’excite et la terrifie à la fois, son rire est crispé.

    Nous enfilons les chaussures réglementaires, la partie peut commencer. Mais Marie peine à porter sa boule, elle me demande de l’aider. Je l’accompagne sur la piste et lui donne « une méthode miracle » pour lancer la boule. Les débuts sont plutôt laborieux, mais pour les autres enfants aussi, alors tout va bien ! Après deux tours, je la laisse seule sur la piste, tout en l’encourageant : « Allez MaMa allez riri allez MARIE ! » Tous les enfants de notre équipe me suivent. Et voilà, miracle, Marie fait un « spare » ! Les enfants se jettent sur elle et chantent « on a gagné, on a gagné ! ».

    Après cette incroyable partie, nous partons vers le parc floral. Le trajet se déroule cette fois sur le thème des cow-boys et des indiens. Arrivés à destination, les enfants sont émerveillés par cette abondance de couleurs et d’odeurs. Marie a les yeux pétillants et un large sourire illumine son visage. Le pique-nique englouti, direction les jeux de plein air. La fillette se jette sur les grands toboggans, grimpant avec entrain. En glissant, elle déploie les bras tels des ailes et me crie : « Regarde, Laura, je vole ! » L’après-midi fut pleine d’aventures. M. se montra même capable de monter sur la tyrolienne, qui lui avait fait si peur au départ. On se dirige vers le car, Marie est fatiguée, elle me demande de la porter. Je l’installe sur mes épaules, elle me serre le cou dans ses bras (les gestes d’affection son rares de sa part). Soudain, elle me lâche pour déployer ses « ailes », et me dit : « Le parc floral, c’est le paradis ! ».

    Dans le car, Marie n’a plus besoin de moi. Elle s’installe près d’une fillette de son âge. Elle rigole, discute avec les enfants qui l’entourent. Elle est devenu au fil de cette journée, la mascotte des enfants, elle qui était une énigme si inquiétante pour eux.

    Depuis cette sortie, les enfants ne l’excluent plus, elle fait enfin partie du groupe. Cet été, Marie s’est fait une « meilleure amie », avec qui elle partage tout. Elle s’appelle Stella, et bizarrement, comme son prénom l’indique, elle a effectivement la tête dans les étoiles ! Elles s’inventent de merveilleux mondes imaginaires… Cependant, Marie ne s’enferme pas dans une relation exclusive : elle prend du temps pour elle et il n’est pas rare de la voir seule, assise sur un fauteuil, lisant des bandes dessinées. Malgré cette belle évolution, elle a besoin de s’enfermer dans une bulle, et de parler aux plantes et aux objets. Parfois, j’ai l’impression qu’elle ne sait pas qui elle est ; lorsque nous échangeons, elle n’émet jamais de souhaits ou de désirs. Certes, elle n’est plus écartée systématiquement des sorties, à sa grande joie, mais il faut rester dans ces cas-là très vigilant, très rassurant avec elle. Marie est très peureuse, angoissée par tout ce qui lui est inconnu. Elle semble avoir un quotidien très monotone. Mais elle parle maintenant sans détour, sans protection, tant aux animateurs qu’elle connaît qu’aux enfants ; elle participe de plus en plus aux activités de groupe ; la violence se fait rare avec les autres, seules quelques frustrations et un manque de pédagogie de la part d’un encadrant risque de la mettre en colère : un « non » qui n’est pas expliqué va la mettre en rage par exemple. Elle est encore agressive vis-à-vis des animateurs hommes, mais cela semble être une sorte de gêne plutôt que de la peur : elle les repousse avec un grand sourire, comme si c’était « en mine », comme dans un jeu… Certains animateurs ont tenté de s’adapter à Marie, reproduisant certaines de mes approches. Une des animatrices a même entrepris des études pour devenir éducatrice spécialisée.

     Laura, Educatrice Spécialisée

    Le début de ce récit est publié dans Sortir de l’impasse, L’Harmattan, p. 153 ; on y trouvera une analyse et des citations

    WIKI : message-je, jeu (imaginaire)

    Étiquettes: